Gilles Kepel: L’épopée d’un “Enfant de Bohême”
On apprécie le politologue, le spécialiste de l’Islam et du monde arabe. On découvre à présent le Gilles Kepel narrateur d’un récit familial romancé. Avec Enfant de Bohême (Gallimard), il remonte à ses origines tchèques, que très peu de gens connaissaient, et plonge dans une histoire de famille qui se croise avec «les années folles», à Paris, puis l’après-guerre. C’est en fait une « Lettre au père », mais dans un genre nouveau, bien documenté, puisant dans des archives retrouvées en Tchéquie et en France, des témoignages de première main. Kepel écrit à son père, Milan K. pour lui parler de son père Rodolphe K. dont il fera le personnage central de cette épopée.
Fils de capitaine des chasses, né en Bohême en 1876, professeur de langues, Rodolphe K., lassé de donner des cours, ira en France en 1908. Il plongera dans le Paris tchèque, et s’impliquant pleinement dans cette effervescence culturelle et artistique. Il sera le premier à traduire Guillaume Apollinaire en tchèque… Plus, tard, faisant le chemin inverse, c’est son fils Milan, le père de Gilles, qui sera le premier à traduire en français Vaclav Havel…
Gilles Kepel revient alors avec détails instructifs sur ces « années folles» et leurs acteurs, la «colonie» tchèque, les mouvements d’idées et la production littéraire et artistique. Abandonnant ce Paris excessif, Rodolphe entreprendra en 1926 un voyage en Tunisie et en Algérie, puis reviendra en France. Le récit se poursuit, palpitant, nourri d’évocations, riche en rebondissements, toute la famille y figure, à un moment ou à un autre. La plume est fine, le verbe est soigné, le romancier l’emporte sur l’essayiste, l’imagination prolonge la réalité.
«Au moment où j’ai commencé à écrire ce livre, indique Kepel, j’avais été condamné par Daech —non pas seulement pour faire un autodafé de tous mes livres mais pour m’égorger— et en même temps, mon père, Milan, souffrait de la maladie d’Alzheimer et n’avait plus de conversation possible, sauf ces fulgurances fragmentaires du passé. J’ai, à la fois, voulu retrouver ses origines pour pouvoir l’accompagner, et pour être avec lui, même en pensée dans ses derniers instants. Je me suis aussi demandé pourquoi j’avais été arabisant, ce qui m’avait amené là, et mon tchèque est totalement inexistant, à part quelques mots essentiels - je me suis demandé d’ailleurs si je n’avais pas appris l’arabe pour compenser l’absence du tchèque, la langue maternelle de mon père.»
Gilles Kepel reviendra au village natal de ses aïeuls en Tchéquie, parvient à réunir une grande quantité d’archives en tchèque qu’il mettra une dizaine d’années à faire traduire, et commence alors à recomposer cette épopée. «J’ai réélaboré une histoire, pour essayer de comprendre comment j’en étais arrivé là», dira-t-il. Sa maîtrise des outils de la recherche sociologique et politique lui sera précieuse pour aller droit au but et déchiffrer des parcours de vie croisés.
Abordant un nouveau genre d’écriture, Gilles Kepel a été attentif au style, ciselant chacune de ses phrases, racontant avec talent des souvenirs de famille, y ajoutant l’émotion et l’affection qui captent l’attention du lecteur.
Gilles Kepel
Enfant de Bohême
Collection Blanche, Gallimard
PRIX : 22,00 €
Disponible en format numérique:
Pdf : 15,99 €
Epub : 15,99 €
Lire aussi
Un nouveau livre de Gilles Kepel : « Enfant de Bohême », un récit romancé de son histoire familiale
- Ecrire un commentaire
- Commenter