Tunisie: Les Artistes de l’Ariana
Par Fakher Rouissi - Mon intervention lors de la journée d’étude sur la Mémoire Plurielle de la Ville de l’Ariana, organisée par la Mairie de l’Ariana, le Laboratoire du Patrimoine à la Faculté des Lettres, des Arts et des Humanités de La Manouba et le Bureau de la Coopération Académique de la Fondation Rosa Luxembourg.
Je me propose d’évoquer certains aspects de la vie culturelle de notre cité et de nous remémorer certains souvenirs qui ont marqué cette ville réputée pour sa vocation florale, pour son air pur et son environnement sain.
On l’a toujours considérée comme le poumon de la capitale et son cœur battant, le lieu préféré des tunisois, où on respirait à plein poumons le parfum des roses et du jasmin.
Pendant les deux guerres mondiales, de nombreuses familles juives ont afflué vers cette ville, pour se réfugier auprès de leurs proches pour échapper à l'oppression Nazie, Les communautés musulmane, juive et une minorité de confession chrétienne vivaient en parfaite symbiose jusqu’aux premières années de l’indépendance.
Cette cité a été un lieu de résidence et un lieu attractif de nombreux femmes et hommes de lettres et artistes:
La musique était omniprésente à travers des espaces créés pour l’art et les chants, les lieux de spectacles et les différents divertissements tels que "Le Safsaf", "Bir Bel Hassen", "café Gribaâ", qui ont vu affluer les troupes musicales et les meilleurs danseuses et danseurs ainsi que les ténors de la chanson tunisienne.
Pendant les mois d’été, on organisait des concerts qui duraient jusqu’à l’aube. Les affiches de Fathia Khairi et Maurice Mimoun étaient collées sur les murs de la ville au mois de Ramadan et on y entendait des chansons d’Acher Mizrahi, Hassen Bannane, Cheikh Afrit, Sayed Chatta, Fathia Khairi, Safia Echamia, Hana Rached, Doukha, Mohsen Raïes, Oulaya qui ont séjourné avec leurs familles à l’Ariana, et aussi Louisa Ettounsia, Ali Riahi, Saliha, Albert Guez dit Brahim Tounsi et le Oudiste Albert Perez.
Ayant contracté la tuberculose, Cheikh Afrit y a résidé jusqu’à sa mort en 1939, partageant son séjour entre le préventorium et la maison.
Peu de temps après, c’était le tour de Raoul Journo, qui lorsque les troupes allemandes s’installèrent à Tunis à partir de novembre 1942, est venu se cacher chez des amis pour fuir la terreur des nazis, et ne la quitta qu’au lendemain de la libération de Tunis par les troupes alliées.
Henri Tibi qu’on considérait le dernier des Mohicans, lui aussi était amoureux de l’Ariana, il y a passé de bons moments durant les années soixante sur les terrasses des cafés-bars : Les Roses de Ktorza et Hababou, Zanzibar de Zlassi et Hagège, soleil levant de Mardochée dit Khammoussa, Elâasfour et autres, où il chantait les poèmes d’Aragon et Breton "Les copains d’abord" de Georges Brassens, "Ne me quitte pas" de Jacques Brel.
On entendait aussi jouer, Ridha El Kalai au Violon, Hssan El Gharbi au Qanoun, Ali Sriti au luth ou encore Bechir Jouher à l’Armonica, Abdelmajid Harketi et Hedi Sanhaji à la violoncelle, Sadok Koumanji à la Darbouka ou au Tam Tam, à l’Accordéon ou au violon, l’Auteur-compositeur, l’acteur, l’instrumentaliste de la Rachidia, de l’Orchestre municipal de Tunis et le chef d’Orchestre à Radio-Tunis de 1946 à 1956 weld Ariana, le célèbre Kakino De Paz.
Les samedis soir après 'le Shabbat, une ambiance de fêtes régnait à la grande terrasse du café « Gribaâ », où on faisait toutes sortes d’animations, de jeux de loterie, de boules et de roulette. Les chanteurs et chanteuses, danseuses et danseurs, et les charmeurs de serpents faisaient leurs numéros devant la place du vieux Souk ou celle de Sidi Ammar.
Les festivités familiales à l’occasion des mariages, et les fêtes privées étaient animées par des artistes des deux confessions, où de Nombreuses chansons étaient interprétées par des juifs, alors qu’elles appartenaient à des musulmans, et vice-versa, assurées par des troupes composées par des célèbres instrumentalistes tels que Bichi Slama, Daniel Hagège, Meyer Riahi, Juliette Lellouche, Chouâa Kharroubi, Dalal El Masria, Sylvain Cohen et Maurice Benaïs…
L’Ariana s’est distinguée aussi à travers son histoire par l’attachement de sa population -confessions confondues- aux chants sacrés. Pendant les fêtes religieuses, on y assistait à des animations dans lieux saints, et des manifestations de rues et tels que "La Soulamia" au mausolée de Sidi Ammar, la "Âissaouiya" lors de la kharja de Sidi Boussaïd et également des chants d’" Oulède El Bayoute " (des enfants de cœur) lors des festivités de "Bar- Mitzva" au "Koutteb Kisraoui", des cérémonies religieuses du Rebbi Breitou ou Chouâa Kharroubi à la Ghribet Ariana.
En guise de conclusion, nous pouvons affirmer que l’Ariana était une ville ouverte à tout son espace environnant. Qu’elle était un agréable carrefour civilisationnel entre deux pôles historiques, à savoir : Carthage et Tunis. Elle était depuis la nuit des temps, de tolérance, de fraternité, de rencontres, où cohabitaient musulmans, Juifs et chrétiens, un havre de paix, où le droit à la différence est respecté.
Dépoussiérer notre mémoire collective, multiculturelle, raviver notre patrimoine matériel et immatériel pluriel est le devoir de nous tous.
Je remercie encore une fois tous les organisateurs de cette Journée et vive la Tunisie plurielle.
Fakher Rouissi
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