Khemaies Jhinaoui - La Guerre russo-ukrainienne, un an après : Quelles conséquences pour l’Afrique ?
Dans le cadre de la Décennie Nelson Mandela pour la Paix (2019- 2028), instituée par les Nations Unies, la Chaire UNESCO «Mémoire, Cultures et Interculturalité» a organisé les 24 et 25 février dernier à Université catholique de Lyon un colloque international sur le thème: «La guerre russo-ukrainienne, un an après: enjeux et perspectives». Le titulaire de la Chaire, le Professeur Roger Koudé a convié M. Khemaies Jhinaoui, président-fondateur du Conseil tunisien des relations internationales et ancien ministre des Affaires à traiter de l’impact de cette guerre sur le continent africain. (Voir le programme)
Texte intégral
Le 24 février 2022, 8 ans après avoir annexé la Crimée, la Russie a déclenché une attaque militaire contre l’Ukraine, qualifiée «d’opération spéciale». Dans son discours prononcé le 25 février 2022, le Président russe a indiqué que l’objectif de l’opération consiste à protéger les populations russes du Lougansk, Donbass et Donetsk des intimidations et du génocide du régime de Kiev et à «dénazifier» l’Ukraine.
L’Occident, précisait-il, n’a cessé depuis la chute de l’URSS, de provoquer la Russie et de menacer sa sécurité et son intégrité territoriale, en encourageant l’OTAN à poursuivre son expansion vers l’Est et en sollicitant l’intégration de la Géorgie en 2008, et l’Ukraine en 2014 dans le giron Atlantique.
Nous sommes donc aujourd’hui face à une crise géopolitique sans précédenthéritée de la guerre froide. Elle met fin à plus de 30 ans de stabilité relative en Europe et à l’ordre mondial, néaprès l’effondrement du système soviétique et la dislocation de l’URSS et du bloc socialiste. Un ordre caractérisé par le triomphe du système libéral et de l’économie du marché ainsi que par la domination du modèle de la démocratie libérale représentative.
Une année après son déclenchement,le conflit en cours,le premier d’une telle importance sur le sol européen depuis la deuxième guerre mondiale a eu au moins six conséquences immédiates et visibles à l’échelle mondiale:
1- L’OTAN, jugée en novembre 2021 par le Président français «en état de mort cérébrale», se trouve plus que jamais unie, mobilisant une grande partie de ses forces sur les frontières russes et arborant une solidarité «sans faille» entre ses membres. La Finlande et la Suède, deux pays neutres à la frontière de la Russie rejoignent l’OTAN. L’Ukraine continue à solliciter officiellement son adhésion à l’Alliance.
2- L’Amérique dont le leadership est de plus en plus contesté,par des pouvoirs émergents (Chine, Russie, BRICS) réclamant un ordre mondial multipolaire et qui avait entamé un repli stratégique sous le Président Donald Trump en réduisant sérieusement sa présence militaire à l’étranger revient avec force dans le monde et particulièrement en Europe et en Asie Pacifique.
3- L’Allemagne se réarme (100 milliards d’Euro budget de la défense), la France va investir 413 milliards d’euros la modernisation de son armée entre 2024 et 2030 .L’UE se solidarise avec l’Ukraine et son assistance militaire notamment en armements sophistiqués va in crescendo.Elle arrive au moins temporairement à mettre en sourdine ses dissensions internes et affiche, depuis la conclusion du traité de Maastricht (7 février 1992) une cohésion évidente au niveau des principaux axes de sa politique extérieure notamment vis-à-vis de la Russie.
4- Une rupture définitive semble s’opérer entre la Russie et l’Europe. Les sanctions européennes contre la Russie, l’usage du gaz comme arme dans la guerre élargit le fossé entre les deux parties et renforce les rapports transatlantiques. Moscou est convaincu que l’Europe n’a pas de politique propre et ne fait que suivre les injonctions de l’Amérique.
5- La Chine, l’Inde, l’Iran censés soutenir la Russie se montrent, à des degrés divers, hésitants dans leurs positions vis-à-vis de Moscou. L’Iran fournit des drones à Moscou, l’Inde et la Chine s’approvisionnent en énergie sur le marché russe et Pékin vient d’annoncer le 24 février 2023, un plan de paix en douze points appelant au retour au dialogue et s’opposant à tout recours à l’arme nucléaire. Pékin et Delhi, tout en s’abstenant ouvertement à condamner l’invasion russetiennent visiblement à ne pas froisser leur relation politique et économique avec l’Occident, notamment les USA.
6- En dépit des déboires des premiers mois de l’invasion et l’incapacité manifeste à réaliser ses objectifs militaires,la Russie reprend l’initiative,accomplit quelques avancées sur le terrain .Son économie manifeste une véritable résilience face aux sanctions imposées par l’Occident. Elle renforce son réseau de soutien et de sympathie auprès des pays en développement (Global South) notamment en Afrique et au Moyen Orient et en Afrique du Nord.
Quelles sont les conséquences de cette guerre sur l’Afrique?
I- Conséquences géopolitiques
Le Continent Africain se trouve géopolitiquement à la première loge de cette guerre.Les pays africains n’ont pas les mêmes capacités de résilience que les autres pays en Europe ou en Asie pour faire face aux conséquences désastreuses du conflit au double plan stratégique et économique.
Au niveau stratégique: A peine sortis d’une grave pandémie et souffrant de crises économiques et de gouvernance chroniques les pays africains se trouvent brusquement impliqués indépendamment de leur volonté, dans un jeu de confrontation stratégique entre grandes puissances. Une confrontation qui n’est pas la leur et ne sert nullement leurs intérêts.
Quatre conséquences stratégiques importantes pour l’Afrique:
1- Mise en cause de principes sacro saints du droit africain voire même du droit international sur le respect de l’intégrité territoriale, l’intangibilité des frontières et le règlement pacifique des différends.
Les rapports internationaux se trouvent brusquement et ouvertement soumis à la logique de la force plutôt qu’au règne de droit. Le recours à la force a été certes pratiqué avant par des puissances occidentales parfois en violation directe des Résolutions du Conseil de Sécurité ( tels furent les cas de l’invasion de l’Irakoude l’intervention en Libye) mais c’est la première fois qu’un membre permanent du Conseil de Sécurité, doté du droit de véto, décide unilatéralement d’envahir un pays voisin dans le cadre d’une opération militaire qu’il qualifie de «spéciale» invoquant des motifs sécuritaires et politiques qui lui sont propres et soulignant qu’en agissant de la sorte, il visait à protéger en dehors de ses frontières nationales «une minorité ethnique proche de sa population».
Ne disposant pas des mêmes leviers d’influence que les grandes puissances les Etats africains ont fait savoir dès le début des hostilités leur attachement au droit international comme référence exclusive pour réguler les relations internationales et en rejetant clairement tout recours à la force comme moyen de règlement desdifférends entre Etats.
2- Les Etats Africains ont réagi en rang dispersé face à l’action militaire russe.
La guerre en Ukraine a fragilisé davantage l’unité africaine face à une crise majeure que connaît la scène internationale. La crise ukrainienne a conforté une conviction largement partagée par la plupart des pays africains que l’ordre mondial actuel est un ordre essentiellement occidental répondant aux intérêts de l’Occident. Ne disposant d’aucune influence au sein du Conseil de Sécurité, l’Afrique qui occupe le plus important bloc au sein de l’ONU (25% des voix)demeure marginalisée dans la conception et la mise en œuvre des règles fondamentales régissant les rapports internationaux. Les multiples formes de propagande russe anti occidentale n’ont fait que renforcer le ressentiment anti-colonial et anti-occidental des africains. Les réactions des pays africains ont plutôt obéi à des considérations nationales qu’à une volonté de définir une position commune du Continent vis à vis de la crise ou à influer sur son issue .Cela s’est illustré d’abord lors du vote de la première Résolution l’Assemblée Générale des Nations Unies du 2 Mars 2021appelant « Moscou à un cessez-le-feu et à mettre fin immédiatement à son recours à la force contre l'Ukraine »ainsi que lors du vote de la Résolution du 12 octobre 2022 « condamnant les annexions illégales des territoires ukrainiens par la Russie ». Ils ont arboré pratiquement la même position lors du vote de la Résolution du 23 février 2023 exigeant «de nouveau que la Fédération de Russie retire immédiatement, complétement et sans conditions toutes ses forces militaires du territoire ukrainien et appelant à la conation des hostilités». En agissant de la sorte, les pays membres de l’Union Africaine ont manifestédes positions hétérogènes vis – vis de l’agression russe. Cela s’est illustré lors des votes des trois Résolutions. On compte au moins quatre positions:
2.1- Une position d’abstention: la Résolution du 2 mars 2021a été adoptée à une écrasante majorité avec 141 votants pour sur 191 membres de l’ONU.Nombre de pays africains (17 au Total) figuraient parmi les 35 pays qui se sont abstenus lors du vote : l'Afrique du Sud, le Mali, le Mozambique, la République centrafricaine, l'Angola, l'Algérie, le Burundi, Madagascar, la Namibie, le Sénégal, le Soudan du Sud, le Soudan, l'Ouganda, la Tanzanie et le Zimbabwe. Parmi les pays qui se sont abstenus figurent des alliés de longue date de Moscou, comme l'Algérie ou l’Angola. En règle générale, plus les liens avec la Russie sont étroits sur le plan militaire, économique et politique, plus les réactions africaines vis à vis de l’agression russe furent modérées.
Pour un nombre important de ces pays, le rapprochement avec la Russie est plus récent, ils ont donc tout intérêt à ménager leur nouvel allié. En effet, au cours des dernières années, la Russie a noué un certain nombre d'alliances militaires avec des gouvernements africains confrontés à des insurrections violentes ou à une instabilité politique, notamment la Libye, le Mali, le Soudan, la République centrafricaine et le Mozambique. L'importance de ces liens a semblé peser dans la manière dont ces pays ont réagi à l’action russe et sur la motivation de leur vote des deux Résolutions de l’AG de l’ONU. Le Soudan a même accepté la construction d’une base navale à Port-Soudan. Première dans la région cette base pourra accueillir jusqu'à 300 soldats russes ainsi que quatre navires militaires, dont un navire à propulsion nucléaire. En Centrafrique la présence russe est désormais bien ancrée et une statue fut même érigée pour célébrer le rôle de Wagner dans le dispositif sécuritaire du pays.
2.2- Soutien à la Russie: L'Érythrée estle seul pays africain à soutenir Moscou. Elle figure parmi les cinq pays qui se sont distingués par leur vote contre la résolution du 2 mars 2022, aux côtés de la Russie, de la Biélorussie, de la Syrie et de la Corée du Nord.
Le Mali a rejoint les sept pays qui ont voté contre la Résolution du 23 février 2023 (Biélorussie, Corée du Nord, Erythrée, Mali, Nicaragua, Russie et Syrie)
2.3- Vote Favorable: Ceux qui ont voté en faveur de La Résolution du 2 mars 2022 (28 pays africains) ont évité dans leurs déclarations, toute attaque frontale de l’action russe. Ils ont tenté d’expliquer leur vote par leur attachement au droit international qui interdit le recours à la force dans le règlement des conflits internationaux ou par leurs soucis de pousser les deux belligérants à s’asseoir autour d’une table pour régler pacifiquement leur conflit.En soutenant la Résolution de l’AG, nombre des pays concernés se souviennent du rôle de l'Otan dans la chute du régime de Mouammar Kadhafi en 2011 sans mandat explicite de l’ONU.
2.4- Non participation au vote: Huit pays africains dont le Cameroun, le Togo ou le Maroc, l’Ethiopie, la Guinée et le Burkina Faso ont choisi de ne pas prendre part au vote de la Résolution du 2 mars 2022. Le Maroc a justifié sa position en publiant un communiqué dans lequel elle assure «suivre avec inquiétude et préoccupation l'évolution de la situation» et «regretter l'escalade militaire». Le Royaume rappelle son «fort attachement au respect de l'intégrité territoriale, de la souveraineté et de l'unité nationales de tous les États membres des Nations unies», au «règlement des différends par des moyens pacifiques et selon les principes du droit international», et appelle à «l'intensification du dialogue et de la négociation» entre les parties du conflit.
3.1- La Russie a renforcé ces dernières années ses liens de coopération sécuritaire et économiqueavec plusieurs pays africains subsahariens.Comme durant la guerre froide Moscou semble remettre l’Afrique au centre de ces affrontements idéologiques et d’intérêts avec l’Occident. Outre la poursuite d’objectifs économiques, l’investissement russe en Afrique vise aussi à s’assurer le soutien des pays du Sud à sa politique étrangère (l’Afrique constitue le plus grand groupe régional à l’Assemblé Générale de l’ONU). L’entreprise russe Wagner est aujourd’hui présente dans au moins quatre pays africains: la Libye, le Mali, le Burkina Faso et la République Centrafricaine.
3.2- L’Afrique représente aussi le plus grand marché pour les armes russes. Moscou à vendu entre 2000-2006 pour 2 Milliard 400 millions de dollars à l’Afrique. Ces chiffre sont atteint en 2021 quelque 6 Milliards 700 millions de dollars d’armement. Les principaux clients sont (l’Algérie, l’Egypte, l’Ouganda, l’Angola et le Nigeria).
3.3 Au Maghreb, la Tunisie, la Libye et la Mauritanie ont voté en mars 2022 en faveur de la Résolution qui «déplore avec la plus grande fermeté l’agression russe». L’Algérie s’est abstenue et le Maroc a choisi de ne pas participer au vote.
La guerre en Ukraine renforce d’avantage les divisions au sein de l’UMA, et contribue à changer l’équilibre stratégique dans la Région en permettant aux deux pays exportateurs d’énergie (l’Algérie et la Libye) de disposer de moyens d’influence supplémentaire au Maghreb et surtout en Europe.
4- Divisée et se présentant au rang dispersé dans un monde en mouvement, l’Afrique risque de se voir davantage marginalisélors de la mise en place du nouvel ordre mondial.
4.1- En effet ne disposant pratiquement pas de levier sur l’ordre actuel, l’Afrique risque de paraître dans le grand jeu qui se dessine comme dépourvue de moyens nécessaires pour peser sur les décisions stratégiques dans le monde. Il est aussi fort probable que l’Occident et spécialement l’Europe obnubilée par les questions de sécurité notamment sur son flanc Est ne se détourne de l’Afrique. Une grande partie de ses ressources financières réservées à l’aide au développement seront investies dans l’effort d’armement et après à la fin des hostilités dans la reconstruction de l’Ukraine et la consolidation du rôle de l’OTAN en Europe et dans le monde.
4.2- N’étant pas un acteur principal de l’ordre en gestation l’Afrique risque de devenir un simple théâtre de confrontation stratégique des nouveaux pôles de pouvoir dans le monde. La compétition économique déjà acharnée entre les puissances étrangères sur le Continent risque de transformerle Continent en zones d’influencessur des bases idéologiques et sécuritaires. L’Afrique s’en sort encore plus divisée et son impact sur le cours des événements sérieusement entamé.
4.3- La guerre et les sanctions imposées par l’Occident contre la Russie ont sérieusement renforcé la capacité d’influence des pays africains producteurs d’énergie désormais courtisés par les pays européens à la recherche d’alternatives au gaz russe. Elle a d’avantage affaibli la majorité des pays importateurs de céréales et d’énergie.
5- Conflits régionaux La guerre ukrainienne, se déroulent au cœur de l’Europe, risque sérieusement de mettre en veilleuse les conflits régionaux en Afrique. Le Conseil de Sécurité, déjà profondément divisé sur la manière de résoudre les conflits régionaux sur le Continent, en particulier en Libye, se trouve pratiquement bloqué à cause du véto russe et des divergences d’intérêts entre membres permanents du Conseil de Sécurité. Cela ne fera que faire perdurer des conflits secouant plusieurs pays en Afrique (RDC, la Corne de l’Afrique, le Sahel, le Sud Soudan, le Nigeria).
5.1- Enfin la démocratie et les règles de bonne gouvernance, pourtant bien avancées au cours de la dernière décennie en Afrique se trouve reléguées au second plan face à la course effrénéeentre les puissances mondiales à la recherche de nouvelles alliances en Afrique et en Amérique Latine.
II- Conséquences Économiques
Plusieurs pays africains dépendent fortement des importations de blé, d’énergie et de matériaux nécessaires à la construction d’infrastructures en provenance de Russie et d’Ukraine.
1- Si elle se poursuit encore plus longtemps cette guerre pourrait conduire à de graves crises alimentaires dans une région déjà soumise à de fortes pressions économiques et sociales. La Russie et l’Ukraine comptent au total près de 30% de la production globale de blé et 80% de l’huile de tournesol .Les pays africains ont importé pour 4 milliards de produits agricoles en provenance de Russie en 2020 et pour 3 milliards en provenance d’Ukraine. Le blé représentait 69% de ces importations, le maïs 21% et l’huile de tournesol 6%, l’orge 3%et le soja 4%. Parmi les principaux pays importateurs se trouvent l’Egypte, le Soudan le Nigeria, le Maroc, la Tunisie, l’Algérie, la Libye, le Kenya, l’Afrique du Sud et l’Ethiopie. Ces importations constituent une part importante des importations totales des pays concernés et de ce fait revêtent un caractère stratégique dans la structure du commerce extérieur du Continent. L’Égypte à titre d’exemple est le plus grand importateur de blé avec 80% de ses importations provenant de Russie et d’Ukraine. De même l’Ethiopie et l’Afrique du Sud sont d’importants importateurs d’huiles de tournesol et de maïs russe et ukrainien. Le Continent Africain dans son ensemble est particulièrement dépendant de la Russie et de l’Ukraine pour certains produits alimentaires tels que le blé et l’huile de tournesol (45%) l’orge (30%). La guerre a aussi touché un autre secteur économique stratégique pour d’autres pays africains: le tourisme. Le nombre de touristes en Tunisie en provenance de la Russie est passé de 630.000 touristes en 2019 à quelques 50.000 seulement en 2022. Même tendance a été observée en Egypte.
2- La Russie et l’Ukraine sont aussi pourvoyeurs d’autres produits essentiels à l’Afrique tels que le soufre, les produits chimiques et les engrais, un produit essentiel en matière agricole. Ce qui rend la situation un plus dramatique c’est que certaines économies n’ont que peu d’options alternatives pour se procurer ces produitssur l’autres marchés et parfois à des prix exorbitants. L’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) affirme que la faim pourrait toucher 55 millions de personnes dans la région. Le conflit a également accru la pression sur les ressources énergétiques, faisant grimper les prix du pétrole et du gaz et d’autres produits de base, en particulier dans les pays non producteurs d’énergie.
3- L’impact de la guerre a été différemment ressenti par les pays africains, selon qu’on est producteur ou importateur d’énergie. Sur les 54 pays que compte l’Afrique, 11 sont de larges exportateurs. Les gains nets de l’augmentation récente des prix du gaz et du pétrole vont se traduire par une croissance de 4 à 6% du GDP des pays comme l’Algérie ou le Nigéria. Les bénéfices seront toutefois absorbés par l’accroissement des importations de produits céréaliers notamment pour l’Algérie, qui importe 40% de ses besoins en blé. Le Maroc, qui importe presque 60 % de ses besoins en énergie sera durement touché par l’augmentation des prix de ce produit sur le marché mondial. Ses importations en céréales risquent en outre de grever sérieusement sa balance de paiement. Ce pays grand producteur de produits agricoles, pourrait toutefois tirer profit des sanctions imposées par l’occident contre Moscou pour augmenter les exportations sur le marché russe.
En Tunisie, l’impact économique de la guerre en Ukraine viendra s’ajouter à la hausse des prix des denrées alimentaires et des carburants, principalement causée par les perturbations des chaînes d’approvisionnement post-Covid 19, rendant la situation insoutenable pour de nombreux Tunisiens. Le pays importe 50% de son blé de la Russie et d’Ukraine et la balance commerciale avec la Russie est largement déficitaire avec ce pays principalement en raison, notamment, de l’importation de produits céréaliers.
La hausse spectaculaire des coûts du pétrole brut Brent atteignant un niveau sans précédent en mars 2022, même si elle a diminué depuis, signale une aggravation du déficit budgétaire et une pression supplémentaire sur le Gouvernement pour identifier des sources de revenus supplémentaires à l’intérieur du pays et à l’étranger.
D’autres pays fragiles en Afrique, sont également exposés à l’impact négatif des hausses des prix des denrées alimentaires et des pénuries de produits céréaliers. Il y a de graves pénuries alimentaires dans ces pays et la guerre en cours en Ukraine rendra la vie encore plus difficile pour des millions de personnes confrontées au spectre de la famine.
Il est évident que la poursuite de la guerre ne fera qu’aggraver la situation économique dans plusieurs pays africains. Elle accentuera la division au sein du Continent africain. Les membres de l’Union Africaine, soumis à de grandes pressions de la part de la Russie et l’Occident, seront contraints pour sauvegarder leurs intérêts à choisir leur camp. Une situation intenable pour un Continent qui a multiplié ces dernières années les tentatives pour renforcer son intégration continentale et d’essayer de peser davantage sur la scène internationale.
Khemaies Jhinaoui
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