Habib Touhami - Tunisie: Première lecture des résultats de l’enquête de consommation 2021 de l’INS
L’enquête nationale sur le budget, la consommation et le niveau de vie des ménages effectuée par l’INS entre le 13 mars 2021 et le 8 mars 2022 indique que les dépenses de consommation en 2021 se sont élevées par ménage à 20.328 dinars (22.152 dinars en milieu urbain et 16.065 en milieu rural) contre 15.561 dinars en 2015. Pour sa part, la dépense annuelle moyenne par personne s’est élevée à 5.468 dinars en 2021 contre 3.871 dinars en 2015, soit une progression nominale de 41,3% au cours de la période 2015-2021 et une croissance annuelle moyenne de 5,9%. Considérant l’inflation, l’INS estime que la dépense annuelle moyenne par personne a connu une «quasi-stagnation» au cours de la période indiquée.
Dépenses moyennes en dinars par personne 1980-2021
Source : INS
Cette évolution a impacté les coefficients budgétaires. En effet, la part des produits alimentaires et des boissons non alcoolisées (nutrition) dans les dépenses de consommation est repartie à la hausse (30,1% en 2021 contre 28,9% en 2015), signifiant par là une réaffectation des dépenses de consommation en faveur du poste, à l’instar de ce qui s’est passé entre 1985 et 1990 suite à la crise économique de 1986 et de ses multiples impacts sur les revenus, les salaires et les prix.
Coefficients budgétaires 1980-2021
Source : INS
S’agissant du taux de pauvreté (pourcentage des individus affichant des dépenses de consommation inférieures au seuil de pauvreté), l’INS indique qu’il a augmenté entre 2015 et 2021, passant de 15,2% en 2015 à 16,6% en 2021. Quant au taux de pauvreté extrême, il s’avère qu’il n’a pas connu de variation notable au cours de la période indiquée, se stabilisant à 2,9, enregistrant malgré tout une hausse en milieu urbain et une baisse en milieu rural. Rappelons ici que le calcul des taux indiqués dérive directement du mode de fixation du seuil de pauvreté, ce dernier étant défini par l’INS comme «le niveau de consommation minimum en deçà duquel une personne est considérée comme pauvre». Ceci explique le décalage qui existe entre le mesuré et le ressenti, entre la méthode de l’INS et celle du ministère des Affaires sociales.
Taux de pauvreté et taux de pauvreté extrême 2005-2021 en %
Source: INS
Cependant, la méthode de l’INS reste opérante pour apprécier l’évolution des écarts régionaux. Ainsi, note-t-on entre 2015 et 2021 un léger recul de la pauvreté dans le Grand Tunis, une hausse relativement modérée dans la région du Centre-Est, une forte hausse dans les régions du Nord-Est, du Centre-Est, du Centre-Ouest et du Sud-Est contre une amélioration inattendue dans la région du Nord-Ouest. Globalement, la région du Centre-Ouest reste la région la plus marquée par la pauvreté (37,0%) et la région du Grand Tunis la moins marquée (4,7%).
Pauvreté par région 2005-2021 en %
Source: INS
Deux remarques sont à faire à ce propos. La pauvreté est manifestement fonction de la catégorie socioprofessionnelle du chef de ménage ainsi que de son niveau d’instruction. Nonobstant les retraités au sein desquels le taux de pauvreté s’avère être le plus faible (5,4%), constat qui appelle une analyse spécifique, les ménages les moins pauvres sont ceux dont le chef appartient à la catégorie «Cadres et professions libérales supérieures» (6,2%) et les ménages les plus pauvres sont ceux dont le chef est soit «chômeur» (41,3%), soit « ouvriers agricoles» (31,9%). Dans la même logique, on constate que les ménages les moins pauvres sont ceux dont le chef est d’un niveau universitaire (5,1%) et les ménages les plus pauvres sont ceux dont le chef est soit d’un niveau néant (23,5%), soit d’un niveau primaire (20,3%) et ce, contre une moyenne nationale de 16,6%.
A la question de savoir si la situation socioéconomique qui a prévalu entre 2015 et 2021 a impacté les inégalités sociales, l’INS répond par l’affirmative, mais dans le sens de la diminution des inégalités. En effet, l’indice GINI sur le plan national est passé selon l’INS de 36,5% en 2015 à 35,3% en 2021. Sur le plan régional, la seule région dans laquelle l’indice GINI a baissé (atténuation des inégalités sociales) est la région du Grand Tunis (de 35,6 à 30,4). L’INS impute cette baisse à la baisse de certaines dépenses des ménages les plus aisées pendant le Covid-19 en matière de voyage, transport, loisirs, etc. Ailleurs, l’indice GINI a augmenté légèrement dans le Nord-Est et le Sud-Est, un peu plus dans le Nord-Ouest, le Centre-Ouest et le Sud-Ouest.
Indice GINI 2000-2021
Source: INS
En son temps, la baisse de l’indice GINI entre 2010 et 2015 a donné lieu à beaucoup d’interrogations. Que dire alors de la baisse de l’indice enregistrée par l’INS entre 2015 et 2021 ! Ce que l’on sait avec quelques certitudes est que les crises sanitaires et économiques engendrent habituellement une augmentation de 1,5% en moyenne de l’indice GINI. Ce que l’on sait aussi est que l’indice GINI calculé à partir de la consommation a tendance à minimiser les inégalités par rapport à un indice GINI calculé à partir du revenu (le nôtre est calculé à partir de données sur la consommation). Ces faits laissent planer quelques doutes sur la crédibilité de la diminution des inégalités en Tunisie telle qu’elle ressort de l’évolution de l’indice GINI entre 2015 et 2021.
Structure de la dépense moyenne par personne par an 2021 (en dinars)
Habib Touhami
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