Hausse des prix des produits alimentaires: Le rocher de Sisyphe
Par Aïssa Baccouche - Le renchérissement des produits alimentaires est un phénomène récurrent. Tous les pays de la planète en pâtissent. Quand on regarde ce qui se déroule en ces temps tumultueux ici et ailleurs et les différentes panoplies adoptées pour y faire face, on ne peut que songer au roi de Corinthe, Sisyphe, et à son supplice.
Dans sa livraison du 3 Mars dernier le Monde a bien titré sur cinq colonnes à la une: «Hausse des prix alimentaires: l’autre risque social» en rappel e celui provoqué par la réforme des retraites. Il y est écrit dans les pages intérieures : «les étiquettes alimentaires ont gonflé de 14.5%. De quoi faire craindre un «mars rouge». Oyez ce que j’écrivais, à ce propos, il y a plus d’un demi-siècle.*
Il y a près de deux ans, le gouvernement introduisait une nouvelle réglementation en matière de contrôle des prix. C’est ainsi qu’un certain nombre de décrets et d’arrêtés ministériels furent promulgués dans ce sens. En réalité, il s’agissait pour les pouvoirs publics d’appliquer, au moyen de ces textes, la loi du 19 mai 1970. Celle-ci se rapporte, comme on le sait, aux modalités de fixation des prix et à la répression des infractions en matière économique.
En abrogeant l’ancienne règlementation qui datait de 1943, cette nouvelle loi ainsi que l’ensemble des textes suivants devaient dès lors constituer le cadre juridique dans lequel allait s'inscrire l’action gouvernementale en matière de prix.
Le décret n°70-543 du 24 octobre 1970 relatif aux régimes de fixation des prix des produits, marchandises et services.
• Le décret n°70-544 paru à la même date et relatif aux prix de revient et aux prix de vente au stade de la production des produits fabriqués localement. L’apport le plus important dans ce texte est l’introduction dans la fixation des prix de la notion de la marge brute.
• Le décret 70-545 paru également à la même date et relatif aux prix de vente des marchandises soumises à auto-homologation (au stade de la production). L’un des apports de ce texte est d'avoir interdit le cumul des marges bénéficiaires.
D’autre part, il faut noter l’apparition sur le journal officiel de deux arrêtés ministériels (dont l'un a dû être abrogé en l’espace de 7 mois) et qui complètent pour l’instant la série de mesures prises par le gouvernement en matière des prix.
Il s’agit d’abord de l’arrêté du 26 octobre 1970 relatif aux mentions obligatoires à porter sur les factures. L'autre arrêté pris initialement le 21 février 1971 est relatif à la fixation des taux de marque applicables sur les prix de revient de certains produits soumis au régime de l’auto-homologation. Les péripéties qui ont entouré son application en disent long sur les difficultés qu’éprouvent les pouvoirs publics sur le front des prix`. Néanmoins l’action gouvernementale semble devoir aboutir, ne serait-ce que dans le secteur des biens industriels et d’une façon générale dans celui des produits transformés. Or, il est évident que ce n’est pas de ce côté que l’on enregistre les fortes baisses des prix.
L'indice du coût de la vie en 1971 a certes enregistré par rapport à 1970 une augmentation de 6,9% (base: 100 en 1962) ou de 5.7% (base : 100 en 1970) mais cette augmentation est due pour une grande part au renchérissement des produits alimentaires. C’est ainsi qu’en 1971, l'indice de l’alimentation s’est établi à 110,3 (base : 100 en 1970). Au mois de mai 1972 cet indice s’établit à 113.2.
Comment expliquer cette hausse dont l’ampleur est telle que le pouvoir d’achat des consommateurs est sérieusement détérioré par la faible progression de la production agricole ou bien par l’expansion de la demande soutenue par le développement touristique ou bien encore par la conjonction de ces deux facteurs? Ne faut-il pas également chercher une explication même partielle du côté des coûts de la production (poids des charges fiscales, rareté du crédit, etc.)?
Dans ces conditions, ne serait-il pas souhaitable que l’action des pouvoirs publics ne se limite point à un contrôle des prix des denrées alimentaires (à supposer qu’il soit exercé avec le maximum de célérité et de rigueur) mais qu’elle s'étendre d’abord à la compression des coûts puis ensuite au développement de l’offre par le biais du crédit qui constitue comme on le sait un levier essentiel pour l’accroissement de la productivité agricole. Tels sont, estimons-nous, quelques éléments d’un programme de lutte contre le renchérissement des denrées alimentaires. Lutte qui acquiert d’ores et déjà la priorité absolue sur le front de l’inflation.
Aïssa Baccouche
* La Presse de Tunisie du 30/09/1972
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