Tunisie: Natalité et climat politique et socioéconomique
Par Habib Touhami - Mon voisin et condisciple feu Khemaies Taamallah, universitaire et démographe de renom, m’a posé, peu après le 14 janvier 2011, la question de savoir si l’évolution de la natalité en Tunisie dans les années à venir pourrait être impactée par la révolution tunisienne. J’ai répondu que c’est possible mais qu’il faut attendre au moins dix ans pour se prononcer. Les données démographiques publiées récemment par l’INS sur la période 2010-2021 apportent un début de réponse à la question.
En 2021, le nombre de naissances en Tunisie a atteint 160.268, alors que l’indice synthétique de fécondité (ISF) chute à 1,8; un niveau qui le situe au-dessous du seuil de remplacement des générations (2,1).
En comparant ces naissances à celles enregistrées au début des années soixante (aux environs de 180.000 en 1960, 61, 62,63) et aux effectifs des femmes en âge de procréer, le constat interroge, bien qu’il faille faire la part des choses tenant compte des grandes évolutions sociologiques connues par la Tunisie depuis plus d’un demi-siècle. En fait, le nombre de naissances a continué à augmenter entre 2004 et 2014, passant de 177.632 en 2004 à 225.887 en 2014 mais il a amorcé peu après une tendance à la baisse qui ne s’est pas démentie jusqu’ici.
Depuis 1956, l’évolution de la natalité en Tunisie a dépendu de cinq facteurs principaux : l’âge du premier mariage, la contraception, le taux de célibat, l’éducation et l’activité. Ces facteurs se sont accordés et ont changé alternativement d’impact au cours du temps. Lors de la période 1956-1966 par exemple, c’est l’âge du premier mariage des femmes qui a joué le rôle le plus important dans la mesure où il a eu des incidences tout à la fois sur le célibat et sur la fécondité. Quand il augmente, la durée du célibat augmente et la durée d’exposition aux risques de procréation diminue, puisqu’en Tunisie, comme dans l’immense majorité des sociétés arabo-musulmanes, le mariage reste le seul cadre légal, socialement et culturellement, pour la procréation.
Le nombre de mariages au cours de la période 2010-2021 a baissé, passant de 96.335 en 2010 à 71.572 en 2021 avec un pic haut en 2014 (110.830) et un pic bas en 2020 (65.630), pic que l’on pourrait lier tout aussi bien au Covid-19 qu’à d’autres considérations démographiques (effectifs des populations concernées par le mariage) ou psychologiques ou matérielles. Il semble par contre que l’âge du premier mariage des femmes n’ait pas enregistré au cours de la période indiquée des modifications notables et ce, contrairement à la période 1966-2014 dans laquelle il est passé de 20,9 ans en 1966 à 29,1 ans en 2004 pour baisser à 28,6 ans en 2014.
Si on se réfère aux projections de la population pour la période 2014-2044 effectuées par l’INS dans le cadre de la préparation du Plan 2016-2020 avec l’apport du Fonds des Nations unies pour la population (Fnuap), on constate une différence entre la population effective et la population projetée pour l’année 2021 par exemple. En effet, la population projetée pour 2021 oscillait entre 11.954.778 (hypothèse de fécondité basse) et 11.987.172 (hypothèse de fécondité haute), alors que la population constatée a été estimée à 11.763.857 seulement au 1er janvier 2021. On peut considérer, au vu de ces considérations, que la baisse de la natalité est plus forte que prévu, mais peut-on affirmer pour autant que le climat de l’après-14 janvier 2011 y a joué le premier rôle ? Peut-être, mais il faut attendre quelques années encore pour le confirmer.
Habib Touhami
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