Habib Bourguiba: La mort du lion
Par Aïssa Baccouch - Il était une fois un vieux lion qui, le 6 du mois d’Avril de l’an 2000, devait, comme tous les mortels, rendre l’âme. Jugurtha, c’est son nom d’emprunt, allait passer ses dernières années de vie, claquemuré dans une case aux environs d’un monastère.
Victime d’un fennec qu’il croyait apprivoiser, il dut ruminer la souvenir immortalisé par M. de la Fontaine dans l’une de ses fables(1).
Sans dents ni griffes, voilà
Comme place démantelée
On lâcha sur lui quelques chiens
Il fit fort peu de résistance
Amour, Amour, quand tu nous tiens
On peut bien dire «Adieu prudence»
Le jour de son trépas, son corps fut transporté à bord d’un aéroplane aux armoiries du fennec pour être exposé dans l’arène où le lion, du temps de sa splendeur, présidait aux destinées de la grande forêt, célèbre par son épithète: la verte.
Mais il fallut prendre moult précautions pour ne pas drainer la foule des visiteurs. Car vif ou mort, il inspirait toujours crainte et embarras, notamment pour ses geôliers. Les visiteurs étaient triés sur le volet. Les élus furent guidés manu-militari jusqu’au cercueil placé à même le sol avec pour seul accessoire un chevalet supportant une photo du défunt dans sa plus mauvaise posture de mourant.
La petitesse de ce procédé tragi-comique suffira-t-elle à étancher la hargne de ceux qui voulaient en finir avec la légende du «lion suprême». Que nenni. Nous allions voir ce que nous n’allions pas voir.
Les funérailles devaient être transmises Urbi et Orbi. Les chroniqueurs étaient sur le qui-vive pour commenter l’évènement. Mais point d’images! Plutôt des scènes en boucle de vie animale. On croyait regarder à la petite lucarne, la chaîne Géographic.
Plus qu’un crime, ce fut une faute. Irréparable!
Abasourdi et peiné de ce déni d’information, l’un des commentateurs, qui avait rendu visite au lion quelques temps après sa séquestration dans son dernier repaire, exprima son dépit en rappelant que son hôte lui avait demandé de se rendre, à son retour à Paris, à la rue de l’estrapade(2).
C’est que le lion de Numidie, fin lettré et qui avait fait ses humanités au pays des Gaules près des arènes du Lutèce et de la montagne Sainte-Geneviève, savait manier le style allégorique.
A l’instar du lion mythique de Némée(3), il voulait révéler son supplice tout en trompant la vigilance des grandes oreilles du fennec.
En étant accompagné puisqu’à sa dernière demeure, qu’il avait fait construire lui-même, il dut se remémorer les vers de l’un de ses poètes préférés(4) qu’il déclamait allègrement devant l’Eternel.
Et, sans daigner savoir comment il a péri,
Referme ses grands yeux, meurt sans jeter un cri…
A voir ce que l’on fut, sur terre et ce qu’on laisse,
Seul le silence est grand; tout le reste est faiblesse(5).
Là où il se trouve, le lion bien-aimé doit savourer cette strophe due à un autre préféré(6) dans «Le Zénith».
Mourir où les regards d’âge en âge s’élèvent,
Où tendent tous les fronts qui pensent et rêvent!
Où se règlent les temps graver son souvenir!
Fonder au ciel sa gloire, et dans le grain qui sème
Sur terre propager le plus pur de soi-même
C’est peut-être expirer, mais ce n’est pas finir.
Aïssa Baccouche
1) Le Lion amoureux
2) L’estrapade: une méthode de torture utilisée au Moyen-Age où le bourreau attache les bras de la victime à des cordes puis la hisse jusqu’à la suspendre et la laisse tomber brusquement mais sans laisser le corps toucher terre.
3) Créature fantastique à la peau invulnérable, tué par Héracles et immortalisée par le peintre flamand Rubens (1577-1640)
4) Alfred de Vigny (1797-1863)
5) La mort du loup
6) Sully Prudhomme (1839-1907).
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