News - 20.04.2023

Yadh Ben Achour: L’éthique des révolutions

Yadh Ben Achour: L’éthique des révolutions

Les révolutions sont-elles mues par une éthique ? C’est à cette interrogation que s’emploie à répondre Yadh Ben Achour dans un nouvel ouvrage sous le titre de  L’éthique des révolutions, paru aux Éditions de la Maison des sciences de l’homme, Paris.

Tour à tour, l’auteur traite de la genèse et la problématique du concept de révolution, des causalités, des finalités et de la phénoménologie, de l’éthique des révolutions démocratiques, des révolutions et les religions et des révolutions serviles et indépendantistes. Il réserve la dernière partie aux révolutions africaines et dans le monde arabe.

Extraits

A première vue, éthique et révolution n’appartiennent pas au même registre conceptuel. L’éthique est un acte de pensée en vue du bien-agir, la révolution, un fait historique. Et d’un fait, qu’il soit de nature ou d’histoire, on ne peut déduire, enseigne la philosophie, une prescription à caractère éthique. Une révolution, par ailleurs, c’est la confrontation des droits et des intérêts, la guerre des statuts et des positions. Elle s’achève toujours par une inscription au grand compte des pertes et des profits. Les idéaux, les prescriptions et les ordres moraux n’y ont pas cours.

Qui pourrait cependant discuter le fait que toutes les révolutions, depuis l’antiquité la plus éloignée jusqu’aux récentes révolutions africaines et dans le monde arabe, tentent de répondre à cette question lancinante de l’histoire humaine : comment en finir avec la servitude, la pauvreté, l’humiliation, la discrimination qui semblent éternellement coller à l’histoire des sociétés dans leur fonctionnement interne aussi bien que dans leurs rapports mutuels? Comment assurer l’équilibre optimal des intérêts et la justice des partages ? Que faire pour soulager ou supprimer la condition souffrante ?

La révolution, dans son concept, vient répondre à ces questions majeures, qu’elle se révèle sous les traits d’une révolution servile ou indépendantiste, sociale, politique ou religieuse. Les révolutions sollicitent l’éthique et cette dernière anime leur dynamique.

Chaque révolution en effet prétend ouvrir les portes d’un monde nouveau avec des principes en vérité aussi anciens que notre Terre. Toutes les figures prophétiques ou sapientiales, les utopiens eux-mêmes, tous les chefs des révolutions serviles, tous les héros des révolutions indépendantistes, tous les révolutionnaires modernes, n’ont fait que rappeler, contre les défaillances de notre mémoire et les ravages de notre volupté, ces mots d’une profondeur et d’une simplicité verlainiennes : dignité, liberté, égalité, fraternité.

Dans le monde islamique, le fait révolutionnaire, désigné en général par thawra, est appréhendé par les classes de l’orthodoxie (gens du pouvoir, gens du savoir et peuple majoritaire des croyants), comme hérésie, zandaqa, crimes d’insoumission, ‘isyân, déviance, khurûj, discorde, fitna, renversement, intifâdha, guerre interne, harb ahliyya. Une révolution est l’incarnation du mal, la désinstauration du monde établi par le Créateur. Pour lui plaire, il est impératif de restaurer l’ordre initial de la nature des choses. Cela n’a pas empêché les révolutions de rythmer la longue histoire de la civilisation islamique…

Le phénomène révolutionnaire est, oserai-je dire, l’un des plus vieux instituants de notre monde, depuis Abel, le premier révolutionnaire de nos légendes monothéistes.

Cette portée éthique des révolutions doit être cependant abordée avec prudence. En effet, une révolution ne profite pas à tous. Elle n’a de sens que pour ceux qui en profitent directement, n’est pas porteuse de valeurs pour tous. Ni les esclaves, ni les amérindiens, ne profitèrent de la révolution américaine ; ni les paysans, sauf rares exceptions, ni les ouvriers, de la Révolution française qui eut par ailleurs le mérite d’être abolitionniste; ni les Algériens, après les révolutions de 1830 et de 1848. C’est cependant à la suite d’une longue évolution historique que toutes ces victimes finirent par retourner les idéaux révolutionnaires contre leurs bénéficiaires, pour réclamer les mêmes droits à leur profit. Démarche classique en histoire. L’éthique impuissante, vaincue, n’avertit pas de ses retours et ne sonne pas avant d’entrer.

Chaque révolution a ses Lumières. Je traduis : son « Au nom de quoi ? », jeté à la face du dictateur, du maître de la terre ou des êtres, de l’exploiteur du travail d’autrui, du conquérant...

Cette éthique des révolutions inspire l’histoire, lui donne des directions, détrône rois et empereurs, renverse les souverainetés, anime les résistances et les sacrifices, alimente les colères. S’il est vrai que notre monde est un océan de malheurs et d’injustices, de calculs et d’intérêts « bien compris », nous observons que, à l’intérieur même des invincibles vagues de sa fureur, le combat contre la souffrance est un combat toujours ressuscité, à peine murmurant victoire, toujours criant espérance, car, n’étant jamais atteint par la défaite, pour lui, la mort n’existe pas.

Liberté

Yadh Ben Achour a inséré en guise de prologue de son ouvrage, un poème de son inspiration:

De l’être, insécable moitié,
Tu es la fibre première,
Le cosmos et le terroir
Et la chair de ma pensée,

Tu es la joie perpétuelle
De la remontée dans l’histoire,

Sapientiale exaltation,
Jouissance,
Volcanique coulée,
Espérance,
De toutes nos révolutions.

Tu es élue par des seigneurs,
Des sujets sans nul maître,
Tatouant ces mots sur leurs cœurs :
«Tout en nous est majesté».

Tu es la reine du voyage,
L’année lumière de mon temps,

La force de mon Mi‘râj (1)
La nudité de l’étant.

Tu es le chant et l’extase
L’universelle élévation,
Bûrâq(2) ailé fendant le ciel
De mon ultime occultation.

Tu es la magique potion
De ma régénération,
La divine incantation
De l’Injîl(3) et du Coran,
L’Isrâ(4) vers l’immense apanage

De toutes mes visitations(5)
Avec les prophètes et les sages
Qui possèdent entre leurs mains
Les divans de ton message.

Liberté originelle,
Tu es l’aînée de tous les dieux
Bénissant les fruits de ton sein.

L’éthique des révolutions
De Yadh Ben Achour
Éditions de la Maison des sciences de l’homme, Paris

1. En islam, l’ascension céleste du Prophète après le voyage nocturne (voir la note 4).
2. En islam, le cheval ailé portant le Prophète vers le ciel.
3. L’Évangile en arabe.
4. L’Isrâ, en islam, est le voyage nocturne du Prophète de la Mecque à l’esplanade du Temple.
5. Sur la Visitation de Marie à Élisabeth, voir Luc 1, 39 à 45


 

Vous aimez cet article ? partagez-le avec vos amis ! Abonnez-vous
commenter cet article
0 Commentaires
X

Fly-out sidebar

This is an optional, fully widgetized sidebar. Show your latest posts, comments, etc. As is the rest of the menu, the sidebar too is fully color customizable.