Tunisie: Quand un journal destourien se trouve interdit de paraître après l’indépendance
Par Abdelkader Maalej - En 1945 un professeur d’arabe du nom de Tahar Smaoui eut l’idée de fonder un journal rodestourien destiné à être un tant soit peu le porte -parole du Parti libre destourien en lutte alors contre le colonialisme français.
Il entra en contact avec le leader destourien Salah Ben Youssef afin de négocier avec lui la réalisation du projet. Un désaccord surgit entre les deux hommes à propos de la personne à qui on devait dédier le premier numéro et le projet tomba à l’eau. Trois années plus tard et plus exactement en 1948 Tahar Smaoui décida de faire tout seul paraître son journal dont le premier numéro fut publié le samedi 28 février 1948. Dans l’éditorial le fondateur du journal relata l’échec de la tentative de publier le journal avec la collaboration du leader destourien Salah Ben Youssef. Mais après 7 livraisons seulement et vu les difficultés rencontrées par le fondateur pour pouvoir obtenir le papier nécessaire pour faire paraître le journal Tahar Smaoui décida de céder la gestion de son entreprise aux leaders du Parti destourien et un accord fut conclu entre les deux parties signé au mois de mars 1948 signé par Hédi Nouira au nom du Parti destourien. Ali Balhawen fut désigné rédacteur en chef du journal et rédigeait régulièrement l’éditorial du numéro intitulée bissaraha (En toute franchise) alors que d’autres leaders connus du parti rédigeaient les autres articles du journal. Mongi Slim se vit accorder la direction administrative et financière de l’entreprise. Dans le numéro du 11 mars 1951 Farid Bourguiba publia un article où il évoqua la répression exercée par le maréchal Juin au Maroc. Le journal fut saisi et cessa définitivement de paraître.
Au lendemain de l’indépendance Tahar Smaoui voulut reprendre la publication de son journal; un numéro fut imprimé au mois de février 1974 dont je garde encore un exemplaire, mais contre toute attente le journal ne fut pas autorisé par les autorités à être diffusé. La raison de cette interdiction était à mon humble avis due au fait que le numéro comportait un fac simulé du numéro de 1948 où le fondateur relatant l’échec de la tentative de publier le journal avec la collaboration de Salah Ben Youssef devenu à l’époque un personnage non grata répugné par le régime du Président Habib Bourguiba.
En ma qualité d’historiographe de la presse tunisienne je n’ai pas cessé d’essayer de savoir les vraies raisons de l’interdiction du journal après l’indépendance et plus exactement en 1974 alors que feu Hédi Nouira était le Premier ministre de Bourguiba au lendemain de l’échec de l’expérience collectiviste en Tunisie. Lors de l’une des réunions du club de vendredi qui se tenaient à Radès dans le domicile d’un grand magistrat tunisien j’ai profité de la présence de feu Hédi Nouira qui avait cédé sa place à feu Mohamed Mzali en raison de son état de santé visiblement devenu très précaire, j’ai poliment demandé à Si Hédi Nouira quelles étaient les raisons de l’interdiction du journal Al Horriya alors qu’il était Premier ministre. Il me répondit que c’était la direction du parti qui avait pris cette décision.
Lors d’une réunion littéraire tenue au siège de l’association des Anciens du Collège Sadiki j’ai également profité de la présence de feu Mohamed Sayah personnalité politique très rapprochée de Bourguiba pour lui poser la même question. Il me répondit qu’il n’était pas à cette époque directeur du PSD. Non convaincu par cette réponse je suis revenu aux sources historiques pour vérifier l’authenticité de ces allégations. J’ai découvert que Mohamed Sayah était en fait directeur du parti pendant deux mandats. La deuxième puisque c’était la période qui nous intéresse s’étendait du 5 juin 1973 au 25 mai 1980 et c’était par conséquent lui qui avait interdit la diffusion du nouveau numéro du journal Alhorriya. Pourquoi avait il donc nié son geste. Nous n’avons pas une réponse claire à cette question, mais de toute vraisemblance le numéro fut interdit parce qu’il renfermait comme nous l’avons supposé ci haut une reproduction du premier numéro du journal où le fondateur avait relaté son intention de publier son journal avec la collaboration de feu Salah Ben Youssef personnage répugné par Bourguiba et ses sbires.
Abdelkader Maalej
Ecrivain tunisien auteur de plus de 20 livres dont 7 sont consacrés à l’histoire de la presse en Tunisie.
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