Un élevage résilient face au réchauffement climatique, thématique de la conférence internationale 2023 de l’ICAR, Tolède (Espagne)
Par Ridha Bergaoui - Les dernières pluies ont été certes très bénéfiques et ont eu des effets spectaculaires tant sur le moral des gens, en premiers les agriculteurs directement concernés, que sur certaines cultures, les parcours et les niveaux des nappes et des réserves hydriques dans les barrages. Cependant, elles ne mettent pas en cause le phénomène du réchauffement climatique mais confirment bien le dérèglement et le changement climatiques que la planète est en train de vivre.
Phénomène mondial et global, le réchauffement, et sa conséquence le changement climatique, est probablement irréversible. Il s’accélère, et s’amplifie même, et aura des conséquences graves sur toutes nos activités quotidiennes, notre état de santé et l’un des facteurs importants de l’émigration (émigration climatique) et le déplacement de millions d’habitants. Les disponibilités en eau potable ne cessent de se réduire et l’agriculture, fournisseur de nourriture, d’aliments et de matières premières pour les industries agro-industrielles alimentaires est particulièrement touchée et les systèmes perturbés.
L’élevage et les défis environnementaux
Les animaux d’élevage se trouvent confrontés aux effets négatifs du réchauffement climatique soit directement en s’exposant à la chaleur et au stress thermique qui a une incidence néfaste sur l’état de santé, les productions et la longévité de l’animal, soit indirectement suite à une réduction des disponibilités fourragères et alimentaires. Ils contribuent par ailleurs au réchauffement climatique par l’émission de gaz à effet de serre (GES), notamment la production du méthane entérique surtout par les ruminants, mais également par les effluents d’élevage (fumier, purin et lisier) et la production des aliments du bétail. Il est également un important utilisateur des ressources: énergie, eau, terres et nutriments.
L’élevage demeure toutefois un secteur pourvoyeur de protéines animales nobles et importantes pour l’alimentation humaine (viande, lait, œufs). Il permet également de valoriser des parcours et des terres incultes ou des déchets et sous-produits des cultures et agro-industriels.
Le développement de l’élevage doit concilier à la fois la raréfaction des ressources, surtout l’eau, et les contraintes environnementales particulièrement la lutte contre le changement climatique face à une demande mondiale de plus en plus croissante.
Pour toutes ces raisons, l’International Committee for Animal Recording (ICAR) a retenu, pour sa conférence annuelle, le thème: «ÉLEVAGE POUR LA RÉSILIENCE: transition de divers systèmes d’élevage vers l’avenir».
La conférence ICAR 2023 à Tolède
Cette conférence s’est tenue à Tolède, en Espagne du 21 au 26 mai 2023. Tolède, située à 70 km au sud de Madrid, est la capitale de la région «Castille-La Manche». C’est une magnifique très vieille ville réputée par ses multiples monuments historiques. Elle a connu une grande présence musulmane (de l’an 712 à 1085) puis une importante domination juive. Appelée «ville aux trois cultures», son centre, où se côtoient à la fois des quartiers et monuments musulmans, juifs et chrétiens, est classé par l’UNESCO, au patrimoine mondial.
Les travaux de la conférence se sont déroulés au sein du prestigieux «Centre de Congrès El Greco» qui rallie à la fois modernité, fonctionnalité et harmonie. Construit dans la roche, il s’intègre parfaitement au cadre historique de la partie ancienne de la ville de Tolède.
La conférence a été organisée par la Fédération Royale Espagnole des Associations de Race Pure (RFEAGAS). Le programme de la conférence était très riche et très varié et comporte 12 sessions qui tournent autour de:
• L’identification des animaux, enregistrement et collecte des données
• Les stratégies d’adaptation au changement climatique
• Les stratégies d’atténuation du changement climatique
• Le suivi du bien-être animal
• Les appareillages et matériel de mesure et de contrôle.
A côté des conférences et des travaux en salles, un grand espace d’exposition a été réservé à la présentation, par les nombreux sociétés et organismes, des dernières versions de leur matériel, équipements et services dans le domaine du contrôle du lait, d’identification des animaux, de suivi des élevages…
Près de 350 scientifiques de haut niveau, de 35 pays (Allemagne, France, Pays-Bas, Danemark, Irlande, Belgique…) étaient présents à cette manifestation internationale.
La résilience face au réchauffement climatique
Plus que les guerres, les épidémies et les catastrophes naturelles (tsunamis, tremblements de terre…), le réchauffement climatique, par son caractère planétaire, global et permanent, représente une réelle menace pour l’humanité, la biodiversité et toute la vie sur terre.
Ce réchauffement est la conséquence de l’accumulation dans l’atmosphère de gaz à effet de serre (CO², méthane, N2O…) d’origine anthropique suite à l’activité humaine (hydrocarbures, transports, industries, agriculture etc.). Malgré les efforts déployés par tous les pays pour freiner et ralentir le réchauffement climatique, la température moyenne à la surface du globe (estimé à +1,5°C depuis l’ère industrielle) a tendance à augmenter et s’amplifier. Tous les pays sont appelés à réduire leurs émissions de GES et s’adapter au dérèglement climatique devenu évident et manifeste. La solution passe par la réduction des émissions de GES et viser dans une première étape au moins la neutralité carbone et la transition écologique.
Les stratégies, pour faire face au réchauffement climatique sont l’atténuation et l’adaptation. L’atténuation vise à réduire les émissions de GES et l’augmentation du stockage dans des puits de carbone (océans, forêts…). Quant à l’adaptation, il s’agit surtout d’ajustement des systèmes afin d’atténuer les effets du changement climatique. L’objectif étant d’avoir des systèmes résilients qui sont capables de surmonter les chocs et les perturbations et sont capables de rebondir et de retrouver une situation de stabilité.
La recherche, levier principal pour combattre le réchauffement climatique
La planète est en train de vivre une situation exceptionnelle et il est primordial de trouver les solutions adéquates pour pouvoir lutter contre le réchauffement et s’y adapter. Seule la recherche scientifique est capable de trouver les réponses adéquates à ce nouveau défi. Il est nécessaire de trouver les moyens d’adapter nos systèmes de production pour continuer à produire et à s’alimenter. L’agriculture contribue à la hauteur de 18% des émissions de GES. Elle représente également un moyen important de stocker le carbone particulièrement dans le sol et grâce à la photosynthèse des végétaux (forets, parcours et cultures).
En matière d’élevage, il est nécessaire de tout repenser pour une meilleure résilience, tout en essayant de réduire l’empreinte carbone au maximum. Il est nécessaire de trouver de nouvelles approches en alimentation animale, sélection animale, conduite et gestion des animaux et des fermes d’élevage.
Pour la production de méthane, une grande variation inter et intra-races existe et il possible de sélectionner des animaux qui produisent moins de méthane entérique. Il est également possible de modifier les fermentations au niveau du rumen par une alimentation équilibrée et des additifs adéquats. Des études sur les animaux en situation de stress thermique permettent d’évaluer et de quantifier les effets sur leur degré l’inconfort et la santé. Par ailleurs, une importante variabilité individuelle existe également en matière de tolérance au stress thermique (avec maintien de la fertilité et une bonne stabilité de la production laitière, et la longévité) avec la possibilité de sélectionner des animaux thermorésistants.
Des équipes multidisciplinaires et plurinationales sont en train de travailler sur toutes ces thématiques afin d’élargir le niveau de nos connaissances actuelles afin de trouver les réponses adéquates et innovantes. Ces études font de plus en plus appel à des méthodes, des techniques et des instruments de plus en plus sophistiqués (capteurs, caméras, techniques de simulation, génomes des animaux…). Elles se font aussi bien au laboratoire que sur le terrain en utilisant des effectifs d’animaux suffisamment importants et représentatifs. Ces études reviennent très chers mais sont à moyen terme rentables et c’est pour cette raison que des entreprises et des industriels se sont associés et financent en partie cette recherche.
La Tunisie, autant que la plupart des pays méditerranéens, est directement touchée par le réchauffement climatique, la canicule et le manque de pluie ainsi que leurs conséquences graves sur les disponibilités en eau potable et d’eau pour l’agriculture et l’irrigation. Ce changement climatique met en danger la sécurité nationale en général et agricole et alimentaire en particulier. Il est nécessaire de s’adapter et de trouver des solutions afin d’évoluer vers des systèmes résilients. Quoi que la Tunisie ne soit pas grande productrice de GES et que nos élevages ne sont pas si polluants et ne produisent pas autant de méthane, il est toutefois indispensable de lutter contre le réchauffement climatique et de réduire nos émissions de GES.
Un grand effort doit être fait pour s’associer aux équipes internationales travaillant sur ces thématiques, devenues prioritaires, pour échanger, s’informer et avancer rapidement. L’expérience Espagnole est particulièrement intéressante surtout que ce pays nous ressemble beaucoup avec de nombreux points communs. Plus particulièrement en matière de stratégie pour la lutte contre le réchauffement climatique, l’Espagne se trouve exposée autant que la Tunisie et passe également par un épisode grave de sécheresse et de manque d’eau. Il est enfin primordial de faciliter et de permettre à nos chercheurs d’assister à de telles rencontres internationales de grand intérêt.
Ridha Bergaoui
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