Abdellaziz Ben Jebria: Y a-t-il une relation entre obésité et asthme?
L’obésité et l’asthme constituent tous les deux des préoccupations légitimes en santé publique, puisque leurs prévalences ont beaucoup augmenté dans les pays riches et ceux en voie de développement, durant les 20 dernières années(1, 2). Pour illustrer ces préoccupations, je voudrais prendre l’exemple des Etats-Unis d’Amérique et celui de la Tunisie. Bien que l’obésité soit reconnue d’être un facteur de risque pour le diabète de type II et les maladies cardiovasculaires, l’observation épidémiologique d’une augmentation concomitante des deux conditions d’obésité et d’asthme suggère que ces deux maladies seraient intimement liées.
L’asthme est une maladie complexe et multifactorielle qui se manifeste par une inflammation chronique des voies aériennes centrales, un remaniement des bronches et des bronchioles, une obstruction réversible du débit d’air et une hypersensibilité des voies respiratoires. L’asthme affecte, sans discrimination, des millions d’hommes, de femmes et d’enfants dans le monde des pays riches et ceux en voie de développement.
Sa prévalence, aux Etats-Unis par exemple, a doublé durant les vingt dernières années avec une plus forte augmentation dans les populations Afro-Américaine et Hispanique. Selon les Centres Américains de Contrôle et de Prévention des maladies (Centers for Disease Control and Prevention), il y avait plus de 20 millions de personnes qui étaient touchées par l’asthme en 1999.
En Tunisie, les données régionales de santé publique indiquent que 32% des patients examinés par des pneumologues, en l’an 2000, étaient diagnostiqués de la maladie d’asthme, et que 40% de ces asthmatiques étaient des enfants. Bien que les raisons de ces augmentations mondiales de l’asthme ne soient pas bien comprises, il semblerait que c’est le résultat d’une interaction complexe de facteurs génétiques, environnementaux et socio-économiques. A ceux-ci s’ajoute l’obésité qui est suggérée comme étant un nouveau facteur jouant un grand rôle dans l’induction, l’exacerbation ou la persistance de l’asthme.
L’indice de masse corporel (IMC) est défini comme étant le rapport ente le poids d’un individu en kilogramme et le carré de sa taille en mètre : IMC = Poids (kg)/Taille2 (m2). Une corpulence est considérée normale lorsque l’IMC est inferieur ou égal à 25 kg/m2; un IMC compris entre 25 et 30 kg/m2 reflète une forte corpulence; et un IMC égal ou supérieur 30 kg/m2 est indicateur d’obésité qui est une maladie.La Pathogenèse de l’obésité est beaucoup plus complexe qu’un simple déséquilibre entre consommation de calories alimentaires et dépense d’énergie; elle peut cependant être caractérisée par un excès de rétention de matières grasses dans le corps humain. L’obésité affecte plus d’un milliard de personnes dans le monde parmi lesquelles approximativement 100 millions d’adultes aux Etats-Unis sont au moins en état d’excès de poids ou obèses, et près de 3 millions en Tunisie.
Comme l’asthme, la prévalence de l’obésité a fortement progressé dans plusieurs pays, y compris les Etats-Unis et la Tunisie. Aux Etats-Unis par exemple, la prévalence est passée de 13,4% en 1960 à 27,6 en 2002 parmi les hommes, et de 15,8% à 33,2% parmi les femmes; le-tiers des adolescents Nord Américains, âgés de 16 ans, ont un excès de poids dont 15% d’entre eux sont obèses.
En Tunisie, les données exhibent une tendance similairement troublante, avec un taux d’obésité dépassant les 22% chez les femmes mais seulement 7% chez les hommes. Cette prévalence Tunisienne, qui était en augmentation continuelle depuis 1980, indique qu’alors que le taux d’obésité a progressé significativement de 8,7% en 1980 à 22,7% en 1997 chez les femmes il est resté bas chez les hommes. Cependant, l’excès de poids est en forte progression chez les deux sexes atteignant des taux alarmants de 50.9% chez les femmes et de 30% chez les hommes. Par ailleurs, cette forte augmentation d’excès de poids est aussi observée parmi les adolescents Tunisiens dont le risque d’obésité serait de 9,5% chez les filles et de 5,1% chez les garçons.
Ironiquement, un facteur intéressant qui expliquerait l’augmentation d’obésité en Tunisie est son développement rapide depuis son indépendance en 1956. Par exemple, les indicateurs économiques montraient que pendant que le taux de pauvreté a chuté de 50% à 3.9% entre 1956 et 2005, le revenu moyen annuel a augmenté de 91 à 3803 dinars et que les vivres ont été décuplés durant la même période. Bien que la prospérité économique ait permis à la population Tunisienne d’être en mesure de mieux consommer des produits riches en calories, le changement des pratiques individuelles et le manque de qualité dans leur consommation quotidienne des produits rapidement cuisinés (fast-food) ont certainement contribué, comme dans d’autres pays, à l’augmentation inquiétante de l’obésité. J’ajouterais que la prévalence de l’obésité Tunisienne féminine (bien supérieure à la masculine) s’expliquerait par le manque volontairement traditionnel d’activités physiques et sportives des femmes (bien que les jeunes femmes soient actuellement mieux et plus éduquées que les jeunes hommes).
L’obésité induit-elle l’asthme? Outre le fait bien établi que l’obésité est un facteur de risque pour le diabète du type II et les maladies cardiovasculaires telles que l’hypertension et l’athérosclérose, et hormis la constatation épidémiologique qui dévoilait une augmentation concomitante d’asthme et d’obésité, d’autres arguments immunologique et inflammatoire semblent suggérer que l’obésité peut conduire à l’hyperréactivité bronchique et à l’induction d’asthme hyper-réactif.
En effet, le tissue adipeux produit et libère deux hormones, la leptine et l’adiponectine, qui exercent respectivement des rôles pro- et anti-inflammatoires. Ce qui est intéressant c’est que l’élévation du niveau de sérum leptine, qui est un indicateur bien connu d’obésité (causant l’appétit), est aussi observée chez les asthmatiques. Par contraste, le niveau de sérum adiponectine, qui est un indicateur anti-inflammatoire, a tendance à être réduit aussi bien chez les obèses que les asthmatiques. Le fait que ces deux populations de maladies, qui paraissent différentes et indépendantes, mais exhibant en commun un marqueur élevé favorable à la pro-inflammation et un marqueur réduit défavorable à l’anti-inflammation, est un témoignage qui suggère que l’obésité pourrait être un facteur de risque pour l’asthme hyper-réactif.
Une investigation clinique(3) réalisée, en 2010, sur 160 femmes Tunisiennes (63 obèses, 45 en excès de poids et 52 de poids normal) d’une trentaine d’années d’âge moyen, toutes non-fumeuses de cigarettes et n’ayant pas d’historique de maladies respiratoires, a démontré que l’obésité induit bien une hypersensibilité (HSB), et quelques fois une hyperréactivité bronchique (HRB). L’HSB et l’HRB se mesurent habituellement par un test de provocation qui consiste à administrer à un patient des doses croissantes d’un agent pharmacologique broncho-constricteur, classiquement la méthacholine (Mch).
Après l’inhalation de chaque dose de Mch, le patient remplit ses poumons d’air puis il les vide, en expirant aussi fortement et aussi rapidement que possible dans un spiromètre (un appareil qui mesure le volume gazeux). Le volume expiré en une seconde (VEMS), qui est un débit gazeux, permet de diagnostiquer la présence ou l’absence d’une broncho-constriction. Lorsqu’en réponse aux premières doses de Mch on observe une diminution du VEMS, par rapport à la valeur normale avant stimulation à la Mch, on est en présence d’une HSB. Si le VEMS chute d’au moins 20%, on assiste alors à une HRB.
L’étude citée ci-dessus a spécifiquement révélé que les VEMS des femmes obèses ont chuté de 12% en moyenne (certains dépassants 20%), ceux des femmes en excès de poids ont diminué de 10%, alors que le VEMS moyen des femmes de poids normal n’a pas diminué significativement. En outre, les données détaillées de cette étude indiquent qu’il y a une corrélation significative de la chute du VEMS avec l’IMC. Ces résultats permettent donc de conclure que l’obésité affecte bien les performances de la fonction pulmonaire en promettant une hypersensibilité et potentiellement une hyper-réactivé bronchique du type asthmatique.
Abdellaziz Ben Jebria
Ancien scientifique à l'INSERM
Professeur de recherche en Bio-ingénierie à l'Université de Pennsylvanie
Remarque: La difficulté d’inclure des hommes, dans cette étude tunisienne, est due au fait que l’extrême majorité des Tunisiens sont des fumeurs. Leur inclusion aurait faussé l’hypothèse de l’étude qui est l’effet exclusif de l’obésité sur le système respiratoire.
References
1) World Health Organization. WHO Technical Report Series 894. Geneva Switzerland (2000).
2) Ford E.S. J. Allergy Clin. Immunol. 115:897-909 (2005).
3) Chouchane A., H. Miadi-Messaoud, I. Ghannouchi, S. Rouatbi, Z. Tabka, A. Ben-Jebria. Int. J. Obesity, 34:1078-1085 (2010).
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