News - 07.01.2024

Mohamed Salah Ben Aissa: Haykel Ben Mahfoudh, un éminent juriste arabe à la Cour pénale internationale

Mohamed Salah Ben Aissa: Haykel Ben Mahfoudh, un éminent juriste arabe à la Cour pénale internationale

Se prévalant d’un parcours académique exemplaire, le Professeur Haykel Ben Mahfoudh s’est présenté à la huitième élection des juges de la Cour pénale internationale (CPI) qui a eu lieu au cours de la 22e session de l’Assemblée des États Parties (AEP), tenue à New York du 4 au 14 décembre 2023 et au cours de laquelle six juges devaient être élus pour un mandat de neuf ans, et ce, en vertu de l’article 36 du Statut de Rome(1), dont le paragraphe 3 (a) énonce : «Les juges sont choisis parmi des personnes jouissant d'une haute considération morale, connues pour leur impartialité et leur intégrité et réunissant les conditions requises dans leurs États respectifs pour l'exercice des plus hautes fonctions judiciaires». Ils sont élus par l’Assemblée des États Parties(2).

Le paragraphe 3 (b) du même article prévoit en plus que «tout candidat à un siège à la Cour doit: i) Avoir une compétence reconnue dans les domaines du droit pénal et de la procédure pénale ainsi que l'expérience nécessaire du procès pénal, que ce soit en qualité de juge, de procureur ou d'avocat, ou en tout autre qualité similaire; ou ii) Avoir une compétence reconnue dans des domaines pertinents du droit international, tels que le droit international humanitaire et les droits de l'homme, ainsi qu'une grande expérience dans une profession juridique qui présente un intérêt pour le travail judiciaire de la Cour». Il est également prévu que deux listes de candidats sont établies aux fins de l’élection : une liste A comportant les candidats possédant les compétences définies au paragraphe 3 (b) i, et, une liste B comportant les candidats possédant les compétences définies au paragraphe 3 (b) ii du même article 36 précité. Et sur la base de cette distinction, les candidats sont répartis entre les deux listes sus-indiquées.

Avec le dossier de candidature qui était le sien, le Pr Haykel Ben Mahfoudh avait toutes les qualifications exigées(3) des candidats à cette élection. Ses chances de succès étaient d’autant plus sérieuses que la carrière universitaire qu’il a menée lui a valu le respect et l’estime non seulement de ses collègues au sein de l’université, mais même de tous ceux qui, au-delà de l’université tunisienne, ont eu à recourir à ses compétences en matière juridique. Est-il besoin de rappeler, à ce propos, que, fort d’un cursus universitaire complet lui ayant permis d’accéder au grade universitaire le plus élevé de Professeur de l’enseignement supérieur, il a dispensé, en cette qualité, des enseignements portant sur des matières variées, notamment en droit international public, en droit international humanitaire, en droit pénal international, en droit anglo-saxon, en droit de la paix et de la sécurité internationales, en géostratégie et relations internationales, en droit des organisations internationales, en droit des conflits armés …, et publié des travaux de recherches couvrant très largement ces domaines.

Par ailleurs, en sa qualité de directeur du laboratoire de recherche en droit international et européen et relations Maghreb-Europe de 2014 à 2021 à la faculté des Sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis, il a su offrir aux doctorants y inscrits un cadre idéal pour enrichir et faire avancer leurs travaux de recherche, en organisant régulièrement colloques, conférences et autres rencontres scientifiques, favorisant le développement de la recherche et l’identification de problématiques fécondes et nouvelles en rapport avec l’objet dudit laboratoire. Ce dynamisme intellectuel dont a fait preuve le Professeur Haykel Ben Mahfoudh est doublé d’un rayonnement au plan international, et ce, soit en tant que consultant international sur des thématiques diverses (conseil et appui au projet dialogue politique au Yémen, 2017-2021 ; réformes des lois sur l’immigration et l’asile et processus constitutionnel et réforme sécuritaire en Libye, 2015-2016 ; réforme de la police et de la justice en Irak, 2015-2016 ; chef de mission et conseiller principal avec le Centre de Genève pour la gouvernance du secteur de la sécurité, 2011-2013, soit en tant que Professeur invité (Université Aix-Marseille 2016-2017, Université Paris Panthéon-Sorbonne, 2019-2020), soit en tant que conférencier (Université de Sherbrooke, Québec 2023, Cour de cassation française, octobre 2022).

Aussi, et au vu de ce qui précède, ne faut-il pas s’étonner que la Commission consultative(4) — chargée de l’examen des candidatures au poste de juge à la Cour pénale internationale et de «faciliter la nomination des individus les plus qualifiés au poste de juge à la CPI»(5) —, ait vivement recommandé, et en des termes fort élogieux, l’admission de la candidature du Pr Haykel Ben Mahfoudh, en soulignant la force probante de tous les éléments constitutifs de son dossier de candidature et la qualité de sa prestation orale. À cet égard, l’importance du travail d’évaluation qu’effectue cette Commission mérite d’être soulignée, nonobstant le caractère consultatif de cet organe. Et l’AEP en était bien consciente. C’est ce qui l’a amené «à encourager les États Parties à continuer de respecter scrupuleusement l’évaluation des candidats par la Commission consultative pour l’examen des candidatures au poste de juge de la Cour et à s’abstenir, dans la mesure du possible, de voter d’une manière incompatible avec cette évaluation, ainsi que d’échanger des votes»(6).

S’agissant du candidat tunisien Haykel Ben Mahfoudh, prenant note de ce qu’il a «une solide expérience académique en droit public international»(7), et de ce qu’il a «occupé les fonctions de consultant international pour la Mission d’assistance des Nations unies pour l’Irak-HCDC (MANUI)»(8), et de «conseiller principal, chef de mission par intérim du Centre de Genève pour le contrôle démocratique des forces armées»(9), la Commission a estimé que le candidat «a fait preuve de compétences impressionnantes dans des domaines pertinents du droit international tels que le droit humanitaire et les droits de l’homme, et d’une solide expérience en travaillant dans un environnement international»(10).

Constatant que le candidat a une «connaissance approfondie du Statut de Rome, de ses principes fondamentaux et de la jurisprudence de la Cour pénale internationale»(11), ainsi que du «droit pénal international»(12), la Commission a estimé que les «qualifications du candidat … répondent aux exigences formelles de l’article 36 paragraphe 3 (b) alinéa (i) du Statut de Rome»(13). Ce qui a conduit la Commission à considérer que le parcours académique et professionnel du candidat tel qu’il découle de ses fonctions passées et actuelles «seront indéniablement précieuses pour ses pairs et ses collègues, et que toutes les conditions semblent être réunies pour que le candidat puisse apporter une contribution importante et immédiate aux travaux de la Cour»(14).

Au final, au vu de tout ce qui précède, et en évoquant son expérience professionnelle ainsi que les documents écrits soumis, et, en prenant en considération «l’impression faite par le candidat pendant son entretien»(15), la Commission a conclu que «le candidat est hautement qualifié pour le poste de juge de la Cour pénale internationale». Étant précisé que les candidats «hautement qualifiés» sont ceux qui se trouvent classés au rang le plus élevé dans la grille d’évaluation des candidats, adoptée et suivie par la Commission(16).

Ayant permis, pour la première fois, à un juge arabe de siéger à la CPI, l’élection du Pr Haykel Ben Mahfoudh ne laisse pas indifférent. Elle se singularise non pas seulement par les qualités de l’élu telles que rappelées ci-haut, mais aussi par le contexte international dans le cadre duquel elle se situe, et qui est marqué par des conflits d’une particulière gravité, où le fracas des deux guerres, celle opposant l’Ukraine à la Russie, d’une part, et celle opposant, surtout depuis le 7 octobre 2023, Israël au peuple palestinien à Gaza et dans les territoires occupés, d’autre part. À des degrés différents, ces deux conflits offrent, en effet, des exemples symptomatiques des entorses flagrantes aux règles et principes du droit international public, et particulièrement aux règles du droit international humanitaire régissant la conduite des conflits armés. Ces conflits nous auront montré aussi, jusque-là, qu’un grand nombre d’États ont eu un comportement peu respectueux des principes d’égalité entre les peuples et d’universalité des droits humains. Leurs réactions à l’égard de ces conflits ont varié selon les peuples et les enjeux en cause, bien que ce soient les mêmes principes et les mêmes valeurs qui s’y trouvent convoqués. On a eu à le constater avec la passivité coupable observée par plusieurs États occidentaux à l’égard des attaques criminelles d’Israël contre les Palestiniens depuis le 7 octobre 2023, passivité qui contraste avec leur prompt soutien aux Ukrainiens contre la Russie et qui reflète la pratique «du double standard» dont ils sont, à juste titre, accusés.

C’est dans ce contexte international fort agité et incertain que se situera le travail attendu de la CPI, au sein de laquelle nous restons convaincus que la présence du Pr Haykel Ben Mahfoudh sera d’un apport précieux. Ses compétences en matière juridique, associées à son intégrité et sa probité, sont autant de garanties lui permettant d’aborder les dossiers et les questions juridiques qui lui seront soumis durant son mandat, avec la force tranquille, la sérénité et la rigueur scientifique que lui reconnaissent tous ceux qui l’ont bien connu.

Mohamed Salah Ben Aissa
Professeur émérite de droit public  
Ancien doyen de la faculté des Sciences juridiques,
politiques et sociales de Tunis

(1) Le Statut de Rome de la Cour pénale internationale fut adopté le 17/7/1998 et entré en vigueur le 1/7/2002.

(2) Cf. Article 36 paragr.6 (a) et (b) du Statut de Rome précité: «a» Les juges sont élus au scrutin secret lors d'une réunion de l'Assemblée des États Parties ...Sont élus les 18 candidats ayant obtenu le nombre de voix le plus élevé et la majorité des deux tiers des États Parties présents et votants. b) S'il reste des sièges à pourvoir à l’issue du premier tour de scrutin, il est procédé à des scrutins successifs conformément à la procédure établie à l’alinéa a) jusqu'à ce que les sièges restants soient pourvus». On notera aussi que c’est le Chapitre XI du Statut de Rome qui est consacré à l’Assemblée des États Parties. L’article 112 parag.1 de ce chapitre stipule : «Il est constitué une Assemblée des États Parties au présent Statut. Chaque Etat Partie y dispose d'un représentant, qui peut être secondé par des suppléants et des conseillers».

(3) Sur ces qualifications, Cf. notamment l’article 36 (parag.3, 4 et 5) du Statut de Rome.

(4) En vertu de l’article 36 (parag.4 (c)), l'Assemblée des États Parties «peut décider de constituer, selon qu'il convient, une commission consultative pour l'examen des candidatures. Dans ce cas, la composition et le mandat de cette commission sont définis par l'Assemblée des États Parties ».

(5) Avant de commencer ses travaux, la Commission a pris soin de rappeler la portée de son mandat telle que définie dans le document de l’AEP (ICC-ASP/1036 et ICC-ASP/18/Res.4 et ICC-ASP/21/Res.2). Composée de neuf membres, nommés, pour trois ans, rééligibles une seule fois, ressortissants des États Parties et désignés par consensus par l’AEP sur recommandation de son bureau, cette Commission reflète les différents systèmes judiciaires dans le monde et respectant une représentation géographique équitable.

(6) ICC-ASP/18/Res.4 modifié par ICC-ASP/21Res.2., Cité in : Rapport de la Commission consultative pour l’examen des candidatures au poste de juge sur les travaux de sa neuvième session (New York, 4-14 décembre2023), ICC-ASP/22/4. Page 2.

(7) AEP (ASP), ICC-ASP/22/4, précité., p.19 (1°).

(8) .ibid.

(9) .ibid.

(10) .ibid. (2°).

(11) . ibid. (3°).

(12) . ibid.

(13) . ibid. (4°). L’article 36 paragr. 3 (b) al. (i) du Statut de Rome dispose : «Tout candidat à un siège à la Cour doit avoir une compétence reconnue dans les domaines du droit pénal et de la procédure pénale ainsi que l'expérience nécessaire du procès pénal, que ce soit en qualité de juge, de procureur ou d'avocat, ou en tout autre qualité similaire ».

(14) .ibid. (6°). pp. 19-20.

(15) .ibid. (7°). p. 20.

(16) Viennent par ordre décroissant les candidats, « bien qualifiés», les candidats « formellement qualifiés » et enfin « les candidats non qualifiés » ; V. sur ce point Rapport de la Commission consultative, précité, Annexe II Évaluation des Candidats, A) observations générales (11°) p.10.

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