Tunisie: Ensemble, cultivons notre amour pour la patrie
Par Ridha Bergaoui - Le Tunisien est classiquement attaché à sa famille, sa ville natale et sa région. Il se reconnait une appartenance parfois forte et très engagée à une communité sportive et/ou politique. Toutefois, érodés par les problèmes et les difficultés matérielles quotidiennes, son appartenance nationale au pays et son patriotisme semblent, ces dernières années, s’affaiblir.
De nos jours, une frange importante de la population ne pense qu’à partir et alors qu’il y a quelques années, les filles étaient peu nombreuses, de nos jours elles semblent plutôt majoritaires. La plupart des Tunisiens à l’étranger ne pense pas du tout rentrer définitivement. On a vu même certains, profitant d’un voyage de groupe (étudiants, sportifs…), faire fausse compagnie à leurs accompagnateurs et rester d’une façon illégale à l’étranger.
Plusieurs de nos concitoyens tentent chaque jour de traverser la mer et de rejoindre illégalement la rive d’en face. Malheureusement, ils le payent souvent au prix fort, au risque de leur vie. Pour eux, partir n’est plus un moyen mais une finalité. D’autres plus chanceux, grâce à leur diplôme et un précieux visa, partent s’installer dans des pays plus favorisés, en France, Allemagne, Canada ou les Pays du Golfe.
Partir devient une véritable culture
Alors que tout départ est normalement perçu comme une rupture brutale qui s’accompagne de l’angoisse et de la douleur, l’immigration de nos compatriotes est vécue, aussi bien par nos jeunes que leurs parents, comme un événement heureux, une délivrance triomphante, la garantie certaine d’une vie et d’un avenir meilleur.
Sans aucun regret, nos jeunes prennent leur aise, s’installent confortablement et revêtent les us et les coutumes des citoyens du pays d’accueil. Plus tard ils feront tout pour acquérir une nouvelle nationalité, se marier et avoir des enfants qui auront également la nouvelle nationalité. Ces jeunes se trouvent directement branchés sur l’étranger et se réclament plutôt citoyens du monde que Tunisiens. Le sentiment d’appartenance nationale se perd et s’effrite de plus en plus avec le temps.
Certains parents préparent même, dès la naissance, le départ de leurs enfants à commencer par un prénom neutre, qui ne sonne pas trop arabe, une éducation à l’européenne (en Français et de plus en plus en Anglais) et même l’adoption à la maison d’une langue autre que maternelle. Je connais des couples de jeunes tunisiens qui, croyant bien faire, ne parlent à leurs enfants à la maison qu’en Français en prolongement de l’école. Ces parents prédestinent leurs enfants, sans prendre malheureusement leur avis, à l’export, à vivre ailleurs qu’en Tunisie.
Les NTIC, Internet avec les réseaux sociaux et les messageries du type Messenger et les voyages low-cost, certes facilitent les échanges et prolongent les contacts, malheureusement avec le temps les attaches se relâchent et l’intérêt de rester en contact se perd, surtout après la disparition des parents. La génération d’après perd ses repères, ses racines et ses liens avec la Tunisie s’affaiblissent pour disparaitre après quelque temps.
Nécessité de renforcer le sentiment national
Pour être heureux l’être humain a besoin de rêver, de croire en son pays et en un avenir meilleur pour ses enfants. Le sentiment d’appartenance nationale est un pilier important qui nous soutient en période de crise. De nos jours, le Tunisien a besoin de renforcer ce sentiment essentiel pour sa survie et pour la continuité de la patrie.
On peut définir le patriotisme comme le sentiment d’appartenance à une nation. Celle-ci est un groupe d’individus qui disposent de plusieurs points communs (comme une histoire commune, une même culture et même langue…) et qui vivent ensemble sur un même territoire dans le cadre d’un Etat indépendant. Cette nation est représentée par des symboles importants comme le drapeau, un hymne national et une constitution. Les monuments historiques, les leaders charismatiques, les intellectuels et artistes connus représentent les preuves tangibles et palpables de l’existence de cette communauté et de sa longévité. Ils constituent une source de fierté pour ses citoyens et une raison de cohésion sociale. Cette nation est appuyée par une armée qui défend le pays et ses richesses ainsi que des institutions appelés à faire respecter la loi et régner de la justice et l’ordre. Le patriotisme c’est aimer ce pays, respecter ses symboles et se plier à sa législation et à ses valeurs.
La notion de patriotisme s’acquit dès le jeune âge. Au côté de la famille, l’école joue un rôle déterminant dans l’acquisition de ce sentiment d’appartenance. Le contenu des programmes d’enseignement, le comportement des enseignants, la discipline, la levée du drapeau… permettent de transmettre aux jeunes les valeurs importantes comme l’égalité, la justice, la dignité, le patriotisme, la tolérance et l’acceptation de l’autre malgré la différence, l’entraide, l’empathie, le travail et le mérite…
La Tunisie possède une histoire très riche et a connu le passage de nombreuses civilisations qui ont marqué le monde entier à commencer par la civilisation Capsienne, vieille de 10 000 ans. Les vestiges de ces civilisations existent encore que ce soit sur place comme à Carthage, le théâtre d’El Jem ou la Mosquée de Kairouan ou dans les divers musées archéologiques. Elle a connu la naissance de personnalités exceptionnelles comme Hannibal, Ibn Khaldoun et autres qui ont marqué l’humanité entière dans de nombreux domaines.
Parler aux jeunes de l’histoire de notre pays et des hommes qui l’ont marqué et façonné et leur montrer les monuments historiques est de nature à renforcer leur patriotisme et leur appartenance à note beau pays. Le service militaire est également un moyen pour niveler les différences et accroitre la cohésion sociale et le sentiment d’appartenance nationale. Les fêtes nationales représentent un moment idéal pour se remémorer des périodes glorieuses de notre histoire et développer encore la cohésion sociale. Le sport et les compétitions internationales représentent une occasion précieuse de fierté. Entendre l’hymne national et voir se hisser le drapeau Tunisien à l’étranger, lors des compétitions internationales, nous comblent de satisfaction et de bonheur. Les médias ont un rôle important à jouer et doivent consacrer plus de temps pour parler de la richesse de notre culture et de notre patrimoine. Ils doivent parler plus des aspects positifs, des «success stories» et réussites tunisiennes et pas uniquement des aspects négatifs et « des trains qui n’arrivent pas à l’heure ».
Des rayons d’optimisme
Il y a quelques jours, Ons Jabeura remporté brillamment son dernier match face à la Danoise Clara Tauson et s’est qualifiée pour les quarts de finale du tournoi de Roland-Garos. Cette victoire n’est pas passée inaperçue. Dans les gradins, le drapeau national était présent en force, les spectateurs Tunisiens en nombre et le public très enthousiaste. Dans la joie et avec son beau sourire, Ons nous a régalé, en fin de la partie, en chantant avec le public « Ce n’est pas normal, pas à pas pour la finale ». Un grand moment de satisfaction, de fierté et de bonheur. Ons s’est malheureusement inclinée face à Coco Gauf. Peu importe, c’était un beau match, il fallait un gagnant et c’était Coco. Notre championne a quitté le terrain sous les applaudissements du public et le drapeau national qui flottait dans les airs de Roland Garros.
Moungi Bawendi, un des trois lauréats du prestigieux prix Nobel de Chimie 2023, lors de son passage à Tunis et à Sousse, il y a quelques temps, nous a comblé de bonheur. Il a séduit tout le monde, non seulement avec ses compétences scientifiques reconnues mondialement, mais également avec son charisme, son sourire, son intelligence et son immense amour pour la science et pour son pays d’origine. L’image, véhiculée par les médias internationaux en parlant de notre Nobel de chimie, ne peut être que flatteuse. Par ailleurs, un prix Nobel Tunisien ce n’est pas peu, cela représente un précieux exemple pour nos jeunes, une preuve que « l’impossible n’est pas Tunisien » et que notre pays peut encore enfanter des personnalités exceptionnelles.
Cerise sur le gâteau, le dernier voyage du Président en Chine et l’accueil formidable qui lui a été réservé témoigne de la place qu’occupe la Tunisie sur la scène internationale. La Chine est actuellement une des puissances mondiales les plus influentes. Cet accueil atteste également du respect de ce grand pays envers notre président qui s’oppose catégoriquement à toute ingérence étrangère dans nos affaires intérieures. Cet honneur réservé au Président de la République et la Première dame de Tunisie est pour tous les Tunisiens une source de fierté pour tous les Tunisiens.
Patriotisme n’est ni nationalisme ni chauvinisme
Le patriotisme n’est pas et ne sera jamais démodé. La globalisation a montré ses limites surtout en période de crise. La crise du Covid-19 et celle qui a suivie la guerre en Ukraine ont jeté le doute sur les bienfaits de la mondialisation et ont renforcé la notion de la nation, de patriotisme et de la sécurité nationale. On a inventé même les termes « patriotisme économique » et « patriotisme industriel ». Il faut toutefois éviter de verser dans le nationalisme et le chauvinisme agressif. Romain Gary disait « Le patriotisme c’est l’amour des siens, le nationalisme c’est la haine des autres ».
Aimer son pays ne s’improvise pas et ne s’impose pas non plus, il se cultive. Tous ensemble cultivons notre cohésion sociale et notre fierté d’appartenir à ce beau pays, accueillant et riche. Rappelons que pour recevoir, il faut d’abord donner et qu’il faut penser d’abord à ses responsabilités et ses devoirs avant ses libertés et ses droits. Penser également en priorité communauté et intérêt collectif plutôt qu’individu et intérêt personnel. « La liberté n’est pas un point de départ, mais la ligne d’arrivée », disait Xavier Darcos.
De temps en temps, le Tunisien se montre méfiant envers les structures de l’Etat et le fonctionnement de ses divers rouages. Une situation de manque de confiance s’est lentement installée envers les services publics, la classe politique et les Institutions. Associée à un sentiment d’injustice, ce facteur est de nature à réduire l’attachement du citoyen au pays et la cohésion sociale. La bonne gouvernance et la lutte contre la corruption, le respect des droits humains sont au contraire des facteurs de cohésion sociale et de paix.
La Tunisie est peut-être physiquement un petit pays, mais un grand pays par son histoire, sa géographie et surtout par son peuple intelligent, qui sait s’adapter à tout en tout temps et en toutes circonstances. Les tunisiens doivent être fier de leur pays, de leur patrimoine et de son histoire. Tout nous unifie la langue, l’histoire, les traditions … Tous ensemble, cultivons notre patriotisme pour un citoyen épanoui, libre et fier de son appartenance au pays. Cette volonté doit se concrétiser par des actes de tolérance, de civisme et de respect de l’autre qui montrent que nous pouvons vivre heureux ensemble quel que soit nos différences. Un effort particulier doit être fait du côté des jeunes, principale richesse du pays, pour développer chez eux l’amour et la fierté du pays. Les Tunisiens à l’étrangers doivent être encore plus sensibilisés pour maintenir toujours leurs attaches avec leur pays d’origine.
La Tunisie est notre mère, la « mère patrie » que nous devons aimer, apprécier, protéger et faire progresser pour notre bonheur à tous. « Petit pays, je t’aime beaucoup », une très belle chanson de Cesaria Evora.
Ridha Bergaoui
- Ecrire un commentaire
- Commenter