Driss Guiga: Mémoires captivantes d’un centenaire très lucide
Bon pied, bon œil ! Driss Guiga, longtemps ministre de Bourguiba, a fêté le lundi 21 octobre dernier ses 100 ans, chez lui à Hammamet, entouré des siens. Un évènement viendra marquer ce siècle bouclé: la publication de ses mémoires, sous le titre de Sur le chemin de Bourguiba, 1934-1984, parues aux Editions Cérès. S’il ne dit pas tout, Driss Guiga en révèle pas mal sur des évènements majeurs dont il a été l’acteur ou le témoin, à commencer, en tant que directeur de la Sûreté nationale, par le jour où il a fait descendre des marches de son trône le dernier des Husseinites, Lamine Pacha Bey, le 25 juillet 1957.
Recevant Leaders, Driss Guiga, debout, en bonne forme, arbore du haut de sa stature un large sourire accueillant. La pluie abondante ce matin-là le comblait de joie, il en connaît les bénéfices. L’œuvre du temps et ses épreuves n’ont en rien entamé de sa superbe. La mémoire vive, le verbe ciselé d’une main d’orfèvre, il reste vigilant quant à ses propos, sincère dans ses vœux pour la Tunisie. Dans la famille Guiga, on dépasse souvent un siècle d’âge, tout en restant en bonne santé. Si Driss a toujours respecté une hygiène de vie, mangeant peu, ne fumant et ne buvant pas, sachant amortir les aléas d’une vie politique très animée. Dans cette maison chargée d’histoire, au milieu d’un jardin verdoyant et qui a été leur refuge de joie et de bonheur, le souvenir de son épouse, Shasha, grande artiste-peintre, décédée en 2018, et l’amour de sa vie, est partout présent.
Pour ce natif de Testour, le 21 octobre 1924, parmi une fratrie de quatre enfants, tout avait commencé avec son père instituteur qui avait fondé la première école primaire à Zaouiet Sidi Medien, l’actuelle Amdoun. Il le suivra au fil de ses affectations à Métline, non loin de Bizerte (un village adorable, merveilleux, nous confie-t-il), puis à Tébourba. Son grand père, Hamouda Guiga, le prendra en main ainsi qu’un de ses cousins, en 1934, pour s’occuper de ses études à Tunis, à l’école de la Place aux Moutons. Il garde encore un souvenir vivace de son maître d’école, M. Ré, «aussi attentionné qu’exigeant». Il ira à Sadiki, préparera son bac à Radès et poursuivra ses études de droit à Alger (1945-1947), avec comme camarades de faculté notamment Othman Laaouani et Ahmed Mestiri. C’est en troisième année de licence qu’il fera la connaissance de sa future épouse, Shasha Safir. Driss Guiga «montera» à Paris pour des études de droit, de sciences politiques et d’histoire. C’étaient les années 1948-1949. «On était enfermés dans un petit groupe comptant Dhaoui Hnablia, Ali Boujenah, Abdelamjid Razgallah et Béchir Hamza», aime-t-il à nous dire. Dès son retour à Tunis, commencera alors une longue et brillante carrière dont il décrira les étapes dans ses mémoires.
Interviewer Driss Guiga relève du pur bonheur. Bourguiba est la clé d’entrée. La conclusion ne saurait être autre que la démocratie, la confiance à faire ou non au peuple, et l’avenir du pays. Sans esquive, il se prête aux questions. Le temps passe délicieusement, comme pour la lecture de ses mémoires.
«Bourguiba se devait d’être mégalo. Je l’ai choisi parce que je n’avais pas trouvé meilleur que lui. Même avec ses défauts. Deux grandes figures emblématiques: Taieb Mhiri et Ahmed Tlili. Le complot de 1962 : un tournant vers le durcissement. Bourguiba a perdu ce jour-là confiance dans le peuple. Le 26 janvier 1978, une erreur tactique de Habib Achour et de Abdallah Farhat. La démocratie ne s’achète pas au supermarché, mais se construit depuis la base et doit s’adosser à un large front national. Le pluralisme produit des factions. La liberté d’opinion et la règle de l’élection à tous les postes sont les fondamentaux de la démocratie. Ce sont les hommes et les femmes qui feront l’avenir de la Tunisie. Depuis Carthage, il y a toujours eu un peuple qui a su gérer les étapes successives : celles gaies, celles moroses, et celles flamboyantes…»
• Né le 21 octobre 1924 à Testour
• 1945-1947 : études de droit et d’histoire à Alger
• 1947-1949 : poursuite des études à Paris
• 1950-1951 : chef de cabinet du ministre de la Santé
• 1952 : emprisonné à Zaarour puis à la prison militaire de Téboursouk
• 1953 : reprise de service au ministère de la Santé, en tant qu’administrateur, puis chef de cabinet des ministres successifs, Drs Taher Zaouche et Sadok Mokaddem
• 1956 : secrétaire général de l’Assemblée nationale constituante
• 1956 : appelé par Taieb Mhiri, ministre de l’Intérieur, pour diriger l’Administration régionale
• 1956 : directeur de la Sûreté nationale
• 1963 – 1969 : haut-commissaire au tourisme
• 1969 : secrétaire d’Etat aux Affaires sociales
• 1969-1973 : ministre de la Santé
• 1973 -1976 : ministre de l’Education nationale
• 1976-1980 : ambassadeur de Tunisie en Allemagne fédérale
• 1980 -1984 : ministre de l’Intérieur.
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