News - 25.11.2024

Rivalités de puissances et ordre international: l’impact sur le droit international et sur le multilatéralisme déjà mal en point

Rivalités de puissances et ordre international: l’impact sur le Droit International et sur le multilatéralisme déjà mal en point

Par Riadh Ben Sliman. Ancien Ambassadeur - En 1929, Antonio Gramsci, philosophe, écrivain et théoricien politique italien écrivit depuis son lieu de détention, «le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaitre et dans ce clair obscur surgissent les monstres».

Tout observateur du champ international voit surgir devant lui les politiques et pratiques qui se déploient sur ce front et qui, non seulement compromettent toute sorte de stabilisation de l’ordre international, mais aussi  portent un rude coup au droit international et à son efficacité, entretenant le doute et le désespoir face à des tentatives de plus en plus évidentes de s’affranchir de la régulation internationale de la paix, mettant en péril la stabilité mondiale.

La sphère internationale n’évolue pas d’une manière stable et linéaire mais se heurte à des soubresauts et turbulences continues, rendant son caractère aléatoire mais aussi archaïque et même primaire, en dépit des avancées et progrès enregistrés dans l’adoption d’une dense constellation d’instruments juridiques, fruit du développement progressif du droit Iinternational, une entreprise portée au crédit d’une coopération fructueuse entre les états.

1/ L’évolution de la situation internationale depuis la période post guerre froide et le triomphe éphémère des valeurs libérales

Dire que  nous sommes passés d’un monde à un autre revient toujours dans les analyses et études qui dissèquent le champ international.
Ceci est d’autant plus vrai qu’en quelques décennies, nous sommes passés 1/ d’un monde bipolaire traversé par la confrontation Est-Ouest 2/ à un monde unipolaire densément présenté dans la littérature politique américaine comme le Unipolar moment (expression lancée par Charles Krauthammer, célèbre politiste américain,  et qui est désormais largement reprise dans la littérature politique  anglo saxone), 3/ à une phase de désordre et d’instabilité  internationaux  que l’on voit s’étaler de nos jours et qui va perdurer pour être la caractéristique du monde à venir. Certains qualifient ce que nous vivons actuellement comme l’aube d’un monde multipolaire mais tout indique que la période de chaos actuel mettra du temps pour que la  forme et caractéristique du monde à venir soit enfin déchiffrable. l’influente revue américaine Foreign Affairs décrit dans  son dernier numéro (novembre-décembre 2024) notre  monde et surtout le monde a venir  comme celui du «total and comprehensive war» en étalant la panoplie d’armes, de technologies de guerres et d’acteurs, dont les acteurs non étatiques qui «font  une percée» dans ces confrontations de type nouveau.

Face au retour de la guerre pour régler les conflits, l’instabilité croissante et les multiples défis qui ont émergé durant les dernières décennies, certains seraient tentés de dire que la dissuasion nucléaire qui a prévalu tout au long de la guerre froide aurait eu le mérite  d’avoir maintenu  le statut de régulateur de puissance entre les USA et l’URSS. En effet, cette dissuasion a empêché l’éclatement d’une guerre entre les deux grandes puissances qui allait dégénérer en conflagration mondiale.

Certes les deux super puissances se sont livrées des guerres périphériques  par procuration (proxy wars) appelées conflits régionaux notamment en Afrique et en Asie. Mais ces guerres ont été qualifiées par la doctrine militaire de guerres de faible intensité.

La fin de la guerre froide et la dislocation de l’URSS avec en filigrane le ralliement des anciens pays du bloc de l’Est aux valeurs libérales occidentales ont donné lieu à ce que nous appelons  le triomphe de la naïveté.

Triomphe de la naïveté par opposition à la fin de l’histoire (thèse chère à Francis Fukuyama dans the end of history and the Last man) qui a donné lieu à  la victoire des valeurs libérales selon les prometteurs de l’ordre libéral, incrédules devant la chute du mur de Berlin et l’effondrement d’une idéologie en l’occurrence le communisme, honnie par ce que réductrice du champ de liberté dont devrait jouir tout être humain.

Ces politistes ont miroité le début d’une ère de paix, de stabilité et de prospérité s’étendant à toute la planète pour enfin ouvrir un nouveau chapitre de l’histoire humaine, celui du Bonheur Universel en voyant triompher et survoler le globe les valeurs de la démocratie libérale tant réclamée par les peuples du monde, une sorte d’autodétermination collective de la communauté internationale (est ce qu’ elle existe vraiment?) et de son droit à disposer d’elle même c’est à dire de choisir son système fétiche d’organisation politique et sociale, bref un monde uniformisé par la démocratie et par les valeurs de marché (entendez par la  consommation à outrance sur fond de dictature du divertissement, le tout enveloppé par une véritable entreprise d’abrutissement et de neutralisation de la dimension humaine par les merveilles et autres contes de fée que renvoient les écrans).

Le monde a été auréolé par des thèses approximatives dont la vision s’est fixée sur l’enthousiasme et l’euphorie que ce basculement a suscités sans la moindre conscience de la nature imprévisible de la sphère internationale et du mouvement perpétuel de l’instabilité et de la violence, caractéristique du monde depuis le premier homme sur terre. La paix dans l’histoire du monde, c’est une exception affirme Serge Sur, universitaire français et spécialiste des relations internationales(1).

Le monde unipolaire qui a émergé au début des années 1990 dominé par l’hyper puissance américaine, un terme utilisé pour la première fois par Hubert Védrine, ancien ministre français des Aaffaires étrangères, ne s’est pas révélé un monde pacifié et stabilisé, ni encore un monde stabilisateur et pacificateur.

2/Un monde qui bascule dans le chaos/ Les tentatives de dépassement du droit international et les  principes de la charte des Nations Unies

Les  analystes et experts en relations internationales, qui au début de la décennie 90 ont vu arriver un monde nouveau pacifié et où la démocratie, les libertés individuelles et l’économie de marché allaient triompher, seraient –ils aussi jubilatoires aujourd’hui face à un monde qui, loin de refléter l’ère dont ils rêvaient de donner naissance, bascule dans le grand désordre, le chaos l’instabilité et la dérégulation de la force.

Le consensus mondial qui a émergé avec la signature de la charte des Nations Unies en juin 1945 à San Francisco, donnant naissance à un ordre international basé sur l’interdiction du recours à la force et sur le règlement pacifique des conflits (parmi les principaux piliers de la charte) vole en éclat.

Aujourd’hui le monde est de plus en plus fragmenté, indéchiffrable, illisible complexe, incertain, présentant un trait essentiel: la prévention de l’émergence d’une puissance rivale  qui sous tend  les confrontations à venir n’aura absolument aucune considération pour les règles de droit international prohibant le recours à la force ou régulant la conduite des hostilités.

En effet, si au plan national, l’Etat dispose du monopole de la force pour imposer l’ordre et réguler les rapports, il n’existe pas à l’échelle internationale d’autorité suprême pour calmer les ardeurs et les velléités de puissance et œuvrer à ce que la folie de l’emploi de la force cède le terrain à des relations internationales apaisées et fondées sur l’impératif  de l’extension de la justice à tous les peuples sans distinction aucune.

Le problème éternel de la morale dans les relations internationales et qui prend devant les tragiques événements que nous vivons une actualité et une intensité nouvelles, laisse à penser qu’il est rarissime que la morale constitue un paramètre de comportement des puissances à l’échelle internationale.

En dépit de la densité de l’arsenal juridique adopté depuis la création des Nations Unies en 1945, le Droit International n’arrive pas à se détacher de son incapacité de contraindre les puissances de se conformer à la loi internationale.

3/Le recours illicite à la force: obstacle à la pacification de la société internationale et affaiblissement du pouvoir de régulation du Droit International

La projection  de la puissance qui n’a jamais cessé de  gagner en intensité depuis les années 1990 a porté un rude coup au droit international et notamment au principe de l’interdiction du recours à la force dans les relations  internationales, promu d’abord par le pacte Briand Kellog signé le 27 aout 1928. Ce pacte prohibe  le recours à la guerre  en vue du règlement des différends. Il est considéré comme la  genèse de l’esprit  de la charte des Nations Unies interdisant le recours à la force armée en vue de régler les différends tel qu’énoncé dans l’article 2 para 4. 

Signe de l’échec de ce principe de l’interdiction du recours à la force qui constitue une règle  de Jus Cogens, c'est-à-dire une règle impérative  et à laquelle on ne peut pas déroger, le droit international est sorti affaibli de trois  guerres  contre la Serbie en 1999, contre l’Irak en 2003 sans mandat du Conseil, et contre la Libye en 2011 avec un dépassement du mandat du Conseil (Résolution 1973 du 17 mars 2011). La Résolution 1973 faut –il le rappeler, autorise les États membres à prendre «toutes les mesures nécessaires» pour protéger les populations et décide, avec le soutien de la Ligue des Etats Arabes, l’établissement d’une zone d’exclusion aérienne.

Bien que cette Résolution n’ait jamais appelé  à aller au delà de la protection des populations civiles, l’inclusion de «toutes les mesures nécessaires» dans le texte de la Résolution a donné lieu à une interprétation extensive qui n’a pas pris en compte au premier chef la stabilité du pays.

L’invasion de l’Irak en 2003, la guerre de l’OTAN contre la Serbie en 1999 et la Libye en 2011 font partie d’une longue série de violations massives de la règle du non recours à la force que l’on voit actuellement se répandre  sous nos yeux par une folie destructrice et meurtrière nourrie d’idéologie colonialiste, une idéologie raciste et ségrégationniste des peuples comme le monde n’en a jamais connu. 

4/ Le génocide dont est victime le peuple palestinien / Annonciateur du sort du droit international dans la période à venir

L’effroi causé par les opérations du 7 octobre 2023 dans certaines contrées ont fait perdre à certains la simple logique de penser et de prendre du recul pour situer l’acte du 7 octobre 2023 dans son contexte. Au lieu de cela, on a proposé dans certaines hautes sphères de mettre sur pieds une coalition d’états comme celle constituée contre DAECH, pour attaquer le Hamas, un mouvement de lutte légitime contre l’occupation étrangère.

L’incapacité de la communauté internationale à parvenir à une définition commune du terrorisme accroit encore le fossé déjà très large des perceptions sur le drame du peuple palestinien qui n’a rien d’égal dans l’histoire humaine, mais a l’avantage d’accroitre auprès de la grande majorité des peuples  de la planète l’importance et le caractère légitime  de la lutte contre l’occupation étrangère.

Les massacres, crimes et entreprise génocidaire dont est victime le peuple palestinien et la complicité de certaines parties avec ces crimes graves illustrent  deux faits inquiétants, manifestation de la forte dégradation morale à laquelle on assiste de nos jours:

L’esprit colonial n’a pas disparu en dépit de l’affranchissement de ce joug porté au crédit de la vague de décolonisation que le monde a connue dans les années 50 et 60.
L’émergence d’une diplomatie nouvelle, celle de la diplomatie du silence et de l’indifférence face aux crimes odieux. Cette diplomatie nouvelle a  longtemps cherché à mettre en sourdine les cris de désespoir du peuple palestinien, face à l’injustice et au déchainement de la haine et de la brutalité dont il est victime.

5/Les dangers du concept défaillant de la responsabilité de protéger

Notre monde n’a pas fini de régresser vers des conceptions du 18eme et 19eme siècle comme l’humanitaire, qui par son instrumentalisation politique, porte un rude coup au principe de souveraineté, pilier du Droit International. L’on a voulu perpétuer ce concept qu’on dit pourvu de hautes valeurs morales, par l’adoption lors du sommet mondial des Nations Unies tenu en septembre 2005  de la tristement célèbre responsabilité de protéger, héritière du droit d’ingérence concept lancé par Mario Bettati(2), et récupéré par la suite par Bernard Kouchner, ancien ministre des affaires étrangères  français.

Le débat intergouvernemental aux Nations Unies sur la responsabilité de protéger n’a pas fait long feu du fait que cette notion controversée est rejetée par un grand nombre de  pays membres des Nations Unies, compte tenu de  sa nature dangereuse qui signe la sortie graduelle, par des politiques sélectives, du cadre juridique prohibant le recours à la force. Ce concept mort né, passe par la légitimation d’une action illicite par le truchement du Conseil de Sécurité, transformé en chambre d’enregistrement, légitimation d’une action illicite au nom du fallacieux  impératif démocratique et des droits de l’homme.

Le professeur R. Bachand écrit l’état dans lequel se trouvent les Nations Unies et le droit international ne permet pas de «renverser radicalement les rapports de subordination et n’empêche pas les états subalternes d’être victimes de violences légitimées par le droit»(3).

Comme si ce concept hautement controversé ne suffisait pas, on revient de nouveau à la charge pour propulser un nouveau  concept peu clair, utilisé déjà naïvement par certains cercles diplomatiques, sans se soucier de son impact sur l’ordre onusien, reposant sur la Charte. The Rules Based International Order ou RBIO, «l’ordre fondé sur les règles» vise à déconstruire et délégitimer le droit international notamment ses principes généraux tels qu’énoncés dans la Charte et à se substituer à cet édifice juridique communément admis, comme constituant les principes juridiques régulant les relations pacifiques entre les Etats.

On serait tenté de savoir qu’elle place accorde ce concept aux traités, conventions, aux résolutions et même à la jurisprudence internationale qui offrent la base et le socle de l’ordre juridique international autour duquel évoluent les relations entre les états? Aussi, est ce que les concepteurs de cette nouvelle notion  le considèrent  compatible avec le droit  international ou l’emporte il sur le droit international, s’interroge le professeur sud africain John Jugard, enseignant a Cambridge University.

Il aurait été plus judicieux que ce nouveau concept fasse l’objet d’un débat onusien examinant son esprit et ses finalités. Dans le cas de son adoption, il  pourrait évoluer en  cadre complémentaire de l’architecture juridique déjà existante capable de palier à ses limites et ses insuffisances et au premier  rangs desquels l’urgence de mettre fin au génocide de Gaza et de rendre justice au peuple palestinien.

La tendance n’est plus seulement limitée à marginaliser le socle juridique international.

Certaines puissances sont de plus en plus enclines à s’affranchir des contraintes normatives qu’elles perçoivent comme réductrices de  leur champ d’action sur la scène  internationale. C’est aussi une forme de déconstruction du Droit International par le non respect des traites, conventions, résolutions etc... 

La crainte est de voir le droit international de la paix s’éclipser pour céder le terrain à un monde dérégulé par les velléités et ambitions de domination et de puissance.

Dans le passé, le système international ancré dans le multilatéralisme,  parvenait alors non sans difficultés, il faut le dire et à des degrés divers, à dissuader l’usage de la force et l’utilisation de la puissance grâce à la régulation par le droit. La charte occupait alors  une place centrale dans le système international et le multilatéralisme jouait un rôle de producteur de normes et d’idées novatrices  au service de l’humanité. L’une des réalisations les plus notoires portées au crédit du multilatéralisme onusien est sa vocation de producteur de normes, d’où le développement progressif du droit international, fruit d’une coopération fructueuse entre les états membres pour parvenir à l’adoption de règles communes sur une base volontaire, pacifique et durable.

Toutefois, le multilatéralisme peine aujourd’hui à  continuer à assumer cette fonction. En effet, l’âge d’or d’un multilatéralisme qui a donné lieu à l’adoption  de textes normatifs importants mettant en place un ordre juridique international contraignant qui vise à consolider les droits des peuples dans un esprit d’universalité, se heurte aujourd’hui à de nouvelles réalités. Aujourd’hui on accole au multilatéralisme toutes sortes de connotations négatives comme crise, déclin, inadaptation, inadéquation, érosion, fatigue, inefficacité, affaiblissement etc…

Il est communément admis que le  multilatéralisme  est le terrain propice ou s’expriment les divergences, conflits d’intérêts, les rivalités et ambitions contradictoires.

Mais c’est surtout l’enchainement du multilatéralisme, en l’occurrence les Nations Unies, à la géopolitique conditionnée par les rivalités  de puissance, la tendance à s’affranchir des règles du droit international et de la charte des Nations Unies, les crises économiques et financières comme celle de 2008, la persistance des guerres et la montée de toutes sortes de périls, qui freinent la marche vers une coordination internationale efficace et portent un coup dur aux efforts internationaux fondés sur la coopération et l’esprit universaliste.

C’est aussi et surtout la poursuite de politiques unilatéralistes impliquant des actions difficilement acceptables dans un cadre multilatéral universel ou même régional et la propension de certains états à opter pour le bilatéralisme dans la conduite de leurs relations internationales, qui non seulement compromet cette quête incessante d’une solidarité internationale reposant sur un multilatéralisme universaliste, mais aussi précipite la dérégulation des relations internationales.

6/La gouvernance globale: instrument d’effritement ou de noyautage du DI

De la revendication du nouvel ordre économique International avec son acronyme de NOEI qui a dominé la rhétorique internationale tout au long de la décennie 1970 jusqu’au  début 1980, avec les innombrables tentatives tendant à précipiter  l’échec de cette revendication, on est vite passé durant la période post guerre froide à un monde régi par les valeurs néo libérales et qui aux fins de les institutionnaliser, on a donné naissance à la thématique de la gouvernance globale, nouvelle forme d’un multilatéralisme débridé.

En effet, le  cadre multilatéral est rattrapé par ce qu’on appelle la thématique de la gouvernance globale, une nouvelle forme de régulation internationale consacrée à la mondialisation et qui a apporté son lot de nouveaux acteurs ONG, firmes multinationales, groupes d’experts, cabinets de conseil, bref une forme de société civile transnationale, bousculant le rôle de l’Etat à l’intérieur du cadre multilatéral. 

Le triomphe de la doctrine néo libérale et l’expansion à toute la planète de son corollaire la mondialisation libérale, accélère l’expansion de son projet économique et culturel. Celui-ci avance depuis des décennies à grand pas d’une manière sournoise et à visage masqué. 

La gouvernance globale   qui constitue l’âme et l’esprit du néolibéralisme dans les institutions internationales et l’étend sur la planète, a dans sa logique de saper les fondements de l’Etat et de le dépasser par un pouvoir transnational puissant qui n’obéit à aucun contrôle. 

Serge Sur  affirme «qu’on vise à substituer à l’Etat  une régulation reposant sur une coalition d’ONG, de firmes transnationales, de groupes d’experts, bref une aristocratie informelle prétendant représenter la société civile internationale».

Conséquence, les Etats ne sont plus les seuls à dire le droit mais sont bousculés par le pouvoir croissant de grands groupes économiques et financiers et qui deviennent indirectement producteurs de droit. Ces groupes devenus très puissants, sont soutenus par de très vastes réseaux transnationaux et agissent en tandem avec de puissants cabinets d’avocats d’affaires cotés en bourse.

Ces groupes sont devenus des producteurs de normes à l’échelle internationale, des normes bien évidemment conçues et élaborées selon leurs besoins et afin que leurs intérêts soient placés à une échelle supérieure et  préservés.

L’Etat relégué dans la case de la subalternité, devient le serviteur de cette idéologie avec pour rôle d’assurer l’habillage de l’accord auquel sont parvenus les acteurs de la gouvernance globale.

Le Doyen Abdelhamid Ahmady écrit, «l’Etat n’est plus le seul acteur déterminant des relations internationales, d’autres acteurs apparaissent, notamment ceux du marché, et qui à la fois chahutent la souveraineté des Etats et  ébranlent les sources mêmes des règles du jeu international»(4).

Les intérêts de ces grands groupes, leurs gains  et bénéfices  sont considérés supérieurs au droit des peuples au développement et à un environnement durable. Dans le même esprit, la gouvernance globale ne tolère aucune résistance aux intérêts économiques et stratégiques du néolibéralisme. 

On serait tenté de connaitre la  position qu’adoptent ces promoteurs de l’ultra libéralisme  au sujet de l’émancipation des peuples ainsi que leur souveraineté sur leurs richesses naturelles nationales et leur droit au développement.   

Comme le note également le professeur  Monique Chemillier Gendreau, «le droit ne mène plus la dance et l’asservissement des peuples est assuré par un système diffus dont la rationalité est essentiellement économique et asociale»(5)

Pour sa part, le Prof Robert Charvin écrit « n’est –il pas essentiel de constater la tyrannie du droit au commerce sur les droits des peuples au développement et à un environnement durable(6).

Conclusion

Nous avançons à grand pas vers un monde où on n’hésite plus un moment à exalter  la force et la puissance au détriment du respect du droit. La logique de l’affirmation de la  puissance et les logiques de guerre comme moyen de règlement des conflits dominent déjà la dynamique internationale. Le règlement pacifique des différends prévu dans le chapitre VI de la Charte des Nations Unies est rangé dans les placards. 

Les guerres notamment interétatiques, autrefois perçues comme une manifestation du passé, seront vraisemblablement le moyen prédominant de traiter avec les conflictualités actuelles et à venir. Les rivalités de puissance qui évolueront vers des conflits existentiels ouvriront la voie à de nouvelles confrontations. Celles- ci feront usage de tous les moyens technologiques et scientifiques que l’homme a pu réaliser jusqu’ici. Le paradoxe réside dans le fait qu’en dépit de toutes les prouesses et avancées accomplies couvrant tous les domaines, l’instinct guerrier primaire et rétrograde et venant d’un autre âge demeure, pour créer d’autres drames humains, comme en témoignent aujourd’hui les horreurs infligées au peuple palestinien.

Apres des tentatives encore à l’œuvre visant a détricoter les principes du droit international, notamment ceux touchant au respect de la souveraineté et au principe de non ingérence, les deux piliers de la charte, l’impératif est d’expurger toutes les créations trapézistes nouvelles qui ont infiltré le champ du Droit International  ces dernières années, ayant pour but d’affaiblir les bases et piliers de ce droit et en premier lieu le principe de souveraineté étatique.

Fort heureusement ce principe fait preuve de résilience et manifeste sa capacité de demeurer l’un des principes fondamentaux du droit international. C’est le devoir de tous les juristes qui décèlent les manœuvres sournoises pour vider le droit international de sa substance et de son contenu et de lui substituer des  concepts servant la domination et l’hégémonie, tout en s’écartant davantage de la morale. Nous avons pour étayer ces faits la Palestine comme  illustration éclatante.

Riadh Ben Sliman
Ancien Ambassadeur

Notes bibliographiques

1-Serge  Sur, Revue  questions internationales: La paix illusions et réalités, septembre-octobre 2019.
2-Mario Bettati, le droit d'ingérence. Mutation de I’ordre international, Editions Odile Jacob, Paris, 1996.
3- R Bachand, les subalternes et le droit international, une critique politique Editions Pédone,  2018
4- Mélanges offerts en l’honneur du Professeur Mohamed Bennouna, Editions Pédone 2023.  
5- Monique Chemillier Gendreau, Humanité et souveraineté: essai sur la fonction du Droit International,  la Découverte 1995.
6- Robert Charvin, Répliques Droit International/ Relations Internationales Paris,  Editions Pédone 2023.









 

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