Édito: Des joyaux aux oubliettes!
Comment faire émerger la Tunisie parmi ces nouveaux pouvoirs qui se disputent la gouvernance du monde ? Donald Trump, de retour le 20 janvier prochain à la Maison Blanche, entend «rendre à l’Amérique sa grandeur d’antan.» Vladimir Poutine, depuis le Kremlin, veut l’emporter en Ukraine et étendre son influence en Afrique subsaharienne. Xi Jinping, à la tête de l’Etat et du parti communiste, voudrait hisser la Chine au rang de première puissance mondiale d’ici à 2049… L’Inde s’impose. De nombreux pays se dédient à une croissance à deux chiffres… Alors, nous devons faire prévaloir notre voix et porter notre ambition.
La Tunisie ne saura se faire entendre que par la science, la technologie, les lettres et les arts. Quatre leviers puissants, générateurs de progrès, facteurs de rayonnement. Ce n’est en fait qu’un retour aux sources, aux fondamentaux qui avaient constitué la prospérité sur nos terres, depuis des millénaires, porté notre renommée. Cités commerçantes, terres fertiles, mer poissonneuse et population ingénieuse, la Tunisie est si richement dotée.
Les joyaux de la couronne sont les savants, les poètes, les romanciers et les penseurs. Chaque lieu du pays garde encore les vestiges de grands édifices, et son atmosphère est chargée du souvenir d’illustres figures.
Allez au Djérid, où on naît poète, humer dans les palmeraies si fascinantes les parfums d’une nature luxuriante évoquée par Aboul Kacem Chabbi, Mustapha et Béchir Khraief, et autres poètes et romanciers.
En poussant votre chemin à Kébili et Douz, vous vous délecterez des récits des Mrazigs. Mohamed Marzouki (1916-1981) est inégalable.
Depuis son oasis natale de Zarat à Gabès, le poète Ahmed Laghmani (1923-2015) a inscrit dans le marbre une œuvre majestueuse.
Arrêtez-vous à Gafsa, pour vous imprégner de l’œuvre d’Ibn Mandhour (1233-1311), auteur du célèbre dictionnaire Lissan al Arab.
Déambulez dans les rues de la médina de Sfax, des siècles d’histoire s’offrent à vous. La Grande mosquée, qui date de 1 200 ans, raconte des arts et métiers, des traditions, un mode de vie et une bonté naturelle. Les cheikhs Abdelaziz Fourati, Ali Nouri, Hassen Charfi, et autres oulémas, premiers partis acquérir le savoir au Caire et à El Hijaz, ont donné à la ville et au pays, au-delà de la théologie, des avancées en géographie, en océanographie et dans les sciences diverses. L’encyclopédie Nozhat al Andhar du cheikh Mahmoud Megdiche (1742 1813) en rapporte de larges échos.
Kairouan, capitale du pays pendant quatre siècles, est une ville-temple de la culture. L’imam Sahnoun (777-854), Ibn Rachiq (1000-1064) et Ibn Charaf (1000-1067), puis Salah Souissi (1871-1941), Chadli Atallah (1899-1991), Mohamed El Faïez (1902 -1953) et Mohamed Hlioui (1907-1978), pour ne citer que ces quelques noms, ont jalonné notre histoire de leurs œuvres, de leur modernité et de leurs vocations multiples.
Partout ailleurs, la pensée, la science et les lettres sont à profusion. Mahdia, premier émirat indépendant instauré au Maghreb, Monastir, Sousse, Siliana, Kasserine, Le Kef, Zaghouan, le Cap Bon et Bizerte ont donné naissance à d’éminentes figures. La capitale, Tunis, sa médina et la mosquée de la Zitouna, restent des livres ouverts. Dans cette plus grande bibliothèque vivante, le récit d’une puissance intellectuelle est écrit en or.
Qu’en savons-nous au juste ? Quelques noms, quelques faits, quelques extraits d’œuvres, rien de précis, rien de complet, rien de profond.
Motif de fierté, source d’épanouissement, facteur d’accomplissement, nous laissons l’oubli envelopper nos trésors. La copie, avant l’ère de l’imprimerie, puis l’édition avec des moyens artisanaux ont conservé et transmis les œuvres. Au lendemain de l’indépendance, la Société tunisienne de diffusion (STD) et la Maison tunisienne d’édition (MTE) ont pris le relais. Le ministère de la Culture, jusqu’à une date récente, a multiplié les initiatives pour dépoussiérer ce patrimoine. La modestie des ressources a réduit les élans.
Publier, faire découvrir sous divers supports et célébrer ces sommités nous réconcilie avec notre identité et inspire les jeunes. Ce qu’entreprend la Banque de Tunisie avec le Prix Aboul Kacem Chabbi, les Assurances Comar avec le concours littéraire, la Fondation Abdelwahab-Ben Ayed et d’autres associations mérite d’être généralisé. Le mécénat culturel, en faveur des jeunes aussi, est à déployer largement.
Dans ce nouveau monde, nos joyaux seront les trésors de notre puissance.
Bonne & Heureuse Année 2025.
Taoufik Habaieb
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Merci pour l'auteur. Article talentueux.