Des jeunes de Tunisie s’adressent à Paris à Gisèle Halimi
Ils ont fait le déplacement à Paris, ont eu le privilège d’accéder au Salon de l’Hôtel de Lassay, siège de l’Assemblée nationale, et l’honneur de lire devant un aréopage trié sur le volet les lettres qu’ils ont écrites à Gisèle Halimi. Deux lycéennes, Eya Ben Chaâbane et Balsem Hamouda, du Lycée de la Rue de Russie à Tunis qu’a jadis fréquenté la célèbre avocate et illustre féministe, et Farès Bouker, élève au Lycée français Pierre Mendès France de Tunis, ont ému l’assistance. L’occasion leur a été offerte par l’Association des avocats franco-tunisiens (Aaft), fondée par Me Semia Maktouf, à l’occasion de la tenue, le 18 novembre 2024, de la cérémonie de remise de la deuxième édition du Prix Littéraire Gisèle Halimi.
L'ancien Premier ministre, Gabriel Attal, et la présidente de l’Assemblée, Yaël Braun-Pivet, ont pris la parole à cette occasion, en présence de nombreux élus, anciens ministres, avocats, bâtonniers et magistrats. Rania Toukebri, astronaute tunisienne, est venue spécialement de Munich où elle travaille pour l’Agence spatiale européenne.Le Prix Gisèle Halimi 2024 a été attribué à Abnousse Shalmani, écrivaine et journaliste, née à Téhéran dans une famille qui a fui la dictature des mollahs en 1985, pour son roman J’ai péché, péché dans le plaisir (Grasset).
Les jeunes Tunisiens ont captivé l’auditoire par leur engagement et leur fidélité. Me Maktouf a su créer un excellent évènement et réunir des convives de marque.
J’ose être une Gisèle Halimi
Eya Ben Chaâbane
Nous les femmes, on te doit beaucoup, et moi je te dois énormément. Grâce à toi, j'ai la chance d'être imprégnée par ta ténacité de militante invincible.
En déambulant dans les couloirs de notre prestigieux lycée, je suis tes pas comme un messie et j'écoute ta voix vibrante. Tellement douce mais puissante dans tes mots qui me donnent des ailes. Pour moi, tu es la femme extraordinaire qui a laissé une empreinte indélébile, l'exemple de l’émancipation, de l'indépendance, une force et une volonté d'acier, ma muse, ma source d'inspiration.
«N'ayez pas peur de vous dire féministes. C'est un mot magnifique, vous savez », as-tu clamé. C'est pourquoi j'ose. J'ose dire «je suis féministe». J'ose être irrespectueuse. J'ose être rebelle et farouche. J'ose toujours dire la vérité. J'ose m'indigner et m'insurger contre la phallocratie, c'est mon devoir de citoyenne émancipée, je ne vais pas laisser l'injustice et la violence piétiner les femmes.
Tu as dit : « J'attends que les femmes fassent la révolution », alors j'ose poursuivre ton combat acharné, ton engagement au service de la justice et de l'égalité. J'ose être une « Gisèle Halimi » dans un monde misogyne. J'ose être une «Gisèle Halimi» pour les nouvelles générations. J'ose jouir de ma liberté, c'est mon droit. J'ose défendre la cause féminine, plaider la cause des femmes victimes de la violence et libérer la parole de l'oppression patriarcale. Je te promets que toutes les cages seront finalement ouvertes. Je te promets qu'il n'y aura plus de Shahrazade, de filles violées, de femmes battues. J'oserais suivre la voie de la "Kahina", une brave guerrière, "Alyssa", une femme légendaire, "Gisèle Halimi", une avocate mythique. Je suis une citoyenne libre et responsable, je marquerai l'histoire de mon pays et je mènerai la marche de toutes les femmes affranchies.
Eya Ben Chaâbane
Vous étiez l’étincelle qui allumait le feu de la révolution féminine
Par Balsem Hamouda
C’est grâce à vous Gisèle, que nous les femmes ne sommes plus vulnérables, nous les femmes, avons vécu tout un cycle de vie d’un papillon : des œufs, des larves et des chrysalides, pour enfin émerger en tant que papillons.
On a retrouvé notre liberté de s’envoler sans être violées. Briser les menottes de l’esclavage masculin était aussi pitoyable que l’aspiration d’un embryon cruel qui nage dans son utérus, aussi pitoyable qu’un fruit de traumatisme occupé des cris “ Au secours ! Au secours !”.
Vous étiez l’étincelle qui allumait le feu de la révolution féminine, qui a provoqué la masculinité fragile de certains, disant « elle n’avait qu’à pas porter un jeans collant, elle n’avait qu’à pas sourire, elle n’avait qu’à pas sortir » et tous les «elle n’avait qu’à pas » qui ne pourraient jamais justifier la médiocrité des spermatozoïdes.
Vos soixante-dix ans de combat ont bouleversé le monde d’une manière irréversible. Dans un monde où le violeur accusait la victime d’avoir avorté ! Dans un monde où la femme était toujours marginalisée ! Vous avez choisi de risquer «votre propre liberté pour servir celle des autres.» Vous avez consacré votre vie pour briser les barrières qui nous empêchaient de jouir de nos droits sans entrave ou oppression. Vous étiez l’inlassable combattante de l’égalité. Vous étiez la controverse dans une société conservatrice. La grève de la faim que vous avez menée aboutissait à notre émancipation et à la valorisation de notre combat aujourd’hui.
Votre passé glorieux continue de m’inspirer. Je resterai toujours reconnaissante et je ferai tout mon possible pour réveiller les Gisèle Halimi qui cohabitent dans l’esprit de nos jeunes filles.
Vos parents ne devaient pas attendre 15 jours pour annoncer votre naissance, vous n’étiez pas une malédiction, mais une bénédiction, plutôt, une lumière divine qui est née à l’aurore. Pourtant, vous étiez trop belle, vous étiez la plus belle des fleurs de mon jardin. Je vous admirais hier et aujourd’hui vous ne serez jamais poussière, votre mémoire me mine dès que je suis devenue une femme insolente et non pas une femelle qui est dominée par les hommes.
Pour clôturer, votre réussite inestimable a laissé une empreinte ineffaçable sur notre monde. Votre dévouement sans faille envers la cause de la femme et votre influence positive sur nos droits resteront éternellement inscrits dans nos cœurs et nos mémoires, rappelant à chacune d'entre nous la puissance de l'engagement et du pouvoir de faire la différence.
Balsem Hamouda
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