Habib Touhami: Légitimité historique et capital symbolique
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Il n’est pas plus hérétique en démocratie que l’appel des hommes politiques à leur soi-disant légitimité historique, soit pour conquérir le pouvoir, soit pour s’y maintenir ad vitam aeternam. D’abord parce que les services rendus à la Patrie ne sont pas source de légitimité en démocratie. Au demeurant, le mot «légitimité» est emprunté au latin «legetimus» qui veut dire «légal», «ce qui est selon la loi». Ensuite parce qu’au contraire de la légitimité électorale, banale dit-on mais qui constitue in fine la seule source de légitimité en démocratie, la légitimité historique ne peut pas être défaite par des élections. Aucun des prétendants à la légitimité historique, à l’exception du Général de Gaulle peut-être, ne s’est incliné de bonne grâce face à l’infortune des urnes.
De nos jours, l’appel à la légitimité historique n’a plus cours, la génération des héros de guerre et des luttes pour l’indépendance nationale s’étant éteinte. Mais quelques hommes politiques de notre temps tentent, avec quelques succès d’ailleurs, de lui substituer une forme de légitimité empruntée à ce que Bourdieu appelle le «capital symbolique». Bien que le concept ait été formulé pour «désigner le fait que la disposition de capital (économique ou culturel) fournit à celui qui le possède une crédibilité, une surface, une autorité qui lui permettent de disposer d’atouts maîtres pour accéder à une position sociale acceptée et reconnue par les autres», son application abrupte au champ politique se banalise. Les élections ne servent dans ce cas qu’à légaliser un césarisme de fait et le capital symbolique se transforme, malgré lui, en soutien apocryphe du populisme.
Face à la faiblesse inquiétante des taux de participation aux élections et à la dégradation continue de la démocratie représentative, les hommes de pouvoir usent de quelques subterfuges, de moins en moins rationnels, de plus en plus irrespectueux du suffrage universel. Pour ce faire, ils mobilisent une vox populi en haine contre l’intelligentsia et les corps intermédiaires et s’octroient des pouvoirs que nulle constitution ne prévoyait. Le magistère qu’ils usurpent ainsi ne connaît plus de limites, plus de freins, plus de tempérance. C’est ce que l’on observe dans un pays démocratique tel que les Etats-Unis d’Amérique de Trump, mais aussi ailleurs dans le monde. Le capital symbolique en politique s’y présente comme le remède miracle à la crise de la représentativité électorale.
André Malraux disait que «le XXIe siècle sera religieux ou ne sera pas». Il ne s’est peut-être pas trompé de diagnostic, sauf qu’il s’est manifestement trompé de prédiction. Il ne s’agit plus pour l’heure «d’y intégrer les dieux» selon ses mots, mais d’y déifier leurs mortelles créatures. Mystérieux et immatériel au fond, le capital symbolique sert d’onction quasi divine à l’instauration de régimes politiques a-démocratiques. C’est d’autant plus problématique pour l’avenir de la démocratie que le capital symbolique ne repose finalement que sur une alchimie éphémère et inintelligible entre «un émetteur, souvent collectif, et un récepteur, le plus souvent individuel».
Habib Touhami
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