News - 23.04.2025

Abdellaziz Ben-Jebria: L’énigme des jumeaux

Abdellaziz Ben-Jebria: L’énigme des Jumeaux

Par Abdellaziz Ben-Jebria - Lorsqu’on croise deux personnes qui se ressemblent beaucoup, on a les yeux instantanément ébahis par le simple regard; on reste perplexe, pendant un court laps de temps, face à cette insolite similitude humaine; puis on réalise après-coup que ces deux créatures sont probablement des jumelles ou des jumeaux. L’univers particulier de ces derniers est bien détaillé par Ondine Bomsel-Helmreich, dans son merveilleux livre(1), "Le monde singulier des jumeaux", dont je me suis largement inspiré pour concevoir cette contribution. En réalité, les jumeaux ne sont pas aussi rares qu’on l’imagine puisqu’en moyenne 1,5%  d’enfants naissent gémellaires dans le monde dont 1,6% en France, 1,8% en Tunisie, et 2% aux Etats-Unis. Mais c’est en Afrique centrale où le taux le plus élevé de gémellité est observé (2,7%). Il semblerait que cette fréquence de naissance dépend de l’ethnicité et de la quantité d’hormones secrétées par les ovaires. Cependant, certains jumeaux, comme les dizygotes, ne sont pas parfaitement identiques, comme les monozygotes.

Alors, quelle est la différence entre mono-et-dizygotes?

Les monozygotes (MZ) sont des jumeaux identiques, ou vrais-jumeaux, parfaitement semblables, qui émanent d’un seul (mono) œuf divisé, à la suite de la fécondation (zygote) d’un ovule par un spermatozoïde, ayant le même héritage génétique, possédant le même ADN, et qui sont évidemment de même sexe. Ils apparaissent donc très similaires et se ressemblent copieusement.

Les dizygotes (DZ) sont des faux-jumeaux, ou jumeaux-fraternels, qui résultent de deux œufs après la fécondation de deux ovules différents (double ovulation) par deux spermatozoïdes distincts. Leur ressemblance étant variable, ils peuvent donc avoir les mêmes différences qu’entre n’importe quel frère ou sœur.
Alors que les singuliers naissent vers 37-40 semaines de grossesse, avec un poids moyen de 3500 gr, les jumeaux naissent plus tôt, vers 35 semaines, avec des poids moyens de 2500 gr chez les dizygotes contre 2300 gr chez les monozygotes. Mais, ces derniers représentent environ 1/3 des grossesses gémellaires et les dizygotes près de 2/3.

Quant à l’ethnicité, la naissance gémellaire des monozygotes apparaît relativement constante dans les mêmes proportions, avec 0,3 à 0,5%,  pour la majorité des ethnies. Cependant, la gémellité des dizygotes semble beaucoup varier; elle est constatée chez 1,5 à 3% des asiatiques, chez près de 8% des caucasiennes (européennes), et chez plus de 15% des africaines sub-sahariennes. Ce qui intéressant est que chez les Yorubas, qui sont un des plus grands groupes ethniques d’Afrique de l’Ouest, présent surtout au Nigeria, les campagnards se nourrissent essentiellement d’une variété d’ignames (ou yam); une sorte de patate douce contenant des substances proches des œstrogènes qui augmentent le taux de FSH (follicule-stimulating hormone), et qui a un effet semblable à celui des inducteurs d’ovulation, donc favorable à la fertilité.

Qu’en est-il de la socialisation des jumeaux dans un rapport de dominant-dominé ?

On a en effet observé qu’une relation de dominant-dominé s’installe très tôt, dès l’âge de quelques mois, particulièrement chez les jumeaux dizygotes fille-garçon. Elle persiste communément jusqu'à l’adolescence, voire même plus tard. Dans ce rapport, c’est souvent la force physique telle que le poids et la taille, ou l’ordre de naissance (prestige distinctif d’aîné) attribué par les parents, qui déterminent la dominance. Cependant, cette notion de dominant-dominé, qui est très souvent définie par les jumeaux eux-mêmes, ne semble pas les affecter péjorativement dans leurs relations mutuelles ; ils l’acceptent plus ou moins facilement, la vivent naturellement, et reconnaissent qu’elle ne génère aucune rivalité entre eux. Les jumeaux se complètent alors par leurs différentes personnalités, l’un jouant l’introverti qui essaie de tempérer les paroles de l’autre extraverti qui, lui, a tendance à incarner le rôle du tribun. Autrement-dit, ils gèrent mutuellement, voire harmoniquement, leurs rapports avec la société en symbolisant tacitement les pseudo-fonctions de "ministres de l’extérieur et de l’intérieur" ; et ce faisant, celui ou celle de l’extérieur s’occupe de la gestion des rapports avec les autres, en parlant pour les deux jumeaux, tout en leur répondant volontairement quand on s’adresse à eux ;tandis que celui ou celle de l’intérieur se préoccupe plus spécifiquement de la cohésion sociale de leur vie gémellaire, en tâchant d’être affectivement pragmatique pour solutionner les problèmes qui se présentent.

C’est dans ce cadre que la socialisation des jumeaux se révèle progressivement intéressante aussi bien dans le milieu familial que dans l’environnement communautaire. En général, les jumeaux s’attachent beaucoup, voire même exclusivement, à leur propre intérêt et plus particulièrement à leur unité plutôt qu’à une cohésion sociale dans la vie d’un groupe, et même à l’égard du reste de la famille. Et pour la majorité d’entre eux, leur unité est un instinct de sécurité, un pressentiment de satisfaction, et une perception de bonheur qui les chaperonnent tout au long de leur vie commune ; c’est pour ça que le décès d’un jumeau est le plus grand cataclysme pour l’autre. Ainsi, alors qu’un tiers des parents se désolent du détachement social de leurs jumeaux, 75% de ces derniers l’assument pleinement et n’en font pas de véritables jérémiades. Ce qui explique pourquoi ils n’ont pas besoin des autres, car pour eux, il suffit d’être deux pour affirmer leur fraternité.

Une anecdote évoquée dans le livre de Bomsel-Helmreich, sur cet aspect d’unité gémellaire-fraternelle, est l’histoire  de Pierre qui admet, sans se gêner, avoir voté, aux élections municipales, pour lui-même mais aussi à la place de son frère Pablo qui était en mission diplomatique en Centrafrique. Les deux frères jumeaux jugent que la procuration n’était pas nécessaire. Ils pensent naturellement que l’arrangement du vote, par consentement mutuel, n’est pas une tricherie mais un acte évidement simple, puisqu’ils se confondaient tellement sur les photos qu’ils pouvaient faire établir, le cas échéant, les cartes d’identité de l’un pour l’autre.

Que sait-on des parents de jumeaux ?

On peut raisonnablement comprendre que la révélation d’une grossesse gémellaire peut engendrer, chez les parents, un souci, une angoisse, et une inquiétude plus marquée qu’une grossesse unique; et ceci pour plusieurs raisons : risques pour la mère et les fœtus; difficultés d’accouchement prématuré; craintes d’anomalies congénitales ; sans oublier les interrogations sur la gestion quotidienne de l’après et au-delà de la naissance. Mais primordialement, la détresse de la mère est encore plus compréhensible, car déjà fatiguée de la grossesse et l’accouchement gémellaire, elle doit encore subir la double charge pesante pour prendre soin de ses jumeaux en même temps.

Idéalement, il faut être deux pour minimiser cette détresse maternelle; encore est-il nécessaire d’imaginer l’énorme stress des deux parents, juste après l’accouchement ? Il s’agit en effet d’allaiter ou biberonner l’un après l’autre, ou l’un et l’autre simultanément ; il faudrait aussi les nourrir, les baigner, les langer, puis les consoler en grandissant; ce qui rend leur tâche écrasante, et transforme surtout la première année de leur vie familiale difficile, évidemment. En outre, les parents peuvent aussi se poser d’autres questions légitimement concrètes, pragmatiques, et pratiques telles que comment parviendront-ils à distinguer et à individualiser leurs jumeaux, surtout s’ils sont monozygotes, de même sexe, ou se ressemblent beaucoup? Pourront-ils faire face au fardeau économique pour les accueillir ? Et comment adapteront-ils leur appartement pour y installer deux berceaux, arranger deux gardes robes, et acquérir deux assortiments de vêtements ?
Quant aux prénoms, on constate encore que les parents demeurent aussi conservateurs que leurs aïeux dans leurs choix. Ainsi, les exemples de prénoms gémellés de mêmes racines qui se ressemblent par leurs assonances sont toujours abondants, à l’instar de Jean-Marie et Jean-Pierre, Aline et Alice, Chloé et Zoé, ou Hassan et Hussein, Zahra et Zeyna.

Quelles activités sportives et quelles carrières professionnelles des jumeaux ?

On imagine bien qu’ayant une hérédité quasiment identique et ayant vécu dans le même milieu socio-familial, les jumeaux adultes soient prédisposées à des métiers similaires ou des occupations sportives et professionnelles semblables. Même dès l’enfance, ils aiment souvent pratiquer le sport en groupe ou à deux qui leur permet de jouer souvent dans les mêmes équipes ou d’avoir en permanence un partenaire idéal. C’est le cas des deux frères jumeaux monozygotes, Michel et Serge Hidalgo, qui avaient joué ensemble dans la même équipe de football au début des années 1970 ; le deuxième étant moins connu que le premier qui avait fait partie de l’équipe nationale de France et devenu par la suite son entraîneur. C’est aussi l’exemple des deux joueurs brésiliens Fabio et Rafael da Silva, des années 1990, qui avaient pratiqué ensemble le foot depuis l’âge de 5 ans. Et c’est le cas des sœurs jumelles, Annika et Kristina Penickova, qui se sont mesurées plus récemment, en 2025, aux sœurs Alena et Jana Kovackova, en double à l’Open du tennis en Australie. Et enfin qui ne connaît pas les fratries des sœurs, non-jumelles mais à peine un an de différence, Venus et Serena William, les célèbres joueuses qui avaient longtemps dominé le monde du tennis ?

Bien que la communauté gémellaire, dans le monde sportif, soit beaucoup plus reconnue que dans le milieu professionnel, on peut citer deux exemples académiques de jumeaux qui ont présidé, à la même période, les Universités McGill au Canada et Princeton aux USA. Mais le cas le plus inhabituel est celui de la carrière des pilotes jumeaux Mark et Scott Kelly qui se sont engagés tous les deux comme astronautes à la NASA, dans les années 1970.

Cependant, d’autres occupations moins mémorables sont aussi connues chez les jumeaux, comme celles de Daniel et Denis Mahon, tous les deux dirigeants racistes des Ku Klux Klan, dans le sud Etats-Uniens. C’est aussi l’exemple des sœurs jumelles, Louise et Martine Fokkens, qui avaient exercé toutes les deux un demi-siècle de prostitution, jusqu'à l’âge de 70 ans, dans le quartier rouge d’Amsterdam.  Mais, les jumeaux peuvent être aussi tentépar des activités dangereuses, comme c’est le cas des frères monozygotes,  Ronald et Reginald Kray qui, après une jeunesse de boxe et de petite délinquance, entrent dans la sphère criminelle et entament une carrière de gangsters britanniques, en relation avec la mafia, dans les années 1950-60, qui s’est terminée mal pour eux.

Finalement, qu’en est-il des relations affectives et sexuelles des jumeaux

D’abord, il semblerait que, d’après une ancienne étude parisienne des années 1960, 25% des jumeaux mono-et-dizygotes restaient célibataires, alors que seulement 16% des singuliers l’étaient. Par contre, il y avait beaucoup plus de jumelles qui demeuraient célibataires (47%) que les non-jumelles (25%). Mais comme on peut le deviner, les couples dizygotes des sexes différents se plaçaient dans une situation intermédiaire. Ce résultat, même s’il est ancien, montre clairement que le mariage traditionnel est certainement plus difficile pour les jumeaux, surtout les monozygotes quine renoncent pas facilement à la vie gémellaire pour une autre vie totalement conjugale.

Quant au flirt, les jumeaux monozygotes savourent souvent leur passade amoureuse au même âge. Mais, dès le début des relations sexuelles avec une partenaire, les possibilités de substitution, pour ressemblance, peuvent exister continuellement sans le moindre remord ; si l’un des jumeaux se fait passer pour l’autre, auprès d’une amoureuse, il n’éprouve aucune gêne dans cet échange de rôle.

Pour finir, j’aimerais évoquer l’aspect inédit de la superfécondation qui est la fécondation de deux ovules, ou plus, par des spermatozoïdes issus individuellement de deux rapports sexuels distincts. Cela peut arriver quand deux ovocytes d’une même ovulation sont fécondés par deux pères différents (époux et amant) à quelques heures d’intervalle. Cette superfécondation hétéro parentale a été effectivement observée et décrite quelquefois, surtout quand les jumeaux avaient des différences de couleurs de peau visiblement assez marquées (noire et blanche).

Abdellaziz Ben-Jebria

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(1) Ondine Bomsel-Helmreich, Le monde singulier des jumeaux, Maison d’Édition Langage, 2022.
 

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