News - 11.12.2025

Hela Ben Hassine Khalladi: Lever les barrières

Hela Ben Hassine Khalladi: Lever les barrières

Lorsque l’Ites lui a proposé d’entreprendre une étude sur la lutte contre l’économie de rente en Tunisie, Hela Ben Hassine Khalladi, économiste, maître de conférences, a rapidement donné son accord, tant le sujet l’intéresse. Pour avoir travaillé sur l’évaluation transversale des réformes, elle sait quel frein puissant constitue ce système inique au décollage économique du pays. «Avant de parler de répartition équitable des richesses, faut-il d’abord les créer», affirme-t-elle d’emblée à Leaders. «Or, les mécanismes de rente n’encouragent ni l’innovation, ni la concurrence, ni la création de valeur. Ils instaurent un sentiment d’injustice, réduisent la classe moyenne et approfondissent les inégalités. Les démanteler fait consensus et ne nécessite pas de grands moyens financiers.»
Interview.

Parmi les neuf axes de réforme, lesquels sont réellement prioritaires à court terme pour déclencher un effet de rupture dans le système rentier?

La levée des barrières à l’entrée sur le marché est sans doute la clé de voûte. Le monopole peut être public ou privé. L’Etat se l’approprie, ou le tolère. Dans les deux cas, son rôle est primordial. L’Etat doit-il conserver encore certains monopoles? Regardez aussi des contradictions dans la fiscalité: une forte pression fiscale d’un côté, des allègements et des avantages, de l’autre. La taille de l’entreprise importe peu. Ce sont les enjeux qui comptent. Déverrouiller est essentiel.

Le Conseil de la concurrence est à renforcer. Il a un rôle majeur à jouer: plus de moyens, plus de vigilance et plus de dissuasion.

Vous affirmez que plus de 50 % de l’économie tunisienne est touchée par des mécanismes de rente. Concrètement, comment ces rentes impactent-elles le quotidien des Tunisiens ?

Au niveau des prix et du choix. Le fournisseur bénéficiaire d’une situation de rente ne se soucie pas d’améliorer la qualité, ni d’abaisser les prix. C’est le consommateur qui en paye les frais. Il va falloir commencer par la levée des barrières pour ce qui est des intrants (up Stream), tels que le transport, l’énergie, la communication, les matériaux de construction et autres. L’effet se répercutera rapidement sur les autres produits et services (down Stream).

Votre rapport montre que la suppression des rentes pourrait créer jusqu’à 50 000 emplois par an. Quels secteurs pourraient bénéficier en premier de ces réformes?

Ce sont ceux qui sont libérés du système de rente. Obligés désormais d’innover, d’élargir le choix et d’améliorer la qualité, ils vont recruter davantage d’employés et monter en gamme dans les qualifications professionnelles. Les autres secteurs suivront.

Les rentes sont souvent liées à des réseaux puissants et à de fortes résistances. Selon vous, la Tunisie a-t-elle aujourd’hui les moyens politiques d’engager une réforme aussi profonde?

Bio express

Hela Ben Hassine Khalladi est maître de conférences en sciences économiques et Fulbright Visiting Scholar Alumni à la Tennesse State University.

Elle est titulaire d'un doctorat en économie de l'Université de Tunis El Manar.

Ses recherches portent sur les crises financières internationales, la viabilité de la dette publique, la conception des programmes du FMI et l'économie politique des réformes.

Elle s'implique également dans le mentorat d'étudiants, le leadership académique et les initiatives de la société civile tunisienne.

Absolument ! Cela relève de l’économie politique. Certaines réformes sont douloureuses, difficiles et impopulaires. Mais, en ce qui concerne la lutte contre l’économie de rente et pour une croissance durable et inclusive, les mesures proposées dans ce rapport passent sans difficulté. Qui pourrait s’y opposer et les bloquer, sauf ceux qui en jouissent. Mais, ils ne trouveront personne pour les défendre.

Ces mesures ne nécessitent pas des ressources financières, mais des révisions législatives et réglementaires. Nous devons procéder également à une évaluation permanente des différents mécanismes mis en œuvre, tels que les cahiers des charges. Ont-ils atteint leurs objectifs et permis la libération de l’exercice des activités concernées, ou non?

Le dispositif des marchés publics n’est pas difficile à reprendre dans le sens d’une plus grande transparence et de la possible contestation des attributions de marchés. Une digitalisation et une plateforme ouverte et accessible y contribueront.

Je ne crois qu’il n’y ait pas de résistance. C’est un sujet qui fait consensus. Il faut chercher d’où proviennent les barrières, qui les a érigées et s’atteler à leur démontage, une à une.

En quoi la lutte contre la rente est-elle indispensable pour reconstruire la confiance entre l’État, les entreprises et les citoyens?

L’économie de rente est perçue comme une injustice, une confiscation. En concentrant les richesses entre les mains d’une classe de nantis, elle réduit la classe moyenne et accroît les inégalités. Toute la cohésion sociale en pâtira. L’ascenseur social mû par les études et la compétence se trouve bloqué. Le diplôme ne suffit plus pour accéder à un bon emploi et la qualification professionnelle n’octroie pas le droit de promouvoir un projet plein de promesses. C’est injuste.

Mais, avec la lutte contre l’économie de rente, les changements seront tangibles. Efficace économiquement, faisable politiquement et peu exigeante techniquement, le démantèlement de ce système aura des effets concrets. On doit y aller !

Lire aussi

• Economie de rente: Comment la démanteler?

• Les actions opérationnelles pour démanteler l’économie de rente

 

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