Opinions - 28.03.2011

De la révolution tunisienne et de la bonne Gouvernance des entreprises

La révolution est à la mode. La bonne gouvernance aussi. « Parfois pris dans le sens de tout changement important dans les structures sociales, le régime économique, etc. » , la révolution est sans doute l’expression, brusque, d’une volonté ferme de rupture avec la mauvaise gouvernance. Ce constat est valable aussi bien au niveau de l’Etat qu’au niveau des entreprises. Là où il y a exercice du pouvoir, il y a toujours risque pour les bonnes valeurs. Comme le rappelle David Landes, « les meilleures valeurs peuvent être étouffées par une mauvaise gouvernance dans un pays donné » .

Liberté, droit à la participation, transparence, responsabilité, égalité, contrôle du pouvoir sont des valeurs fondamentales pour la révolution. Elles le sont aussi pour la gouvernance. Car, le concept de gouvernance, se réfère globalement à l’exercice du pouvoir et à la manière dont les règles sont élaborées, décidées, légitimées, mises en œuvre et contrôlées dans une organisation .

Pris dans ce contexte, la révolution tunisienne du 14 janvier 2011, aura certainement, nous l’espérons du moins, le mérite d’instaurer un « système d'assainissement » destiné à éradiquer les défaillances, à permettre un renouvellement des acteurs économiques et politiques et à stimuler l'innovation dans tous les domaines.

Dans cette culture de renouvellement qui s’instaure en Tunisie, s’insère la mise à jour du Guide de bonnes pratiques de gouvernance des entreprises tunisiennes paru en 2009 et à laquelle tous les protagonistes du monde de l’entreprise sont invités à y contribuer. Au-delà du débat sur la « juridicité » des dispositifs explicités par tout Guide de bonnes pratiques, il nous a paru intéressant de mettre l’accent sur l’originalité de la légistique adoptée (I.) avant d’exposer les grandes valeurs codifiées (II.).
    
I. Une légistique privilégiant le dialogue et l’éthique des entreprises tunisiennes
La légistique s’entend, généralement, de la science de la composition des normes ; plus spécialement de l’étude systématique des méthodes de rédaction des textes législatif. De ce point de vue, le Guide s’apparente à un instrument de régulation (ou plus précisément d’autorégulation  selon la formule consacrée par certains auteurs),  utilisant des méthodes de rédaction qui s’appuient sur les techniques de concertation et de dialogue, et privilégient les aspects pédagogiques et moralisateurs.

1) La préparation technique des dispositifs du Guide s’est appuyée sur la concertation et le dialogue avec les entreprises
La réflexion normative contemporaine a connu une évolution marquante. D’importants travaux de recherche ont ainsi permis de mieux appréhender, la manière dont le système juridique forge les règles qu’il entend faire respecter. En effet, divers mécanismes novateurs  mis en œuvre par les acteurs de la scène juridique (administration, juge, société civile…) manifestent « une forme particulière de normativité qui s’écarte du modèle traditionnel du droit étatique, c'est-à-dire d’un droit « impératif, général et impersonnel». De plus en plus, le modèle traditionnel de la norme étatique privilégie ainsi l’incitation plutôt que l’obligation et la dissuasion au détriment de l’interdiction. De même il laisse bien souvent une place à la négociation voire à la contractualisation avec le citoyen .   

La régulation reflète désormais deux idées principales : D’une part des normes  particulières. Celles-ci se distinguent par une certaine souplesse, sur le plan de la forme comme du contenu : formulées non pas sur le mode impératif, elles privilégient au contraire la recommandation, l’incitation, l’invitation ou encore la dissuasion. D’autre part, des méthodes spécifiques d’élaboration du Droit. Celles-ci s’appuient sur la participation des destinataires de la norme à sa création, à travers des mécanismes de dialogue plus ou moins formels et plus ou moins poussés : consultation, discussion, négociation…

Le Guide de bonnes pratiques de gouvernance des entreprises tunisiennes offre, à notre avis, un intéressant exemple de cette forme particulière de normativité. Reflet de l’importance de la concertation, la logique qui anime le Guide est particulièrement axée d’une part sur la recommandation et, d’autre part, sur le dialogue. Cette logique apparaît clairement  dans la  mobilisation des représentants des principaux acteurs économiques en Tunisie. Les recommandations contenues dans le Guide, élaborées par des experts, ont été en effet le fruit de longues discussions avec des professionnels. Le Guide a émané finalement de ceux qui sont censés y adhérer et a été produit par ceux qui vont assurer sa mise en œuvre. Sa refonte et sa mise à jour aussi.

2) La rédaction technique des dispositifs du Guide est animée par une ambition pédagogique et moralisatrice
Les mécanismes novateurs de l’auto-régulation, exposés précédemment, font appel, dans une large mesure, au civisme et au sens de l’éthique des entreprises. L’utilisation du mode suggestif (« le Guide recommande… », « les entreprises devraient… », « le manager est appelé à… »), qui s’écarte du mode impératif traditionnel, dans la rédaction des codes de conduites en est bien l’illustration.

Cet aspect suggestif dans la formulation de la norme répond essentiellement à un souci pédagogique. En s’adressant aux entreprises sur un ton délibérément suggestif, prenant une certaine distance avec la notion d’impérativité, celles-ci accepteraient plus facilement la norme, qu’on entend leur appliquer plus par sens de responsabilité que par peur de sanction. Ceci est d’autant plus vrai qu’elles ont été associées, rappelons le, dès le début à la formation de la norme en question.

II. Une codification revalorisant les bonnes pratiques de la gouvernance
A l’ère de la révolution, l’entreprise tunisienne ne peut plus aujourd’hui ignorer que sa vie, voire sa survie, dépend en grande partie de sa capacité à intégrer certaines valeurs fondamentales telles que la transparence, le droit à l’information, la responsabilité des dirigeants, la nécessité de contrôle de l’exercice des pouvoirs, l’éthique, la responsabilité sociétale, la liberté d’expression, le dialogue social… C’est précisément l’objectif et le contenu du Guide de bonnes pratiques de gouvernance des entreprises tunisiennes.

L’objectif fondamental de tout  guide de bonne gouvernance est de gagner la confiance des investisseurs et du public. Il viserait à rendre le système de gouvernance d’entreprise plus transparent et plus intelligible. Sa préoccupation majeure est de promouvoir la confiance des investisseurs nationaux et internationaux, des clients, des salariés et du public dans la gestion et le contrôle des entreprises.

La confiance constitue, à notre avis, l’essence même de la bonne gouvernance. Le mérite de la révolution tunisienne, à cet égard, est justement de dévoiler « l’érosion » et la disparition de cette confiance.  Il est donc temps d’asseoir « l’obligation rendre compte » et de prévaloir « la gestion participative » aussi bien dans les affaires publiques que privées. Il en va de l’avenir de notre pays.

Sans doute, certains trouveront ces axes assez généraux au point de manquer de précisions utiles. Ils ont toutefois le mérite d’être universels. Dans le contexte « révolutionnaire » que  connaît la Tunisie, le recours à des valeurs universelles au plan de la gouvernance demeure un préalable au bon fonctionnement des institutions publiques et privées afin d’éviter les dérapages préjudiciables au bien être du peuple et au progrès de la société, et contribuera certainement à une insertion plus réussie dans l’économie mondiale.

Souheil KADDOUR
Enseignant Chercheur en Droit
Membre du Centre Tunisien de Gouvernance d’Entreprise (CTGE)
 

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