Innover : une opportunité pour la « société civile » !
« Le problème n’est jamais de faire germer dans nos têtes des pensées nouvelles et innovantes, mais de réussir à en arracher les anciennes » - Dee Hock (carte Visa)
Les yeux fixés sur le rétroviseur de notre histoire et soucieuses de panser les plaies du passé, tant de voix, amplifiées par les médias, s’emploient à faire le procès d’un système et de ses hommes. On ne saurait leur contester ce droit, … jusqu’à un certain point.
Car rien ne sert de dénoncer à souhait, si des solutions alternatives efficaces et crédibles ne sont pas proposées, qui ouvrent des perspectives concrètes d’action et de changement de la majeure partie de nos institutions.
Mieux placés que quiconque pour engager cette réflexion, les acteurs de la « société civile » disposent aujourd’hui d’une opportunité historique pour occuper la place qui leur revient sur ce terrain et créer un rapport de force en faveur du changement.
En ces jours et pour les longs mois à venir, bien nombreux sont ceux qui, à juste titre, focalisent leurs réflexions et l’essentiel de leurs débats sur les changements à apporter au paysage politique et aux rouages institutionnels de notre pays.
Tout aussi vitale et urgente pour notre avenir, constitue la recherche de solutions durables aux problèmes que connaissent nos institutions politiques, éducatives, sociales, culturelles, économiques, administratives, communales, associatives, …. Car, depuis si longtemps anesthésiées par un pouvoir qui les a sclérosées, elles subissent aujourd’hui de toutes parts et de plein fouet, des remises en cause importantes, qui portent aussi bien sur leurs missions, leurs rapports avec les citoyens, leurs relations de pouvoir interne, leur façon de servir, …
Qu’il s’agisse par exemple des règles qui devront dans le futur, régir les relations entre les citoyens et leurs communes, l’administration et ses usagers, les pouvoirs centraux et locaux, les banques et leurs clients, les parents et les institutions éducatives et bien d’autres sujets encore, le champ des remises en cause ne manque pas d’étendue.
Et ce ne sont sûrement pas les concessions arrachées sous la pression à des pouvoirs harcelés de toutes parts, aujourd’hui et pour longtemps encore déstabilisés, qui nous garantissent que nous avançons réellement vers la société réformée et conviviale à laquelle nous aspirons.
Au mieux, ces concessions ne font qu’éteindre des feux déclarés ou parer à des menaces d’incendies probables, sans pour autant traiter en profondeur les problèmes structurels de nos institutions. Au pire, elles peuvent même handicaper les progrès futurs, à force « d’avantages acquis » à caractère irréversible, hâtivement et imprudemment concédés.
Trois raisons au moins, justifient l’urgence et l’importance à accorder à cette réflexion :
- d’abord, en raison des nombreuses menaces qui pèsent sur notre société fragilisée, en cette période délicate où elle doit se prémunir, non seulement contre des forces antagonistes internes, mais aussi contre bien des forces externes, qui continueront, quoiqu’elles s’en défendent, à lier la garantie de leur bienveillance ou de leur soutien à la préservation de leurs propres intérêts et avantages,
- ensuite, parce qu’enfin débarrassées du mythe paralysant de la vérité qui vient toujours d’en haut - poussé à l’extrême par des « programmes présidentiels » incohérents et faussement mobilisateurs, des « consultations nationales » aux conclusions vite oubliées et des directives arbitraires – nos institutions disposent enfin d’une opportunité hier inespérée de répondre aux aspirations citoyennes,
- enfin, parce qu’une fois « l’élan révolutionnaire » calmé, tout le monde sera revenu à ses habitudes, … ou presque.
Il est probable que certaines de nos institutions ne considèrent pas encore le moment propice pour s’engager dans cette démarche et préfèrent attendre pour le faire, que de meilleures conditions de sérénité et de visibilité soient réunies. Ce en quoi, elles n’ont pas forcément raison !
Faut-il alors attendre que les forces actuellement sur le front des réformes politiques, prennent l’initiative ? Assurément pas ! Non pas qu’elles manquent de talents qualifiés pour le faire ; bien au contraire. Mais, accaparées qu’elles sont dans le combat auquel elles vont consacrer pour de longs mois encore toute leur énergie, elles ne peuvent se pencher sur des dossiers exigeant disponibilité, sérénité, confrontation d’idées, synthèse et volonté d’aboutir. En même temps, il faut bien admettre que les méandres des combats politiques ne sont pas à l’abri des calculs opportunistes et du clientélisme et que nous risquons, si nous n’y prenons pas garde, de vivre pendant quelque temps avec un pouvoir que nous aurons choisi par défaut et avec des oppositions morcelées, qui auront bien du mal à se rassembler autour de grands projets novateurs.
Faut-il espérer que les pouvoirs publics, une fois sur pied et opérationnels (dans deux ans ?) passent à l’action ? Cela n‘est pas souhaitable ! D’abord, parce que ce délai d’attente est bien trop long et bien trop précieux et qu’il ne faut pas le perdre, au risque de voir les désirs de changement et l’énergie qui anime ses acteurs s’émousser. Ensuite, parce que ce serait à nouveau revenir au mythe paralysant de la vérité qui doit venir d’en haut.
L’autre solution qui se présente à nous, consiste à puiser dans le réservoir d’énergie et dans le potentiel d’innovation des femmes et des hommes de la « société civile » et agissant séparément ou au sein des associations naissantes, des ONG, des forces politiques, du champ syndical, des milieux universitaires, ….
Il leur appartient aujourd’hui d’occuper ce terrain de la réflexion collective, en faisant valoir leur propre vision et leurs exigences par rapport aux services qui leur sont rendus et les solutions pratiques qu’ils préconisent. Ils pourront ainsi se positionner comme force de propositions, peser valablement sur le débat public et influencer les décideurs. Alors, il se trouvera bien des hommes politiques qui, charismatiques ou simplement talentueux, sauront défendre ces solutions et les mettre en pratique.
L’histoire des transformations institutionnelles nous apprend en effet combien les sociétés et les Etats ont tiré profit autant des grandes idées lancées par des philosophes, des sociologues, des chercheurs…, que des propositions des citoyens. Il suffit pour s’en convaincre d’observer l’influence exercée dans toutes les démocraties par les clubs de réflexion, les comités de quartier (ou de citoyens), les mouvements écologistes, les innombrables think tanks (au plus fort de leur croissance vers les années 1996, il s’en créait près de 150 par an, dans le monde) ….
Observons toutefois, que pour donner de la matière et des perspectives aux propositions, cet effort de réflexion ne peut se faire de n’importe quelle façon et qu’un minimum de règles sont à respecter, dont :
- une compréhension commune des termes généraux qui reviennent le plus souvent (révolution, laïcité, société civile, parti politique, opposition, démocratie représentative, parlement, peuple, ) et des termes plus techniques qui concernent la citoyenneté (référendum, lois et décrets, séparation des pouvoirs, service public, association, comité de quartier, etc.),
- l’exigence pour les « aînés » de se mettre à l’écoute des plus jeunes (c’est de leur avenir qu’il s’agit et ils vont sans doute voter en nombre), en les aidant, sans tomber dans les attitudes paternalistes ou moralisatrices, à assouvir leur désir d’apprendre et de compenser une culture sociale et politique déficiente,
- l’adoption d’une démarche orientée citoyens, s’appuyant sur un code de conduite respectueux du bien public, des deniers publics et de la propriété privée et éloigné des tentations à régler des comptes ou à prendre des revanches,
- la nécessité de sortir des schémas ronronnants et des clichés, de faire preuve d'imagination pour concevoir du concret, sans censure et autocensure et sans craindre l'utopie, tant qu’elle demeure source d’inspiration et qu’elle est tempérée par un souci de pragmatisme et par une démarche de construction progressive,
- une résistance à la tentation de créer son propre groupe, sa propre association, au risque de gaspiller du temps et de l’énergie à vouloir réinventer la roue, alors qu’il convient mieux de profiter du travail déjà effectué, de partager et de faire jouer les synergies,
- l’obligation de s’abriter des structures et idéologies partisanes et de combattre les extrémismes de tous bords et les clivages réducteurs littoral/intérieur, jeunes/vieux, hommes/femmes, urbain/rural, kasbah/koubba, « nationaux »/ « bi-nationaux », …
- le souci de maîtriser l'émotionnel et l’irrationnel que favorisent à l’excès – il faut bien l’admettre - les réseaux sociaux, internet et certains médias immatures, souvent accélérateurs et démultiplicateurs de contre-vérités, d’idées réductrices et de sentences expéditives,
- le renoncement à cataloguer comme définitivement suspect tout ce qui nous vient (hommes et réalisations) de « l’ancien régime » et à l’inverse comme résolument vertueuses et bonnes à prendre toutes les revendications et les idées qui nous viennent des « hommes d’après », …
- Aux sceptiques qui verraient dans cette ambition un rêve, un vœu pieux, qu’ils pensent seulement à ces quelques poignées de jeunes, qui nous ont démontré avec courage et brio que l’incroyable et l’impossible pouvaient en quelques jours devenir réalité.
Jamel Guemara, Consultant
jamelguemara@gmail.com
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je suis completement d'accord avec vous si jamel des reflexions pareille on en redemande surtout pendant cette periode transitoire merci