Opinions - 18.05.2011

L'imbroglio juridico-financier de la confiscation : 100 000 emplois et 5 milliards de dinars d'actifs en jeu.

Le Décret-loi n° 13 en date du 14 mars 2011 portant confiscation des avoirs et biens meubles et immobiliers, ainsi que tous les droits acquis après le 7 novembre 1987 de 114 personnes induit la confiscation des titres et actions détenus dans plus de 200 entreprises commerciales dans plusieurs sont en  phase d’investissement et d’expansion
L’estimation des dettes de ces entreprises serait de l’ordre de 2,5 à 3 milliards  de dinars ce qui  donnerait un actif d’environ 5 milliards de dinars. Nous estimons que ces entreprises emploient environ 15 000 personnes et il serait  très intéressant d’avoir une évaluation détaillée du capital humain de ces entreprises.

Le décret stipule que « Le transfert de la propriété des biens confisqués ne se fera qu’après rapport définitif de la Commission de confiscation. Ce rapport ne sera présenté que dans 6 mois. Cette dernière procédure se fera par un jugement du tribunal. »

Entre temps, un administrateur judicaire a été nommé à la tête de chacune des entreprises. Le rôle de l’administrateur judicaire est en principe d'assister ou de remplacer les dirigeants d'entreprises en difficulté et d'en préparer le redressement.

Or, nous sommes dans un très grand nombre de cas devant des entreprises en bonne santé avec des plans de développement et d’investissement en conséquence.  De surcroit, plusieurs de ces entreprises ont eu accès à des crédits et des facilités de caisse très importantes.

Le statut très particulier de ces entreprises  a entrainé une grande frilosité  des banques et un rétrécissement  important des crédits et facilités de caisse et même, dans plusieurs cas un arrêt total de cet accès entrainant très rapidement des difficultés de fonctionnement, une diminution importante voire un arrêt des investissements et une difficulté à payer les fournisseurs et à importer les matières premières, produits et pièces de rechange. Les impayés en conséquence entrainent une méfiance et des conditions de paiement des fournisseurs de plus en plus dures et un étouffement de l’exploitation.

Le statut de ces entreprises est en effet flou et ambivalent en attendant la nomination  de gérants et administrateurs nommés par l’état, la stratégie et les plans de développement risquant d’être sérieusement mis en cause par un futur management. Plusieurs scénarii  sont à entrevoir selon que l’état est majoritaire ou minoritaire et suivant le degré d’implication de l’état dans le management et une situation d’attentisme voire d’immobilisme s’installe.

Au surplus, cette situation provisoire qui dure et l’absence totale de visibilité entraine une démotivation des dirigeants et des cadres et par voie de conséquence des démissions de plusieurs compétences clés qui représentent le capital humain de ces  entreprises, de loin plus important que le capital financier.

Suite à notre contact avec plusieurs de ces entreprises, nous avons remarqué un  ralentissement important de leur activité et une chute inquiétante de leurs résultats d’exploitation estimés. En général la mise en difficulté d’une entreprise entraine une cascade de mises en difficulté de ses fournisseurs et on estime que pour un emploi direct perdu, 5 à 7 emplois le sont en indirect et les 15000 emplois directs pourraient ainsi mettre en jeu 100 000  emplois directs et indirects.

Un processus long et complexe

Vu la complexité des dossiers, la commission de confiscation  s’attelle tant bien que mal à la tâche herculéenne d’examiner toutes les pièces juridiques et économiques de ces entreprises avant de délivrer les documents nécessaires pour transférer ces entreprises à l’état. Chaque jour qui passe à analyser les dossiers et à décortiquer les montages capitalistiques complexes est un jour qui pousse ces entreprises vers des situations économiques difficiles.

Le retour à un statut normal de ces entreprises (nomination de nouveaux administrateurs représentant l’état et d’une nouvelle  équipe de direction) passe par :

- La rédaction par la commission d’une décision de transfert de propriété à l’état des actions et titres confisqués
- L’inscription par le ministère des domaines de l’état de la propriété dans ses registres
- La désignation par décret présidentiel d’un ministère de tutelle
- La désignation par le ministère de tutelle de dirigeants et/ou d’administrateurs.
Ce processus peut durer facilement une année  et plus à moins de prendre les mesures adequates pour l’accélérer.

Des challenges en perspective

L’état sera confronté très rapidement à un ensemble de challenges :

- La nomination d’une centaine de PDG et de plusieurs centaines d’administrateurs compétents et censés continuer le développement de ces entreprises afin de valoriser au mieux ce patrimoine « de la révolution »
- La définition d’une vision globale pour ces biens que l’état hérite malgré lui et la définition d’une stratégie de développement ou de sortie pour chacune de ces entreprises.
- La mise en place d’un climat de confiance entre les cadres et compétences de « l’avant confiscation » et ceux de « l’après confiscation »
- La confiance du marché
Un risque important existe, toutefois, nous le voyons aussi comme une opportunité unique de partenariat public privé et de mise en place d’une réforme du système de rémunération et d’évaluation de performance dans l’administration et une occasion d’attirer les compétences et les talents sachant que sur les vingt dernières années, un nombre extrêmement faible de diplômés des grandes écoles Européennes et Américaines ont intégré l’administration.

Des mesures urgentes à prendre

Afin de raccourcir l’état transitoire de ces entreprises et de permettre aux entreprises de continuer leur activité normale et de poursuivre ou finaliser les programmes d’investissement de plusierus de ces entreprises  :

- La commission de confiscation doit rapidement s’étoffer d’experts de haut niveau dans le domaine comptable, économique et financier pour aider à l’analyse des documents et à la rapidité de décision, aujourd’hui facteur majeur de viabilité de plusieurs de ces entreprises et plusieurs experts sont prêts à aider même bénévolement. Chaque jour gagné par la comission pour statuer sur une entreprise est un jour gagné pour sauver des emplois et créer de la valeur.
- La banque centrale et les banques doivent le plus rapidement possible restructurer les dettes afin que l’entreprise puisse fonctionner dans des conditions normales et ne pas mourir par « asphyxie de trésorerie », maladie qui est entrain de s’installer rapidement.
- L’état doit selectionner des gestionnaires et des administrateurs des maintenant capables de continuer le développment de ces entreprises.
Le cas de ces entreprises est un cas unique dans le monde. Je considère que le succès du management de ce cas est un facteur clé du succès de la révolution tunisienne et de la réussite du challenge de la croissance et de l’emploi pour les années à venir.

Maher Kallel
 

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11 Commentaires
Les Commentaires
Habib Ajroud - 19-05-2011 07:24

Je trouve curieux de faire mine d'être objectif en matière d'analyse de la situation, et en même temps de ne pas avoir résisté à la tentation de mettre des guillemets à l'expression "patrimoine de la révolution". C'est bien le cas, non?

LO - 19-05-2011 09:04

1- c est qui celui qui a écrit cette analyse?un journaliste?un économiste... 2-il aurait pu présenter quelques exemples concrets pour qu'on puisse comprendre de quelles société il parle. 3-je ne cesse de le répéter lorsque on donne des statistiques et des chiffres il est obligatoire de citer les sources.parce que les estimations personnelles sont subjectives et par conséquent ne reflètent pas la réalité 4-est ce que toutes ces suggestions ont été transmises au moins aux services et parties qui s'occupent de ces dossiers. 5-merci pour votre reponse.

Jilani Jeddi - 19-05-2011 17:07

Cet article n'est pas signé. Pourriez vous ajouter le nom de l'auteur. La photo ne'est pas suffisante !!! Jilani

Balma - 19-05-2011 17:33

Je partage tout à fait l'analyse perspicace de si Maher, et je pense qu'il serait judicieux que l'Etat élargisse les commissions à d'autres membres de la Société Civile reconnus pour leur expertise, ce qui aura pour effet certain une accélération du traitement des dossiers et un moindre mal pour notre économie.

jouda - 19-05-2011 19:05

le Général De Gaulle en prenant le pouvoir avait décidé de laisser en place certains collabo pour que l’économie Française puisse redémarrer!!! il faudrait peut être s'inspirer de sa clairvoyance!!!!

Ramzi - 20-05-2011 13:53

Mr Kallel, il y'a une différence entre Etat et état.

Abdesslem MANKAI ( Slim ) - 21-05-2011 11:23

Si Maher : Vous lancez à juste titre à la fois un Message fort et un Avertissement au Gouvernement . Je vous en félicite . Ce qui est surprenant et même grave , c'est que certains Administrateurs Judiciaires désignés sont les mêmes anciens Dirigeants ( Ex DG ou DGA ) des ces mêmes Entreprises , lesquels ont été recrutés par les Actionnaires en fuite . Je trouve que certaines nominations d'Administrateurs sont pour le moins paradoxales et qu'il y a lieu de se dépêcher pour les remplacer avant de connaître de nouveaux dérapages préjudiciables à la bonne marche des ces Entreprises . Ceci n'enlève en rien la sincérité et la loyauté de certains de ces Dirigeants .

zannad mokhtar jr - 21-05-2011 14:13

anallyse pertinente et solutions preconisees interessantes.Je pense que le programme qui sera soumis auG8 a Dauville ainsi que les moyens financiers promis par certains pays riches jointes aux competences tunisiennes disponibles pourront contribuer a la solution urgente des problemes evoques.

khlifi - 21-05-2011 15:30

Je suggère que le PDP améliore son programme sur certains points : -Le Président de la République est élu au suffrage universel et pratiquement il n’a aucun pouvoir ce qui est anormal. En tant que chef de l’exécutif, il doit pouvoir avoir l’initiative des lois au même titre que le parlement mais chacun dans son domaine. C’est l’exécutif qui est techniquement le plus habilité à préparer les textes législatifs et réglementaires dans des domaines spécifiques. -La Banque Centrale de Tunisie doit retrouver son indépendance et être davantage ouverte sur l’environnement économique. -La fiscalité doit faire l’objet d’une réforme profonde qui doit se traduire, certes, par une baisse de l’impôt, par l’aménagement du régime forfaitaire mais surtout par une lutte sans merci contre l’évasion fiscale. -L’investissement doit également s’orienter vers un programme ambitieux de conservation des eaux de pluies par la multiplication des barrages, des lacs collinaires, la couverture des sols, la généralisation des courbes de niveaux et l’incitation des familles à collecter les eaux de pluies. N’oubliez pas que la Tunisie manquera d’eau dans un avenir pas très éloigné. -L’investissement doit également s’orienter vers l’énergie solaire pour la production d’électricité. -Nous sommes sur la route du pétrole et des investissements notamment dans le raffinage est une opportunité à ne pas manquer. -Des investissements dans la flotte maritime commerciale sont recommandés. -Le PDP se doit de définir une position claire sur le problème de la religion. Chaque citoyen est libre de pratiquer la religion qu’il veut mais la Tunisie est un pays musulman. L’écrasante majorité de nos concitoyens sont musulmans. Ils ont des enfants. Ils ont besoin que l’école forme leurs enfants en matière religieuse. Il faudrait que le programme à arrêter par une commission spéciale comprenant notamment des autorités religieuses permette d’inculquer aux citoyens de demain un islam modéré des plus ouvert sur le monde d’aujourd’hui rejetant toute forme d’extrémisme aussi bien dans les convictions religieuses que dans les modes vestimentaires.

Soufi Torjemane Elhem - 21-05-2011 16:29

Les sociétés confisqués ou en phase de confiscation présentent chacune à part un traitement particulier. Mais l'enchevêtrement de ces sociétés et la synergie existantes entre elles complique un peu plus l'affaire et ne peut que les entrainer vers des difficultés plus inextricables, avec le risque imminent de la perte des emplois. Oui la collaboration des experts comptables avec la commission de la confiscation serait une bonne solution pour mener ces entités qui sont les fleurons de l’économie Tunisienne à bon port. Pour ma part, j’assure une responsabilité morale similaire pour l’un de ces groupes et que dieu nous aide à réussir notre révolution. Elhem.

Tarek Châabouni - 23-05-2011 02:54

Bonjour, texte intelligent et avisé sur un sujet crucial.Il faut rompre avec le passé car la dictature de Ben Ali a reposé sur un mélange sans précédent des pouvoirs politiques et économiques,ce qui est nuisible aux deux.

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