Opinions - 30.05.2011

Tunisie : La Révolution B M W…

Rassurez-vous, la Révolution du 14 Janvier 2011 n’est  sortie ni  de l’acronyme ni de la firme bavaroise  BMW (Bayern Motern Werke ) !.Il s’agit d’une coïncidence qu’introduisent les lettres B, M et W, en  tant qu’initiales  itératives des protagonistes -ou supposés tels-  de cet événement  majeur du « Printemps arabe «. La pérennisation revient, en dernier ressort, au devoir de mémoire et de  fidélité  à l’égard des sacrifices de 300 martyrs, plus de 1000 blessés et  de milliers de  personnes  traumatisées .Pour que triomphent la dignité et la liberté.

Autant que tout  peuple, le Tunisien aspirait – depuis 2.200 ans à la liberté  soit depuis Jugurtha jusqu’à Bourguiba, deux grandes figures autochtones ayant osé  braver   l’hégémonie de deux Empires : romain et français.  C’est dire qu’une fois arrachée, la liberté  doit être protégée par le droit et la vigilance soutenue. Et chaque fois  que la vigilance lâche du lest, la liberté perd du terrain au profit du despotisme, fut-il  éclairé.

Jugurtha  a  fini ses jours enchaîné  dans une geôle de la banlieue de Rome. Bourguiba cloîtré  dans une villa de sa Monastir natale , alors que  son successeur «  constitutionnel «, après avoir  promis «  monts ( politiques ) et merveilles ( économiques ) »  se retrouve fugitif , quelque part, dans une contrée  d’Arabie.

Le peuple tunisien aura accompli un acte expiatoire et salvateur de l’intérieur, ouvrirant  la voie à un nouveau  chapitre de sa  révolution : la IIème République . Vox populi, vox Dei ( la voix du peuple  ,voix de dieu ).Et le poète ,  bien de chez nous  duplique : Si le peuple veut la vie , force au destin d’y répondre.( dixit,Abul Kacem Chebbi).
 
Ainsi soit-elle
      
Dès  lors, un survol simplifiant place la révolution du 14 janvier  sous la bannière BMW. Ainsi soit – elle.

• B comme, Ben Brik. Un Robin des bois qui aura été le premier, depuis l’an 2000 à lézarder  -par ses  coups de gueule, écrits caustiques et non moins frondeurs- la muraille de l’édifice de son Ben Avie .Un édifice construit savamment sur l’omerta et la confiscation de la parole, toute parole, par la mise en branle   d’une stratégie de communication bien ficelée. Avec  la complicité   consentante  ou intéressée  des élites et compétences  du pays. Mais sans contrainte.

Ici ( parenthèse ), je témoigne  :  associé à la délégation officielle de l’ex- chef de l’Etat durant sa visite au Portugal ( Février 1992) , j’avais alors décliné , une proposition  de  direction du journal francophone gouvernemental , non par fuite devant la responsabilité ,  mais par souci d’honnêteté. Faiblesse : de l’homme qui confond  politique et éthique personnelle (non –violente ). J’étais , par conséquent  révulsé   par le  double procès  militaro – civil  , dit de « Barraket Essahel «  que j’ai couvert   pour l’agence de presse internationale AP  un mois  durant, l’été 1991. Après avoir tiré une bouffée de sa  cigarette, M.Ben Ali  me fixa en soutenant ,avec  malice   que ce procès fait partie du passé.(fin de parenthèse ).Cependant, justice imparfaite fut  faite.

Il  aura réussi, par ailleurs, à monopoliser les initiatives et à les canaliser vers des desseins, au premier degré louables mais dont l’un des travers est d’avoir rendu la société amorphe  par un nivellement horizontal et vertical.
Pour preuve, en  23 ans de pouvoir, l’ex-président n’a pas réussi à susciter l’émergence  d’une génération   acquise au Changement sept novembriste .

Dominant. Retranché et Secret  qu’il était. « Le Rire de la baleine », de Ben Brik faisait, un pied de nez à Ben Avie  qui se prenait  pour un avatar pharaonique .Il promettait ,à tout vent , la «  République de demain «  en caressant le rêve d’une régence héréditaire   perpétuée   par une  alliance oligarchique  croisée de familles à l’appétit vorace , pour l’oseille ,et  servie par l’asservissement les structures de l’Etat- Parti.

Huilée, la machine fonctionnait à merveille. La valse  des permutations  de têtes était réglée au pas de danse.  Sans tapage ,on accède  au gouvernement et aux institutions  de l’Etat , et on en sort , sur la pointe des pieds   avec, pour les happy few ,un  porte-monnaie  garni.  Enrichissez-vous. ! Le capital  tant national qu’étranger y trouvait son compte. La hantise et l’effroi  générés  par l’intégrisme et  les  sinistres attentats du 11/9 2001 au pays de l’oncle Sam ont fait le reste, aussi bien auprès de l’opinion publique  que des dirigeants  occidentaux  . La plupart de ces derniers n’ont pas manqué d’encenser «  le modèle tunisien ». L’Onu, Davos,le Fmi, la B M,la Bad et jusqu’au leader  Sud–africain Nelson, Mandela  et le pape Jean Paul II ont été bernés  par les jongleries du Manitou. Un vrai génie de Bou Kornine ( la fameuse montagne aux deux cornes ) ,s'il en est .Des statistiques à la carte et une presse aux ordres  paraphrasent en remplissant  le vide  par du néant.  (Autocritique ).

• Les B2 ,Bouebdelli et Beltaief  étaient des hommes de l’ombre. Ils participaient à une course de relais
pour alerter chancelleries et médias étrangers sur les dérives et déboires du régime. Il  en sortit des  feuilletons sur les pages exilées de « L’Audace » et des   opuscules sur «  Notre ami Ben Ali » , puis «  la Régente de Carthage ».S’ils étaient, à temps, débusqués ,ces informateurs auraient été inculpés  d’accointance , voire  d’espionnage par l’ex maître du pays qui s’avèrerait , en la matière , un agent patenté. Avec d’autres informateurs anonymes , tout aussi bien  informés ( par infiltration et entrisme ), ils alimentaient  des messageries  diplomatiques -opaques  que le site  libre Wikileaks  ( merci Assange ) déballe  au grand jour , sur le net en décembre 2010,accélérant la chute  du régime  Ben ali.
 
• BM , comme bassin minier. Pour ceux qui ne le savent pas, la Tunisie est le 3 ème  producteur et exportateur mondial  de phosphate. Cette matière première est fort demandée sur le marché international et national. Découverte vers la fin du XIX ème  siècle par  Philippe Thomas , elle  rapporte , selon des estimations plus de 5 millions de dinars par jour à l’économie nationale. Etalé sur une si longue période, cela représente un montant faramineux. Et pourtant la région du bassin minier (  Moularès , Metlaoui,M’dilla et Redeyef ) est  relativement dépourvue des infrastructures minimales. Pire, la condition d’environ  10.000 mineurs  rappelle les pages empathiques  de Zola et celles humoristiques de Khraief.
 
 La vérité est amère

Avril 2008 : soulèvement des citoyens du bassin minier étouffé dans une  répression sanglante, quand bien même ils ne réclamaient  que davantage d’équité et de dignité, en rapport avec l’apport de la région à l’économie du pays.

• W comme Web et Wikileaks .  En moyenne, les Tunisiens sont ,par tête d’habitant ,les plus Facebookés dans le monde. 

• B ( comme Blog ).
La blogosphère  nationale  brasse un éventail bigarré d’internautes ( juristes, politiciens,étudiants, chômeurs,journalistes, intégristes, hommistes…). Les   fuites volontaires ou involontaires   des frasques et dérives  magouilleuses du régime  sur  Wikileaks  ont  dissipé les ultimes doutes sur les visées de «  l’éléphant  dans la chambre « , le verrouillage et la mainmise de Ben Ali sur les rouages et les richesses du pays.

• B, comme Bouazizi
Ce jeune de Sidi Bouzid  s’immole  par le feu le 17 décembre  en désespoir de cause. Il était empêché  de vendre, sur la voie publique des bottes de persil pour aider sa famille à vivre un peu plus dignement. Son acte iconoclaste, en terre d’islam a été émotionnellement  médiatisé.  Il eut  l’effet d’un  sursaut  de  conscience  auprès des Tunisiens, toutes régions confondues. Du borj , au sud à Bizerte , au nord. Ils se sont révoltés, avec une bravoure inouïe  et collective  contre l’injustice imposée   de ceux  qui  prônaient –l’imposture  -des slogans de  la solidarité et du patriotisme  en faisant main basse, en toute impunité, sur la conscience et  les richesses du pays.

La suite est connue, le 13 janvier 2011, le roi est nu. Le 14, il a fui le pays. En  qualité de politicien, Ben Ali est fini. En tant qu’homme, il saura affronter son destin.   Ne manquant pas d’hommes et de femmes valeureux, la Tunisie doit construire un avenir (démocratique) ou rééditer un devenir (anti- démocratique) .La partie d’Echecs  marque  ainsi un tempo à échec. Reste, celui du final …  mat. Pas de fin de partie donc. La vérité est amère, mais c’est la vérité.

D’aucuns présument , sans  que cela soit  pris pour  décharge, que M. Ben  Ali a été à la fois victime et bourreau de son entourage; sur le bateau chavirant duquel, il s’est laissé embarquer jusqu’au naufrage. Heureusement,  qu’une  partie du butin resta bloquée au quai.

Pour  le lecteur un tantinet averti d’Hérodote, d’Ibn Khaldun et de  Toynbee, l’Histoire dans son jeu de l’éternel retour- est parsemée  d’exemples de ce type. Il n’en demeure pas moins  que même dans sa tombe , le Combattant Suprême, ce  mégalo-probe aura pris sa revanche ; lui qui marmonnait , quelques heures avant sa destitution qu’on ne « succède pas à Bourguiba » !

En contrepoint de ce survol non exhaustif  de la Révolution  d’un peuple ayant réussi à sauter  sur son ombre et propager la liberté  contagieuse, se profilent  d’autres paramètres à caractère structurel .Ceux ci  requièrent  une analyse académique interpellant, entre autres la socio- psychologie et la culture :

  • la lutte des classes sciemment mise en sourdine et jamais questionnée, sous prétexte  de l’unité nationale ( quelle unité ? ).
  • la liberté d’expression.
  • le statut et l’identité de l’individu dans  la communauté ( la citoyenneté )
  • l’épaisseur  de l’intériorisation des droits et devoirs.
  • les velléités de  désobéissance  civile  et  civique .
  • la souhaitable délimitation de la sphère céleste (dieu) et celle terrestre ( prince ).
  • l’interprétation de  l’explicite et de  l’implicite  dans le vécu  quotidien .

Etc..

Habib OFAKHRI
Ancien   élève du CFJ-PARIS
Rédacteur-en Chef

 

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1 Commentaire
Les Commentaires
patriote - 31-05-2011 10:29

Une fois installé solidement sur le socle de l'état en 1989,le signal de nivellement par le bas est donné:mise à sac des banques,avec les facilités bancaires tout est possible ,la spéculation sur la bourse de tunis aidant dès sa création:ex.l'action de STB ou BH depuis sa mise sur le marcher boursier ,pour ne citer que ces 2, est passée de 6 dt à une valeur impensable d'environ 80 dt;comment un titre d'une société quelconque passe en un temps record de 5 dt à 80dt? sans que la société en question ne se développe réellement 15 fois plus en un temps record?et sans que les pouvoirs publics d'alors ne lèvent le doigt et ont laissé faire.On se rappelle tous le retour à la valeur réelle de départ(vers 1995) avec des pertes que le petit porteur à casqué sans broncher :plusieurs ont laissé des plumes dans ces opérations "non transparentes" ;ainsi les gagnants de ces opérations illicites sont devenus des milliardaires du jour au lendemain .A partir de 2000, la classe moyenne est saignée par le fisc et l'inflation jusqu'à ce quelle est devenue exsangue et en 2010 c'est le ras-le-bol général et l'explosion (il faut rappeler que le dinar lors du coup d'état de 87 malgré que les caisses sont vides, vaut 10 FF; fin 2010 il faut 2 dt pour 1 euro: en 20 ans le dinar a perdu 4 fois sa valeur,et on imagine bien les conséquences). Maintenant et si on veut garder cette liberté chèrement acquise ,il faut que la société civile rester en permanence sur la qui-vive ,et ne jamais laisser à une petite ou grande majorité le champ libre ,car les rapaces de la politique , quelque soit leur bord et leur philosophie, si toutefois ils en ont ,guettent toujours un fléchissement de la vigilance pour accaparer le pouvoir et faire la même chose que les prédécesseurs. détourner le pouvoir en leur profit.C'est le prix de la démocratie.

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