Elyès Jouini : Aucune crainte de la part des acteurs économiques d'une montée islamiste en Tunisie
«Je n’ai pas l’impression qu’il y a de la part des acteurs économiques en Tunisie une crainte face à la montée des islamistes. Le parti Ennahdah est reconnu et aura probablement sa place au sein de la nouvelle assemblée constituante, selon son poids dans la société et je ne crois pas qu’il y aurait un raz de marée. Nous avons en Tunisie 82 partis autorisés, mais il n’y en aurait pas un qui sera en mesure de dépasser les 30%. » C’est ce qu’a déclaré Elyès Jouini, vice-président de l’université de Paris Dauphine et ancien ministre des Réformes économiques après le 14 janvier. Invité au Grand Journal de BFM Radio, il a affirmé que la communauté d’affaires, y compris les entreprises françaises implantées en Tunisie suit la situation avec sérénité et attend le déroulement des élections, signalant à ce propos que sur 1000 entreprises françaises, 3 seulement ont quitté la Tunisie.
Interrogé sur le report des élections, Elyès Jouini a déclaré que la transition démocratique ne se limite pas à la tenue d’élections mais aussi à ce que ces élections se déroulent dans un climat de sérénité et d’apaisement. « Le gouvernement, a-t-il, ajouté est extrêmement actif, même s’il est contesté quant à sa légitimité, et s’emploie à préparer les meilleures conditions possibles sans prendre d’engagements définitifs. C’est qu’il a expliqué devant le G8, affirmant que la mise en œuvre du plan économique sera assurée par le prochain gouvernement. » Toujours au sujet du report, Elyès Jouini a indiqué les décideurs rencontrés à Deauville, lors du G8, ont manifesté beaucoup de respect et d’admiration pour la révolution tunisienne et manifester leur compréhension quant au contexte spécifique et aux conditions de tenue des élections.
Dernière question posée à Elyès Jouini, son appréciation de la candidature de Christine Lagarde au FMI. S’exprimant à titre personnel, il n’a pas manqué d’affirmer que de par son expérience en tant qu’ancienne chef d’entreprise, de ses fonctions actuelles et de son implication, au moment où la France assure la présidence du G8, dans les grands dossiers et ses contacts avec tous les ministres des Finances, la candidate de la France réunit toutes les compétences et serait tout à fait à sa place.
Pour un même résultat, Il faut investir dix fois plus en Egypte qu’en Tunisie
Par ailleurs, dans une interview accordée à Libération, Elyès Jouini est revenu sur le partenariat lancé à Deauville. Répondant aux questions de Jean Quatremer et Vittorio De Filippis, il a déclaré que la Tunisie est en mesure de fructifier rapidement l’aide internationale ainsi que ses propres ressources, tant elle dispose d’un contexte spécifique favorable. A ce titre, il a indiqué que pour obtenir un même résultat, il faut, investir en Egypte, dix fois plus; alors que le dixième suffit en Tunisie. Revenant sur l’impact économique subi, il précisé que « la Tunisie a perdu 5 milliards de dollars de son PIB à cause de la révolution : un milliard à cause du blocage de l’activité économique, deux à cause de la baisse du tourisme et deux autres à cause de la guerre en Libye, le premier partenaire commercial. ». Interview:
Un «plan Marshall» pour aider les pays arabes à accomplir leur transition démocratique, est-ce une analogie pertinente ?
C’est un terme un peu galvaudé. Certes, décider, lorsqu’on représente les pays les plus riches de la planète, que l’on va aider financièrement des pays dont les peuples réclament la démocratie, est en soit un acte qui peut s’assimiler au plan Marshall de l’Après-Guerre. Mais cette comparaison a toutefois ses limites. A Deauville, les pays qui ont fait cette annonce sont certes les pays les plus riches, mais ils se parlent au sein d’une instance informelle qui n’a aucun pouvoir de décision.
Donc, vous ne croyez pas à ces promesses ?
Je dis juste que nous sommes au début d’un processus qui, pour au moins une raison, n’est pas comparable au plan Marshall. A l’époque, c’est un pays, les Etats-Unis, qui décidait de venir en aide à une région du monde et non plusieurs pays et institutions qui doivent se coordonner, comme c’est le cas aujourd’hui.
Les sommes annoncées sont considérables.
On parle de 40 milliards de dollars [28 milliards d’euros, ndlr]. Ce n’est pas rien, mais le cadre qui permettra de débloquer cet argent n’est pas arrêté. Il va encore falloir se mettre d’accord sur les mécanismes de l’aide. Qui va décaisser l’argent ? Pour quels projets ? Certes, il est clair que l’Egypte et la Tunisie ont noué à Deauville le début d’un partenariat avec le G8. Mais il reste encore beaucoup à faire. Le chiffre avancé représente un tout. C’est une enveloppe globale. Mais il faut le ventiler entre pays, tout en étant capable de hiérarchiser les priorités sur lesquelles nous voulons mettre l’accent en terme financier.
Car les besoins diffèrent évidemment selon les pays…
Bien sûr. D’ailleurs, il va falloir s’assurer que ces pays puissent réellement absorber l’aide qui leur sera proposée. Chaque pays a ses spécificités. Par exemple, il est assez évident que la Tunisie devra faire le maximum pour investir l’aide internationale, mais aussi ses propres ressources financières, vers les secteurs à forte valeur ajoutée (électronique, informatique…) pour créer des technopoles. Elle doit le faire car elle possède déjà de nombreuses filières qui opèrent dans ces secteurs, ce qui lui permettrait de jouer sur un effet de levier et de trouver des débouchés pour ses «stocks» de jeunes diplômés scientifiques. On sait aussi qu’il faudra investir dix fois plus en Egypte pour obtenir le même résultat qu’en Tunisie.
Faut-il accélérer le mouvement ?
Une période de transition démocratique se traduit par une baisse de l’activité qui est le résultat d’une paralysie de l’appareil productif et d’une remise en question des institutions. Concrètement, la Tunisie a perdu 5 milliards de dollars de son PIB à cause de la révolution : un milliard à cause du blocage de l’activité économique, deux à cause de la baisse du tourisme et deux autres à cause de la guerre en Libye, le premier partenaire commercial. Par ailleurs, la Tunisie est confrontée à une hausse d’un chômage qui était déjà élevé avant la révolution. Or, ces mouvements de contestation sont, certes, l’expression d’une forte volonté démocratique, mais aussi l’expression d’un système économique et social générant des souffrances, des frustrations. Il faut donc agir vite pour éviter que les peuples dénoncent l’aggravation de leur situation de vie, tant économique que sociale, à la suite des révolutions. Il faut éviter une spirale de dépression économique qui couperait court à ce vent de démocratie. Deauville est de ce point de vue un acte positif. Même s’il faut encore le mettre en musique.
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La Tunisie n'a besoin de personne pour avancer : si on fait la somme arithmétiqhe toute simple entre l'argent volé par Ben Ali et ses associés plus la mauvaise gouvernance on trouve que tout cela est supérieur à la dette extérieure de la Tunisie. Quant à la politique, le Tunisien est connu par sa modération et son esprit ouvert. Quelque soit les parties au pouvoir, s'il ya démocratie, ça va aller très vite, avec des taux de croissance à deux chiffres. Mauralité : laissez nous travailler et vivre en paix et vous allez voir le miracle Tunisien.