Décortiquons le mode d'élection de la constituante : Les jeux ne sont pas encore faits !
Ce texte est une nouvelle contribution sur l’actualité politique en Tunisie|1,2]. Le mode électoral adopté par Le conseil de la Haute Instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique pour la constituante s’intitule : Scrutin proportionnel plurinominal (également appelé représentation proportionnelle à scrutin de liste) et il est le système électoral proportionnel le plus répandu. La variante choisie est la Méthode du plus fort reste.
Il est très important de vulgariser son mode opératoire et ses conséquences en termes d’alliances politiques si on veut que tout le monde sente que sa voix n’a pas été usurpée. De plus, les candidats doivent le décortiquer car le décompte final des sièges dépend de plusieurs facteurs. Nous allons montrer les dangers des phrases-résumés du type « Ce mode favorise les petits partis » ou « On peut toujours obtenir un siège même avec un faible score » qui sont des manifestations de naïveté politique. Rappelons que ce mode n’était même pas inscrit dans la première proposition du texte de la loi électorale et que c’était la méthode de la plus grande moyenne qui était privilégiée. Nous étions quelques uns à épingler le danger du mode de scrutin à la plus grande moyenne dans un paysage politique caractérisé potentiellement par l’existence d’un parti présentant un écart important en intentions de votes par rapport à ses adversaires. Ce changement de mode a été interprété par certains comme une combine pour « court-circuiter le parti Ennahdha » [3]. Ceci est tout à fait faux car le mode de scrutin à la plus grande moyenne est opérationnel dans un pays bipolaire et favorise la formation de majorités stables. Or, nous sommes face aux élections d’une constituante qui exige une répartition équilibrée de tous les courants de pensée pour rédiger un texte qui perdure et qui permet l’alternance.
On peut reprendre une distribution des voix à partir de l’article précédent [3] qui peut très bien se révéler représentative d’une circonscription à 8 sièges dont le quotient électoral (défini par le nombre total des voix exprimées divisé par le nombre de sièges de la circonscription) est de 50000 voix ou 12,5%. Même si le nombre de listes dépasse la centaine, seules les 8 listes arrivées en tête sont concernées par l’attribution des sièges. On appellera dorénavant loosers les listes qui n’entrent pas dans la compétition du décompte des voix qui se fait en deux rounds.
Le premier round va faire apparaitre les gagnants, vocable pour caractériser ceux qui obtiennent d’ores et déjà des sièges. Leur score doit dépasser le quotient électoral. Dans l’exemple proposé, seule la liste A avec 70000 voix possède ce privilège et gagne un siège. Il lui reste 20000 voix qu’elle va remettre en compétition avec les scores des 7 autres listes B à H. On attribuera un siège et un seul à chacune des 7 listes (scores ou restes) qui auront le plus de voix. Dans notre cas de figure et dans l’ordre on aura les listes B ; C ; D ; A ; E, F et G.
Liste | A | B | C | D | E | F | G | H |
Voix | 70000 | 30000 | 27000 | 23000 | 18000 | 15000 | 10000 | 7000 |
Nombre fractionnaire de sièges | 1,40 | 0,60 | 0,54 | 0,46 | 0,36 | 0,30 | 0,20 | 0,14 |
Attribution 1er round | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 |
Reste en Voix | 20000 | 30000 | 27000 | 23000 | 18000 | 15000 | 10000 | 7000 |
Reste en nombre fractionnaire de sièges | 0,4 | 0,60 | 0,54 | 0,46 | 0,36 | 0,30 | 0,20 | 0,14 |
Attribution 2èmeround | 1 | 1 | 1 | 1 | 1 | 1 | 1 | 0 |
Total en sièges | 2 | 1 | 1 | 1 | 1 | 1 | 1 | 0 |
On a l’impression que les 7 listes B, C, D, E, F, G et H jouent le même rôle dans le second round mais ceci est complètement faux. Les 6 listes B à G se font attribuer leurs sièges en même temps que A, c'est-à-dire à la fin du 1er round. On va les appeler les challengers. En réalité le second round ne concerne que la liste A, le gagnant, et la liste H qui le postulant. En effet, à la fin du 1er round, il reste 7 sièges à pourvoir mais un seul nouveau compétiteur qui est le gagnant avec son reste R. Si le reste R est supérieur au score de la liste H ; A engrange un second siège. C’est le cas de figure étudié et A gagne un second siège. Pour mieux comprendre ceci, faisons varier le reste R d’une valeur supérieure à 30000 (liste B) à une valeur légèrement supérieure à 7000 voix (liste H). Si R est égal à 40000 voix, A prend un second siège, les listes de B à G prennent chacun siège et H n’en prend pas. Si R prend une valeur égale à 8000 voix ; on a strictement la même chose que précédemment.
Cet exemple montre qu’à la fin du 1er round, il y a eu 7 sièges attribués et ceci indépendamment des scores obtenus. Le score des gagnants va servir à générer les restes qui entreront en compétition avec les scores des postulants uniquement. Les challengers engrangent des sièges grâce à leur rang.
Prenons un cas de figure sans fixer de score pour une circonscription à 10 sièges et supposons que le décompte du 1er round a fait sortir deux gagnants : la liste A avec 2 sièges et la liste B avec 1 siège. Il reste donc 7 sièges à pourvoir. Le nombre de listes de challengers qui se verront automatiquement attribuer un siège avant le 2ème round est la différence entre le nombre de sièges restants qui est 7 et le nombre de gagnants qui est 2. Les 5 listes C à G auront chacune un siège. Les 2 gagnants vont croiser leurs restes avec les scores des 2 postulants qui sont les listes H et I.
Ce dernier exemple montre la prédominance du rang sur le score. Les challengers engrangent des sièges sans être obligés d’avoir des scores élevés, il suffit d’être bien classé à chaque fois. Il va de soi que cette facilité est d’autant plus intéressante que le nombre de sièges est important. Elle est l’argument clé des partis qui ont choisi de faire cavaliers seuls car ils considèrent qu’ils sont la 2ème ou la 3ème force électorale dans toutes les régions. Ce raisonnement devient dangereux si les autres partis se regroupent et avancent ainsi en rang. Ces alliances sont parfois vitales pour les circonscriptions à 4 ou 5 sièges car le nombre de challengers peut être réduit à 2 ou 3.
Après avoir compris comment fonctionne le mode électoral, on passe à la problématique du jour : faut-il se regrouper ou y aller seul ?
Les alliances seront nécessaires pour aboutir à un score permettant au moins d’être postulant. Ceci a été bien expliqué par Elyès Jouini [4]. Oui « l’union fait la force » est valable pour les petits partis. Cette approche peut aussi se justifier dans les petites circonscriptions pour ceux qui aspirent à être challengers car la place de postulant est très risquée vu que les restes peuvent être forts. Par contre, comme cela a été montré dans une autre contribution [5], la subdivision d’un score d’un gagnant en plusieurs listes de challengers permet d’améliorer le score en sièges, ce qui est le but recherché. On peut dire la même chose différemment : regrouper deux listes de challengers en une liste unique vous donnera un gagnant avec un seul siège. L’union des challengers vous fait perdre des sièges.
La solution gagnante est un ensemble de partis pouvant intégrer aussi une liste d’indépendants et qui font une alliance souple basée sur la coordination circonscription par circonscription pour optimiser le gain en sièges. C’est l’union dans la diversité et dans l’adversité car la comptabilité finale en sièges à l’échelle nationale se fera sous le label de l’union alors que les campagnes électorales se feront dans l’adversité véhiculée comme la complémentarité ou la diversité. L’arc carthaginois est le modèle illustrant cette alliance électorale. Le nombre de piliers de cet arc variera de 2 à 4 ou 5 selon la taille des circonscriptions et le potentiel électoral de chaque composante de cette alliance. La déclaration de la formation de cet arc carthaginois boostera son audience. Sa diversité est à la fois sa richesse et la garantie que l’assemblée ne sera pas dominée par une idéologie donnée ou par des modèles figés.
Références
1- Ne reculons pas devant les intégristes, par Mariem Tangour ; Leaders, 06 Juin 2011
2- Les Listes Nationales des Indépendants pour La constituante : L’Alternative de la Société Civile, Par Mariem et Bahoueddine Tangour,
Leaders – 17 Juin 2011 – Rubrique : Opinions
3- Comment le mode de scrutin va-t-il court-circuiter Ennahdha? Par Mehdi Khemakhem, Étudiant,
Kapitalis, 04 Mai 2011
4- Petit traité d’arithmétique électorale ou lorsque l’union fait la force! Par Elyès Jouini,
Leaders, 09 Juin 2011
5- Le piège fatal du scrutin proportionnel au plus fort reste sans seuil de représentation, Par Anis Achek Ingénieur en informatique et étudiant en Droit,
Nawaat, 14 Avril 2011
Bahoueddine et Mariem TANGOUR
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les partis politiques du centre et de la gauche non extremiste doivent faire coalition entr'eux et faire bloc contre les islamistes sinon.....????
Le modèle développé en exemple utilise 200 000 voix : quotient : 25000 ou 12,5%; si je ne me trompe pas cela change les résultats! A aurait 3 sièges et F aucun; sans changement pour les autres. Suis-je dans l'erreur? Cordialement