La révolution : Constat et propositions
Vive la révolution du jasmin ! Pourquoi ? Elle est à l’origine de deux dynamiques totalement opposées mais nécessairement complémentaires :
D’une part, une dynamique négative qui se traduit par la prise du pouvoir par la rue, le pillage de la propriété privée, la destruction des biens publics symbole du pouvoir déchu, la perte de confiance. Autrement dit, c’est le chaos économique et social.
Et d’autre part, une dynamique positive porteuse d’espoir, qui se traduit par la chute du dictateur, le démantèlement d’un régime politique mafieux, la liberté d’expression, une nouvelle pensée politique, l’émergence d’initiatives nouvelles au service de la nation ainsi que le rétablissement de l’ordre et de l’autorité publique.
Il ne faut pas que le côté négatif de la révolution dure trop longtemps. En effet, il est urgent que l’Etat retrouve son autorité, son honneur, son pouvoir pour rétablir l’ordre public général et créer un climat favorable afin de préparer les nouvelles fondations pour une véritable démocratie participative.
Aucun homme ou femme politique n’est à l’origine de cette respectueuse révolution. Le peuple tunisien a vécu des années sombres de son histoire, dominées par le sacrement de la pensée unique, la confiscation des biens privés par des minables illettrés, avec la bénédiction du pouvoir en place, les arrestations arbitraires, l’atteinte à l’honneur et à l’intégrité physique des citoyens.
Cette révolution est unique en son genre. C’est un ras le bol général d’une jeunesse désespérée et constamment humiliée qui a conduit à la révolte populaire et mis fin à un régime répressif.
Attention, le plus difficile reste à faire : comment accompagner cette dynamique populaire ? Quelles sont les réformes prioritaires ? Quel type de démocratie faut-il adopter ?
La priorité la plus urgente est le rétablissement de l’autorité publique. Malheureusement, on ne peut s’empêcher de constater la fragilité du gouvernement provisoire malgré les efforts louables du premier ministre et des son gouvernement.
L’inflation galopante des parties politiques témoigne de l’immaturité des responsables de ces partis qui donnent l’impression d’être pressés de s’emparer du pouvoir et réaliser leurs ambitions personnelles sans se préoccuper véritablement de l’avenir du peuple tunisien.
Est-il vraiment nécessaire d’élire une assemblée constituante ?
Il me semble que non.
Je crains que cette assemblée sera le théâtre d’un affrontement fratricide entre des intellectuels qui vont débattre de sujets stériles dont le peuple tunisien est loin de se sentir concerné.
La Tunisie dispose d’une constitution respectueuse des droits et des obligations des citoyens, de l’identité nationale, des principes républicains… Il suffit de quelques aménagements et d’une bonne application des différentes résolutions pour obtenir une constitution conforme aux principes de la déclaration universelle des droits de l’Homme.
De ce fait, j’appelle tous ceux qui envisagent d’avoir une place au sein de cette assemblée de faire preuve de sagesse et de maturité politique pour passer très vite à l’essentiel c’est à dire aux réformes prioritaires.
Quelles sont les réformes prioritaires ?
Je suis convaincu que l’enseignement supérieur et la recherche scientifique, la fiscalité et l’infrastructure constituent les axes des réformes prioritaires indispensables pour faire face à une concurrence économique internationale.
L’enseignement supérieur et la recherche scientifique constituent des choix stratégiques au service de la nation pour affronter les grands défis contemporains. L ‘ enseignement supérieur forme les futurs cadres, les futurs dirigeants, les futurs chefs d’entreprises, les futurs enseignants et chercheurs. L’université est la dernière étape avant la vie active. L’insertion professionnelle des étudiants reste une finalité de l’enseignement supérieur. Une attention toute particulière doit être portée à nos universités.
Force est de constater que depuis le début des années 2000, l’enseignement supérieur connaît une dégradation progressive qu’il faut vite stopper. La réforme LMD (Licence Master Doctorat) a été très mal engagée à cause d’un ministre et méprisant.
J’espère que les futurs responsables politiques auront la sagesse de s’entourer d’enseignants et de professionnels compétents et expérimentés pour réformer l’enseignement supérieur autour des idées forces suivantes :
- Accorder l’autonomie administrative et financière aux universités.
- Regrouper les universités au sein de 3 ou 4 grands campus universitaires quitte à fermer des universités créées par l’ancien pouvoir.
- Revoir la réforme LMD pour permettre aux étudiants de suivre un enseignement conforme aux standards internationaux et favoriser ainsi la mobilité géographique et la reconnaissance mutuelle des diplômes.
- Concevoir un enseignement supérieur en adéquation avec les attentes du marché afin de faciliter et favoriser l’emploibilité.
La communauté des tunisiens à l’étranger compte parmi ses rangs des véritables compétences reconnues qui peuvent participer à la réalisation de ces objectifs.
Quant à la réforme de la fiscalité, il s’agit d’un point très sensible qui nécessite une communication efficace sur la situation des finances publiques pour sensibiliser tous les citoyens sur les enjeux d’un endettement excessif occasionné par l’accumulation des déficits publics.
La réforme doit viser les objectifs suivants en respectant les principes de la simplicité, de la neutralité, de l’équité et de l’attractivité :
- Consolider les finances publiques sans compromettre la croissance,
- Faire en sorte que tous les citoyens paient leur juste part contributive au budget de l’Etat. Comme le souligne l’OCDE : « Les impôts peuvent dissuader de travailler, d’investir, d’innover et exercer par conséquent des efforts défavorables sur la croissance économique et les conditions de vie. »,
- Favoriser la fiscalité sur les revenus d’activité et de remplacement et encourager l’investissement,
- Prendre les mesures adéquates pour dissuader la fraude et l’évasion fiscale ô combien préjudiciable à l’équilibre budgétaire,
- Orienter l’investissement direct étranger afin de faire de la Tunisie une place financière séduisante.
Il est urgent d’engager la réforme du système fiscal pour rassurer les contribuables, leur donner une visibilité à moyen et long terme et leur offrir un cadre juridique qui favorise l’entreprenariat et une meilleure incitation au travail.
Enfin aucun pays ne peut se développer sans avoir un réseau de communication développé, adapté et accessible pour tous. Est-il nécessaire d’avoir des aéroports tous les 100 km ou 50 km ? Il faut s’interroger sur l’efficacité de ces installations aéroportuaires. Il est vital de construire des nouvelles autoroutes pour désenclaver certaines régions délaissées par l’ancien pouvoir. Chaque région doit être accessible et offrir une infrastructure adaptée et attractive pour la promotion de l’investissement à l’origine de la création d’emplois durable et de proximité.
Des infrastructures de qualité sont indispensables au développement durable.
En somme, ce point de vue sur la révolution aboutit à une interrogation des finalités de cette dernière. C’est évident : il s’agit de la Liberté et de la Démocratie.
Si la liberté permet à chacun de s’épanouir par l’action, elle peut aussi conduire à l’anéantissement.
La liberté des actes n’a de valeur que lorsqu’elle s’ordonne autour de la dignité de la personne.
Par ailleurs, chacun d’entre nous détient seulement quelques éléments de la connaissance et de l’information, et nous ne pouvons agir qu’à travers des processus de coordination et de rencontre avec les autres.
Le cadre privilégié de ces rencontres indispensables à chacun pour s’exprimer, s’épanouir, se constituer, proposer des idées et des solutions est celui de la société civile c’est à dire les associations les clubs, les fondations, les comités et non pas forcément les parties politiques.
Cette société civile doit-elle s’opposer à l’Etat ou bien doit-elle se positionner en relais de l’Etat ?
DJEMMALI Hachmi
Maître de conférence
Université LYON III
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trés bel article sur la révolution. voilà quelqu'un qui fait un constat conforme à la réalité et avance des propositions concrètes et adaptées au contexte tunisien. bravo Mr Djemmali.
FASSE DIEU QUE CETTE RÉVOLUTION NE PROFITE PAS AUX INTÉGRISTES FANATIQUES ET AUTRES.