Esprit: ou l'étrange singularité d'un établissement universitaire privé animé par l'esprit du service public
D’une trentaine d’étudiants en 2003 à plus de 2400, sept ans seulement après, Esprit incarne une belle réussite d’établissement universitaire privé qui séduit étudiants et employeurs. En témoigne aussi cet imposant campus de plus de 20 000 m2, en deux grands blocs (avec piscine couverte) édifié dans la zone du Pôle Technologique El Ghazala. Quels sont les fondements de ce succès ? Et comment se présentent les perspectives de développement. Reportage.
Créée en 2003 à l’initiative d’un groupe d’universitaires de renom, avec le soutien de trois institutions financières majeures et d’une vingtaine d’entreprises innovantes du secteur des TIC, Esprit est une école d’ingénieurs privée qui s’est fixé pour mission principale de former les ingénieurs opérationnels dont les secteurs portant la croissance de notre économie (informatique, télécommunications, électricité mécanique) ont un cruel besoin.
Pour ce faire, les fondateurs ont d’abord soigneusement défini une pédagogie appropriée (dite pédagogie active de projets), différenciée selon les compétences acquises en amont par les intrants, pour atteindre en bout de cursus les compétences requises par le cahier des charges de l’ingénieur opérationnel. Ils ont ensuite recruté des dizaines d’enseignants permanents, qu’ils ont formés à cette démarche, afin qu’ils la « mettent en musique ». Et pour qu’ils puissent évoluer dans leurs compétences et leurs carrières, ils ont créé à leur intention un centre de recherche-développement (EspriTec), auquel 5% du chiffre d’affaires du groupe est dédié. Ils ont aussi mis en place une filiale – Esprit d’entreprises – destinée à développer des services au profit des entreprises (formation et développement).
Ce qui permet de maintenir le lien de la formation avec leurs préoccupations, les ressources issues de cette activité permettant par ailleurs d’alléger la charge des parents dans le coût de formation de leurs enfants. La préparation aux certifications technologiques les plus diverses fait partie intégrante de la formation d’ingénieur. Au nombre des objectifs majeurs, figure aussi la maîtrise des « soft skills » indispensables au métier : compétences en langues et en communication, attestées par des certifications (TOEIC, TEF), culture d’entreprise, économie et gestion, relations humaines et sociales … Enfin, des partenariats nationaux et internationaux, certains d’entre eux ouvrant la voie à des doubles diplômes, ont été contractés avec des établissements réputés : Sup’Com, ENIT, Institut Télécom (Télécom ParisTech, Télécom SudParis, Télécom Lille1), EISTI Cergy, ENS Mines de Saint-Etienne, Université de Nice-Sophia Antipolis, Université de Paris1-Sorbonne, Université de Paris-Dauphine (executive MBA).
Moyennant quoi le label Esprit bénéficie aujourd’hui, huit ans après sa création, d’un crédit incontestable auprès des entreprises, et par voie de conséquence auprès des jeunes et de leurs familles qui savent pouvoir faire confiance à son schéma de formation. Quelques chiffres permettent d’en mesurer l’ampleur :
• Passant d’une trentaine en 2003 à plus de 2.400 en 2010-2011 (cours de jour et cours du soir), le nombre d’étudiants a connu un taux moyen de croissance annuelle de plus de 85%.
•Le nombre de diplômés a été multiplié par 10 en cinq ans (entre 2006 et 2011), soit un taux moyen de croissance annuelle de près de 60%. La taille des promotions sortantes atteint désormais 300 ingénieurs environ par an, niveau auquel les fondateurs souhaitent la stabiliser. Ce qui représente près de 5% des ingénieurs formés en Tunisie, et environ 15% des ingénieurs formés dans le secteur des TIC, qui continue à se tailler la part du lion à Esprit. En cette année particulière de révolution, dont l’une des causes a été le chômage de nos jeunes diplômés, il est intéressant de souligner que la plupart des sortants d’Esprit obtiennent – notamment grâce au schéma d’alternance appliqué pour la formation – une option de recrutement avant même d’avoir obtenu leur diplôme. Nombreux sont ceux qui sont employés à l’étranger, en Europe notamment, où le label Esprit commence à être reconnu et apprécié.
Une réussite fulgurante, pourquoi ?
Il faut se rendre sur les lieux, à proximité du pôle technologique (zone industrielle de Choutrana), pour comprendre les ressorts de cette « success story » aussi discrète dans sa communication qu’impressionnante dans sa réalité. On y découvre un campus réunissant deux bâtiments couvrant plus de 20.000 m2 de surface, séparés par des terrains de sport et des espaces de vie. Le premier bâtiment abrite l’école d’ingénieurs, et le second les classes préparatoires aux grandes écoles d’ingénieur. Créées en 2009 en partenariat avec Ginette, la première prépa de France, ses élèves ont connu cette année leur baptême du feu en réalisant un taux d’admissibilité de 85% aux concours d’accès aux grandes écoles d’ingénieurs françaises. Le campus est un lieu de travail, mais aussi de vie pour les élèves qui y passent leurs journées et souvent leurs week-ends et une partie de leurs vacances. Il comporte donc des espaces de restauration, une résidence universitaire, une bibliothèque, des espaces connectés à Internet, des espaces sportifs également, incluant à côté des terrains de sport une salle couverte et – ce n’est pas une blague – une piscine couverte !
Esprit c’est aussi plusieurs dizaines de clubs créés par les élèves ingénieurs et les enseignants autour des centres d’intérêt les plus variés : logiciels libres, musique, peinture, photo, ciné-club, jeux vidéo, etc. Le dernier club en date est fils de la révolution, il a pour nom « Esprit citoyen ». Cette année, entre le début de mars et de mai, les principaux dirigeants des partis politiques de la place s’y sont pressés pour exposer leurs projets et leurs visions, et se soumettre aux questionnements et à la contradiction des élèves d’Esprit.
La première clé de la réussite d’Esprit, nous explique Tahar Ben Lakhdar, c’est « qu’elle a identifié dès le départ les besoins du marché, et qu’elle s’est donné les moyens d’y répondre. Nous avons donc focalisé notre attention sur la formation d’une catégorie d’ingénieurs, les ingénieurs opérationnels, un segment qui représente environ 80% des besoins des entreprises. Et nous nous sommes donné les infrastructures, la pédagogie et les enseignants qu’il faut pour les former de manière à répondre à leurs attentes. Cette démarche est celle qui nous guide encore et toujours. Nos curricula sont évolutifs, ils s’adaptent sans cesse aux mutations de la technologie pour être toujours en phase avec les besoins des entreprises. La seconde clé, c’est qu’Esprit n’appartient ni aux quelques dizaines d’universitaires qui y ont investi une part de leurs économies, ni aux entreprises et aux fonds d’investissement partenaire qui les accompagnent. Aucun de ces protagonistes n’est à la recherche de bénéfices immédiats, car leurs retours sur investissements sont d’un autre ordre. C’est la validation du modèle de formation qui importe aux premiers. Les entreprises sont quant à elles intéressées par les ingénieurs Esprit, qui correspondent à leurs attentes et à leurs besoins. Quant aux fonds d’investissement, des SICAR à vocation technologique, le succès d’Esprit constitue leur meilleure vitrine – moyennant une mise de fonds relativement modeste – auprès de ceux qui leur confient leurs capitaux. Cette martingale vertueuse permet à Esprit de fonctionner comme un établissement de service public, bien qu’elle soit de droit et de capitaux privés.
La troisième clé enfin, c’est que l’établissement a été créé et développé par des professionnels de la formation des ingénieurs, et non par des hommes d’affaires qui auraient vu dans l’enseignement supérieur privé une simple opportunité d’investissement.
Quels développements pour l’avenir ?
Ses succès conduisent naturellement à poser la question de la généralisation de l’expérience, et de son extension, afin que l’enseignement supérieur privé puisse pleinement jouer son rôle dans le développement de la carte universitaire du pays. Interrogés sur le sujet, les fondateurs d’Esprit récusent néanmoins toute prétention à l’exemplarité. Leur expérience, nous dit Mohamed Jaoua, est la résultante d’une trajectoire, ils se contentent de prolonger dans un cadre privé le travail qu’ils ont fait dans le public durant des dizaines d’années. A savoir contribuer à la construction de nos capacités technologiques, et ce faisant au développement de nos entreprises et de l’économie de notre pays. Si cette expérience ne peut être développée de manière aussi rapide qu’on pourrait le souhaiter, c’est d’abord, souligne Mohamed Naceur Ammar, qu’elle repose sur des ressources humaines qui sont rares, et qu’il convient en outre de former à la démarche particulière qui fait notre succès. Esprit est aujourd’hui soucieuse de stabiliser et de consolider son schéma et ses ressources humaines, et de tabler sur une démarche d’assurance qualité, plutôt que de poursuivre une croissance immodérée qui pourrait mettre en cause la qualité de sa prestation. Notre atout le plus précieux est en effet le crédit que nous accordent les entreprises, et la confiance dont les familles nous honorent. Et nous travaillons chaque jour à les mériter davantage.
Les tiroirs d’Esprit n’en débordent pas moins de projets de développement, tant au plan national qu’à l’international. La révolution lèvera, il faut l’espérer, les freins que l’ancien régime faisait peser sur le développement du secteur. Ainsi, les dispositions prévues par l’article 52 du code d’incitation aux investissements sont restées à ce jour lettre morte. Au nombre d’entre elles figurent une prime d’investissement de 25% - et Esprit a investi plus de 12 MD en bâtiments et en équipements - et la prise en charge de 25% des salaires des enseignants permanents – Esprit en compte une centaine – ainsi que leur exonération des charges CNSS. Dans le même ordre d’idées, Esprit appelle les autorités à accorder le même traitement à nos universités privées qu’à celles des pays du Golfe. En attribuant notamment aux enseignants qui souhaitent les rejoindre un détachement de la fonction publique qui leur permette de retrouver leurs postes à la fin de leur mission. Elles permettraient ainsi aux jeunes compétences tunisiennes soucieuses de construire leur vie et leur carrière de le faire dans leur pays, tout en servant son développement, plutôt que dans l’exil.
Tahar Ben Lakhdar, Président du groupe Esprit
Comment Esprit se différencie-t-elle des autres acteurs de l’enseignement supérieur privé ?
D’abord par la structure de son capital, qui lui confère un caractère « institutionnel », ce qui permet une gouvernance proche du service public. Ensuite par le fait que nous ne visons pas à l’exhaustivité. Esprit est une école d’ingénieurs, c’est tout, mais elle forme selon les standards internationaux de qualité les plus exigeants. Esprit réunit une somme de compétences tout à fait inhabituelle dans le secteur : plus de 60 experts, au nombre desquels les principaux acteurs des réformes publiques des études d’ingénieur, une centaine d’enseignants permanents. Le tout au service de cet objectif unique mais ô combien essentiel : former d’excellents ingénieurs pour servir le développement de nos entreprises.
Et quel est votre positionnement vis-à-vis du public ?
Nous nous situons dans la complémentarité, en nous efforçant de former des ingénieurs opérationnels, maîtrisant les outils de communication, certifiés sur les produits technologiques les plus actuels, et dotés d’une forte culture d’entreprise. Dès le départ, nous avons opté pour un partenariat public-privé, en tablant sur les avantages prévus par la loi pour investir lourdement dans les infrastructures et le recrutement de dizaines d’enseignants permanents. Toutes choses indispensables à la qualité de notre formation, laquelle nous a valu la confiance du public et des entreprises. Aujourd’hui, les jeunes se pressent à nos portes – près de trois candidats par place offerte – mais nous ne pouvons hélas tous les accueillir.
Comment faire pour mieux répondre à cet engouement, sachant que le pays a besoin de ces jeunes compétences ?
Nous le souhaiterions, et nos cartons débordent de projets dans ce sens. La révolution l’a révélé de manière éclatante, notre pays manque cruellement de formations professionnalisantes. Grâce à l’expérience et au savoir-faire que nous avons acquis sur ce registre, nous pourrions davantage contribuer à résorber ce déficit. Mais les pouvoirs publics ont hélas ignoré jusqu’ici les dispositions de la loi qu’ils ont eux-mêmes promulguée, nous obligeant à recourir plus que de raison à l’emprunt pour financer nos projets. Ce qui grève considérablement notre capacité d’investissement et ralentit notre développement. Le privé ne peut pas tout : encore faut-il que l’Etat joue son rôle, et qu’il tienne sa parole.
Bios express des fondateurs
Derrière le succès d’Esprit, il y a un groupe de plusieurs dizaines d’experts en formation d’ingénieurs, iceberg dont la partie émergée comporte trois têtes. Bios express.
Tahar Ben Lakhdar: Docteur ès-sciences physiques, il a fondé l’Institut Préparatoire et l’Institut Supérieur Technologique de Nabeul. Il a ensuite dirigé l’ESPTT tout en contribuant à la réforme des formations d’ingénieurs des années 90 en mettant en place les Instituts Préparatoires aux Etudes d’Ingénieurs et les ISET. Dans ce contexte, il a été notamment à l’origine de la mise en place des agrégations scientifiques et technologiques pour former les formateurs des IPEI et des ISET. Il a contribué fortement à la mise à niveau du secteur de la formation professionnelle en tant que premier responsable de l’ATFP, avant de fonder Esprit en 2003. Il est aujourd’hui le président du groupe.
Mohamed Naceur Ammar: Ancien élève de l’Ecole Polytechnique et de l’Ecole des Mines de Paris, il est docteur en génie des procédés et professeur de l’enseignement supérieur militaire. Ayant participé à la création de l’IPEST dont il a assumé la direction des études lors de sa création, il a joué un rôle clé dans les réformes entreprises dans les formations d’ingénieurs en général, et dans le secteur des TIC en particulier, notamment en tant que directeur durant dix ans de l’Ecole Supérieure des Communications (Sup’Com) dont il a fait la seule école affiliée à la Conférence des Grandes Ecoles. Il a assumé au niveau national la responsabilité du secteur des TIC et élaboré une stratégie de développement de l’économie numérique 2010-2014 en tant que ministre des Technologies de la communication durant l’année 2010.
Mohamed Jaoua: Docteur ès-sciences mathématiques, il contribué à la réforme des études d’ingénieur des années 90 en fondant le pôle d’excellence composé de l’IPEST et de l’Ecole Polytechnique de Tunisie. Il a aussi mis en place les agrégations de mathématiques et de sciences physiques, et organisé les préparations afférentes. Il a ensuite créé le LAMSIN, principal laboratoire tunisien de recherche en mathématiques appliquées, qui abrite la Chaire UNESCO « Mathématiques et développement ». Aujourd’hui professeur à l’Université de Nice-Sophia Antipolis, il est détaché depuis 2010 à l’Université Française d’Egypte, dont il coordonne la faculté d’ingénierie.
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je rêve vraiment de finir mes études d'ingénieur à esprit et je suis en 2ème licence réseau informatique
l universite l esprit de turnisie est une universite qui facilite la vie scolaire aux etudiants