Leçons d'élections réussies
Même si les résultats définitifs du scrutin relatif à l’élection de la Constituante n’attendent que l’ultime validation après l’épuisement des recours, il est fort probable que le parti Ennahdha y sera le grand gagnant, avec des scores qui auront démenti tous les pronostics. C’est pourquoi, je commencerai par adresser mes félicitations aux vainqueurs et à l’ensemble des nouveaux élus, en souhaitant qu’ils soient à la hauteur des espérances placées en eux, par la majorité des Tunisiens. La tâche ne sera sans doute pas facile, tellement sont nombreux et complexes les défis qui se posent désormais à notre pays et tellement sont grandes les attentes légitimes de nos concitoyens. Ces élections sont porteuses de leçons précieuses et interpellent quant à la définition et au classement des priorités.
Les leçons
1 - Nombreux étaient ceux qui avaient peur de ces élections et avaient fait part de beaucoup d’appréhensions quant à leur faisabilité, craignant des incidents et des troubles à même d’en compromettre la bonne finalisation. Certains spéculaient même sur l’impossibilité de leur déroulement. Le peuple tunisien et la majorité de ses élites ont donné une belle leçon de bravoure et de civisme. Car, même si quelques irrégularité mineures et quelques incidents, sans gravité ont été enregistrés ici ou là, ces élections se sont déroulées globalement dans le calme et dans un esprit citoyen qui fait réellement honneur à tout Tunisien.
C’est pourquoi il faut rendre hommage, d’abord, au peuple tunisien qui a fait preuve d’une maturité et d’une sagesse qui forcent l’admiration. Il faut rendre hommage, ensuite, à la l’Instance supérieure qui a présidé à l’organisation de ces élections, selon les normes de transparence et d’équité telles que mondialement reconnues, et à l’ensemble des observateurs qui en ont supervisé le bon déroulement.
Il convient également de rendre hommage au gouvernement de transition qui a honoré ses engagements en apportant son précieux soutien logistique et en mobilisant les différents services de l’Etat pour que ces élections se déroulent dans les meilleures conditions possibles, sans oublier l’armée nationale et les services de sécurité intérieure qui n’ont ménagé aucun effort, dans des circonstances souvent difficiles, pour que cette belle fête de la démocratie soit réellement vécue.
2 - Le vote massif en faveur du parti Ennahdha est porteur d’un message fort et est le résultat d’une stratégie intelligemment mise en oeuvre.
Le message est que les Tunisiens, en grand nombre, échaudés par les graves dérives du passé, malgré les succès du pays dans certains domaines à vocation économique surtout, ont souhaité confier la gestion du pays, durant cette période de transition démocratique, à ceux-là mêmes qui ont été des décennies durant les victimes de l’ancien système. C’est comme si dans leur for intérieur, ils se sont dit : essayons les principaux adversaires et victimes de l’ancien régime.
Ce résultat s’explique, surtout, par la stratégie fort intelligente mise en place par ce parti. Cette stratégie repose sur un certain nombre de principes simples.
Le principal est qu’une élection, dans un environnement démocratique, se gagne par la mobilisation des électeurs et par l’aptitude à les convaincre du sérieux et de la détermination de réaliser effectivement le projet politique qu’on leur propose.
Le second consiste à comprendre que le peuple tunisien est culturellement un peuple modéré, il déteste les excès, y compris dans le dénigrement et l’appel à la haine. Ce qui est à noter et à mettre à l’actif d’Ennahdha est que son comportement, au niveau de ses principaux responsables tout au moins, depuis l’avènement de la révolution, a été digne et responsable. En particulier, personne parmi eux ou presque n’a tenu des propos diffamatoires à l’encontre de ses adversaires ou appelé à la vengeance, contrairement à beaucoup d’autres qui se sont vus sévèrement sanctionnés par le peuple. Les nahdhaouis ont compris que le pays ne peut se construire que par l’apport de l’ensemble de ses enfants, sans exclusive ni marginalisation.
Ils ont également compris que le passage à un véritable Etat démocratique et de droit, prospère et respecté, passe par une grande action de réconciliation nationale.
Ils ont enfin eu l’intelligence de comprendre qu’il y a une différence entre servir son pays, même sous un régime autoritaire, et servir des intérêts particuliers ou de clans. Si en effet le pays a réalisé des progrès sensibles dans de nombreux domaines, c’est parce que de vaillants serviteurs de l’Etat s’y sont fortement investis, avec courage et loyauté, souvent aux dépens de leur santé et de leurs intérêts propres !
Le discours d’apaisement et de rassemblement, de même qu’une politique de proximité, au contact des citoyens, au fin fond du pays, en plus de la sympathie que lui a conférée de nombreuses années d’exclusion et de privations, ont été, à mon sens, les clés de cette percée peu attendue de ce parti. C’est pourquoi il est fort probable que de nombreux ex-RCDistes, de même que des partisans d’autres formations politiques, aient plutôt voté Ennahdha, dans l’espoir d’un véritable renouveau à même de répondre aux revendications légitimes du peuple telles qu’exprimées au moment de la révolution.
Il est alors à espérer que les responsables de ce parti fassent démentir le reproche qu’on leur fait souvent, à savoir qu’ils pratiquent le double langage et que ce qu’ils promettent risque d’être différent de ce qu’ils feront une fois arrivés au pouvoir !
Il leur appartient également de prouver que leur parti a pu tirer les leçons du passé et qu’il est à même de réconcilier les Tunisiens entre eux et bâtir la Tunisie nouvelle dont rêve tout patriote : une Tunisie apaisée, modérée, démocratique et juste, où il fait réellement bon vivre.
3 - Certains partis, et particulièrement le PDP, n’ont pas eu le score que leur confèrent et leur militantisme passé et la qualité des hommes et des femmes qui les représentent. Il leur appartient d’en tirer les leçons et de réviser leurs stratégies en conséquence, car notre pays a besoin d’une pluralité des opinions et des sensibilités politiques, seule à même de faire éviter les dérapages et les excès toujours possibles.
Certains autres ont intérêt à comprendre que la haine et l’esprit de vengeance sans discernement n’ont jamais fait avancer les peuples qui s’y sont adonnés. Ils ont intérêt à s’inspirer des multiples exemples admirables de par le monde et particulièrement de l’expérience de l’Afrique du Sud.
4 - Ces élections prouvent la pertinence de la fameuse règle que voici : «On peut tromper une personne mille fois, on peut tromper mille personnes dix fois, mais on ne peut tromper tout le monde plusieurs fois» !
Les priorités
La mission principale de la Constituante consiste, bien entendu et comme son nom l’indique, à préparer une nouvelle Constitution. Il est à espérer que les nouveaux élus mettent l’intérêt général au-dessus de tout et évitent les querelles idéologiques et les positions dogmatiques qui peuvent enliser les débats dans des considérations subalternes, sans rapport avec les intérêts supérieurs de la nation.
La Tunisie a été pionnière en matière de réformes constitutionnelles, et ce, dès le dix-neuvième siècle, pour ne pas revenir à l’époque carthaginoise qui, déjà, connaissait un début d’oeuvre constitutionnelle, dont semble s’être inspirée la Constitution américaine.
Il convient de concentrer les débats sur les questions majeures: réaffirmer l’identité arabo-musulmane de notre pays, sans surenchères, tout en garantissant les droits de l’ensemble des citoyens, assurer la pérennité d’un régime pluraliste et démocratique garantissant les libertés individuelles et collectives, de même que la séparation des pouvoirs, mettre en place des institutions et des mécanismes favorisant l’alternance au pouvoir et bannissant à jamais le pouvoir personnel, mettre en place des structures à même de favoriser l’équitable représentation de l’ensemble des régions du pays et leur développement durable, garantir que désormais toute légitimité ne peut émaner que du peuple, seul détenteur de la souveraineté suprême, etc.
Il convient, ensuite, de s’attaquer aux urgences. Les principales parmi celles-ci sont, d’une part, l’emploi des chômeurs de longue durée et particulièrement les diplômés de l’université, l’amélioration des conditions de vie dans les quartiers populaires et les régions de l’intérieur et, d’autre part, la remise en marche de l’économie nationale et le renforcement de la sécurité et de l’Etat de droit.
Comme rien ne peut se faire sans sécurité, il est extrêmement urgent de rétablir davantage la confiance chez les agents de la sécurité intérieure qui ont été fortement marqués par les campagnes injustes de dénigrement et de culpabilisation collective dont ils ont fait l’objet.
Cette confiance passe par des assurances quant à l’amélioration de leurs conditions matérielles et morales, de même que par une grande action de formation et de recyclage, en partenariat avec des pays qui ont connu, avant nous, des transitions démocratiques réussies. Car la culture démocratique est un apprentissage qui nécessite du temps et beaucoup de patience.
Quant aux grands défis du chômage et du développement des régions défavorisées, ils ne peuvent se régler en un laps de temps court ! Cela doit être clairement dit et expliqué à nos concitoyens, car nombreux sont ceux qui, de bonne foi, pensent que leurs problèmes vont être résolus dès l’installation du nouveau gouvernement.
Des mesures urgentes sont cependant nécessaires et réalisables pour atténuer les souffrances des populations concernées. Il convient en particulier de démarrer de grands chantiers de salubrité publique, d’amélioration des conditions de vie dans les régions et les quartiers populaires, parallèlement au lancement de grands travaux d’infrastructures de nature à désenclaver les régions de l’intérieur, d’autant que de nombreuses études sont disponibles depuis longtemps, il suffit de les actualiser et de mobiliser les moyens financiers pour les réaliser.
Il convient enfin d’activer les procédures d’approbation de certains projets soumis, par le secteur privé, au gouvernement et qui sont susceptibles de créer des milliers de nouveaux emplois.
Sur le moyen et le long termes, il est indispensable de passer à un modèle de développement de la troisième génération, sous-tendu par une nouvelle politique industrielle, basée sur le savoir, seul moyen d’offrir des postes d’emploi valorisants et durables aux dizaines de milliers de jeunes qui sortent annuellement diplômés des universités. De nombreuses idées existent à cet effet, mais il serait trop long de les développer ici.
Enfin, nous avons intérêt à être conscients du fait que notre pays, dont le prestige s’est considérablement accru, depuis la fameuse et pacifique révolution du 14 janvier, est de dimensions géographiques et démographiques modestes et dispose de peu de ressources naturelles. Sa grande richesse réside dans l’intelligence de ses enfants.
C’est pourquoi, il est impératif de faire fructifier tout quantum d’énergie qui sommeille en chaque Tunisien et Tunisienne. Ce n’est que par la fédération des efforts et la synergie des intelligences qu’il nous sera possible de relever les nombreux défis auxquels notre pays se trouve confronté, dans un monde dominé par une compétition redoutable. Pour y parvenir, la sagesse recommande de s’inspirer de l’exemple sud-africain, de tourner la page et de procéder à une véritable réconciliation nationale, pour rassurer l’ensemble des forces vives de la nation, ce qui est loin d’être incompatible avec la sauvegarde des intérêts légitimes de toute victime de l’ancien régime, à condition que soient respectées les règles de l’Etat de droit.
Ce n’est donc que par un dosage savamment mis en place entre d’une part des institutions fiables et efficientes et, d’autre part, l’adoption d’une stratégie favorisant la fédération des intelligences, qu’on réussira à bâtir la Tunisie nouvelle dont rêve tout patriote et pour laquelle se sont sacrifiés les vaillants martyrs de la patrie. Car, comme l’avait si bien dit Jean Monnet, l’un des pères fondateurs de l’Europe : « Rien ne se crée sans les hommes et rien ne dure sans les institutions ».
Si en revanche la voix de la raison demeure minoritaire, il est à craindre que notre pays et surtout les générations futures soient fortement déçus, ce que personne ne souhaite.
Enfin, il serait sans doute utile, en cette période sensible que traverse notre pays, de bien méditer la fameuse citation de Condorcet, ce mathématicien et philosophe qui a participé à la révolution française, que voici : «Un peuple qui n’est pas éclairé par des philosophes est trompé par des charlatans ».
Et que Dieu préserve notre chère Tunisie.
Ahmed Akkari
- Ecrire un commentaire
- Commenter
Le grand défi pour les futurs dirigeants serait de favoriser la confiance tant auprès des compatriotes que chez les partenaires.La Tunisie a souffert d'une grave dégradation de son climat des affaires.
1. C'est de l'inconscience ou de l'intox. Les élections sont les élections d'une Assemblée constituante. Un choix fait par les autorités de transition. Les élections ont porté Ennahdha à avoir un groupe de membres majoritaire dans une assemblée dont le but est de rédiger un texte constitutionnel. Le reste est un jeu de passe-passe, de jeu des trois cartes, deux noires et une rouge. Aucun parti n'est actuellement attitré pour gouverner. Le seul gouvenement provisoire possible devra être un gouvernement technique, dont les membres sont choisis en dehors des partis présents et passés, en fonction de leur mérite reconnu et de leur intégrité intellectuelle et morale. 2. Quant à la moderation de la Tunisie, l'idéologie de la modération, ou ce que l'on appelle le centre est une idéologie dangereuse. a)Parce que dans le panier de la modération on trouve de tout: l'Arabie saudite, la Giordanie, comme hier la Tunisie de Ben Ali et l'Egypte de Mubarak, comme aujourd'hui Ennahdha, al-Qardhaoui, etc. b) Parce que la modération comme on l'entend est l'oppression de la majorité par une minorité politique pliée et soumise aux arguments des plus forts à l'intérieur et à l'extérieur (les patrons, la religion,les banques, les multinationales). La modération, c'est comme la tolérance. C'est l'invention des dominateurs, qui ne parlent JAMAIS des droits. Quant au caractère aimable des tunisiens et de la Tunisie, celà tient au fait que la Tunisie est un pays CIVILISE', non modéré.