Au lendemain des élections
Les élections du 23 octobre 2011 pour désigner les élus de l’Assemblée Constituante, organisées de façon remarquable par Kamel Jendoubi à la tête de l’Instance Supérieure Indépendante pour les Elections l’ISIE, se sont déroulées dans un climat pacifique à la grande satisfaction des votants venus nombreux accomplir pour la première fois un devoir qui leur était refusé donnant à ces élections un caractère d’exemplarité malgré l’observation de certaines dérives.
Le parti « Ennahdha », le grand gagnant des élections a obtenu 89 sièges sur 217, dépassant très largement ses alliés et concurrents.. Notons que la parité qui était recommandée a été suivie puisque 41 femmes, membres de ce parti, ont été élues, sur les 49 de l’Assemblée Constituante. Une victoire justifiée par une campagne menée tambour battant après le 14 janvier au retour de Rached Ghannouchi. Il avait créé le mouvement à tendance islamique en 1981 dont il était l’Emir. Il lui donna le nom d’Ennadha en 1989 faisant ainsi disparaitre la qualification d’islamiste. De Londres, il l’organise en cellules qui allaient quadriller tout le territoire tunisien. Il faut rappeler que les membres de son propre parti ont durement subi les régimes dictatoriaux. Il en fut de même pour les défenseurs des droits humains que nous étions, et à ce titre nous les avons défendus quand ils étaient traduits en justice et emprisonnés illégalement pour leurs idées. Mais nous les avons combattus quand ils ont tenté en 1985 de réintroduire la polygamie, justifiée par le choix d’une seconde épouse palliant à l’incapacité de la première d’être mère. Cette décision faisait disparaître avec elle le Code du Statut Personnel.
Ayant gagné les élections, « Ennahdha » s’apprête à former un gouvernement de coalition. Son secrétaire Hamadi Jebali s’est autoproclamé Premier ministre sans attendre une nomination légale qui lui serait revenue en tout état de cause en cas de changement gouvernemental, à l’occasion de l’installation de l’Assemblée Constituante.
Quelle sera la nature du régime choisi, présidentiel, parlementaire ou régime d’assemblée ?
Le régime d’assemblée aurait pu/dû être retenu en ce qu’il s’adapte davantage aux situations précaires. Il présentait les meilleurs atouts d’une transition politique : les pouvoirs étant détenus et exercés par une assemblée élue au suffrage universel direct. Une fois élue, l’assemblée aurait désigné en son sein des comités lesquels auraient exercé les fonctions exécutives et juridiques. Il convient de rappeler que notre futur Premier ministre avait opté il y a quelques semaines pour un régime de nature parlementaire. Or c’est le régime présidentiel qui vient d’être choisi par Hamadi Jebali. Et ce dernier annonce dans le même communiqué du 12 novembre des élections présidentielles et législatives.
Quel sera son programme social ?
Rached Ghannouchi pour Ennahdha, ainsi que ses deux associés probables Moncef Marzouki pour le Congrès pour la République (CPR) et Mustapha Ben Jaafar pour le Forum Démocratique pour le Travail et les Libertés (Ettakatol) ont annoncé le respect et la sauvegarde des acquis de la société. Or l’attitude d’Ennahdha concernant ce sujet reste ambigüe. Que Rached Ghannouchi promette de respecter toutes les clauses du Code du Statut Personnel et en garantisse la stricte application ce qui dans le passé n’a pas toujours été réalisé. Qu’il renonce à la restauration de la polygamie qui avait été remise en question en 1985 et que la LTDH avait combattue. Qu’il apporte enfin un démenti, ce que nous attendions, aux déclarations de son épouse qui estime que la polygamie est susceptible de corriger les effets néfastes de l’adultère et à celles de Souad Abderrahim qui s’en prenant aux mères et aux femmes célibataires leur imputait toutes les dérives sociétaires impies.
D’autre part l’ambition personnelle affichée des deux alliés pour la Présidence de la République et pour la Présidence de l’Assemblée porte atteinte à la Démocratie et affecte la portée de cette alliance.
La mixité, cette image de la modernité, acceptée depuis des décades par la société tunisienne vient d’être entamée de façon rampante. Après avoir imposé pendant les élections une double file dans certains bureaux de vote, certaines personnes réclament aujourd’hui des classes séparées dans les lycées.
La liberté vestimentaire qu’ils réclamaient pour eux par le passé n’est plus de mise pour les autres. Certains professeurs sont menacés par leurs élèves afin qu’ils adoptent une tenue venue d’ailleurs, étrangère à nos vêtements traditionnels.
Pour mériter sa réussite électorale et juger de son engagement à l'égard de la Démocratie et de l'État de Droit, Ennahdha devra dénoncer clairement ces comportements qui oppriment les citoyens et annoncer le respect plein et entier des acquis de la société civile ainsi que la séparation de l’état et de la religion..
En ce qui nous concerne, nous continuerons à l’avenir à réclamer et à défendre l’exercice de la Liberté et des Droits de l’Homme, de l’Egalité de tous les citoyens en droits et en devoirs, de la Parité et de la Mixité dans tous les domaines, éducatif notamment. Nous y veillerons avec vigilance.
Dr.Saadeddine Zmerli
Militant des Droits de l’Homme
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Tant d'amertume!! tant d'idées préconçues!!Maitre..je comprend votre déception mais je ne ne reconnais pas le démocrate que j'ai connu.
Pourvu que l’extrême droite française ne s'invite pas dans le débat sur l'avenir des tunisiens,toutes les appréhensions sont utiles et pour les gouvernants et pour les citoyens!
Le parlementarisme pur et dur risque de ne pas marcher chez nous ,suite aux blocages potentiels des partis. Les exmples ne manquent pas: pour ne citer que la IV ème république française qui voyaient les gouvernement se succéder sans pouvoir débloquer la situation politique du pays. Le régime présidentiel à l'ancienne,risque de nous faire revenir à des situations connues de dictature! Alors que fait on? La loi du juste milieu doit jouer ici: un peu de parlementarisme, un peu de présidentiel, mais un régime qui soit adapté à notre réalité, tout un évitant d'attribuer une très grande indépendance aux juges. Nous devons "mijoter" un système bien adaptable à nos mentalités et en accord avec nos traditions, en ayant toujours à l'esprit "que trop de liberté tue"!