La Bourse de Tunis a soif de papier !
«L’économie tunisienne a très longtemps vécu avec l’idée que l’on pouvait faire des projets à 30% de fonds propres et 70% de dettes. Ce qui fait qu’aujourd’hui les entreprises tunisiennes sont extrêmement endettées et le taux des crédits accrochés est si élevé que certaines banques tunisiennes ont elles-mêmes besoin de beaucoup plus de fonds propres». L’état des lieux que dresse M. Fadhel Abdelkéfi, directeur général de Tunisie Valeurs et président de la Bourse de Tunis, est à cet égard sans appel : sur les cinq dernières années, 4% du financement de l’économie nationale passe par le marché financier contre 96% pour les banques.
La capitalisation boursière tunisienne, soit 14 milliards de dinars, ne représente que 24% du PIB alors que ce taux frôle et dépasse parfois même les 60% du PIB dans des pays comme l’Egypte et le Maroc. Avec seulement 57 sociétés cotées, la Bourse de Tunis n’est représentative ni de la diversité du tissu économique ni de la structure du PIB. En perpétuant l’économie d’endettement, les banques ont peu diversifié leurs services. Leur produit net bancaire est encore substantiellement composé à hauteur de 60% à 65% de marge d’intérêt et le reste des commissions n’est pas lié à des opérations de restructuration de bilan.
Dégager de nouveaux horizons pour la finance
Le sentiment de révolte tranquille et de ressentiment contenu qu’il semble nourrir à l’égard de tout ce qui a pu entraver le développement et l’émergence d’une véritable économie de la finance directe pourrait facilement le faire passer pour un idéaliste… Surtout quand on sait le poids des habitudes, les vieux réflexes de facilité et d’opacité de la sphère des affaires et la résistance aux changements des acteurs du système bancaire. Or, il se trouve que le propos de Fadhel Abdelkefi procède directement de l’esprit de la révolution et de ses idéaux et renvoie foncièrement à ses valeurs fondatrices qui ont notamment pour noms : transparence et bonne gouvernance, avec pour corollaire et appliqués à la sphère de l’investissement et de l’entreprise, le principe de la séparation entre le management et l’actionnariat. Et ce sont ces mêmes valeurs, souligne M. Abdelkefi, qui vont rendre possible un changement profond au niveau du climat tunisien des affaires et dégager, ce faisant, de nouveaux horizons et ouvrir de belles perspectives à la finance directe en Tunisie.
M. Abdelkéfi attire par ailleurs l’attention sur les conséquences de la prolifération de l’économie d’endettement : un surendettement important et une sous-capitalisation des groupes tunisiens accentué notamment par la technique de portage. Et d’en appeler à une nouvelle synergie entre les banques et les acteurs de la finance directe. D’autant plus, rappelle-t-il, qu’une circulaire de la BCT existe et qui stipule qu’au-delà d’un certain niveau d’endettement, les entreprises doivent faire appel au marché boursier pour renforcer leurs fonds propres. Il y a aujourd’hui lieu de réactiver cette circulaire et de la rendre plus contraignante, estime le directeur général de Tunisie Valeurs qui soutient que la seule application de cette circulaire amènerait aujourd’hui à la Bourse 300 à 400 entreprises. Que l’on ne s’y trompe cependant pas, s’il charge de la sorte le secteur bancaire tunisien, M. Fadhel Abdelkéfi fait tout aussi volontairement et énergiquement son mea culpa en pointant du doigt les intermédiaires en Bourse pour le peu d’agressivité dont ils ont jusque-là fait montre en termes de démarchage des entreprises… même si les 3/4 d’entre eux sont des filiales de banques.
Pour ce qui est des perspectives de développement du marché financier tunisien, M. Abdelkéfi affiche un optimisme objectif allant jusqu’à dire qu’il est objectivement réaliste de voir la Bourse de Tunis forte à long terme d’environ 360 sociétés cotées et dépasser en termes de capitalisation le PIB tunisien. C’est que, dit-il, le marché financier tunisien est jusque-là demeuré sous le signe frappant du contraste avec, d’un côté, un cadre réglementaire, organisationnel et technique réellement au point et, de l’autre, point ou peu de bons grains à moudre. Le marché financier tunisien serait ainsi un grand moulin bien huilé sans grain à moudre. Et ce n’est nullement un problème de capacité d’absorption du marché financier et encore moins d’un problème de disponibilité de l’épargne. Pour preuve, appuie M. Fadhel Abdelkéfi, les SICAV obligataires – 6 milliards de dinars ! – portent quasiment la moitié de la dette publique intérieure de l’Etat tunisien.
En revanche, là où le bât blesse, c’est l’absence d’une grosse opération telle que Maroc Telecom qui avait servi de déclic pour le marché financier marocain. Aussi, le président de la Bourse de Tunis dit avoir dans ce sens insisté auprès du ministre des Finances pour que les biens mal acquis et les entreprises confisquées soient remis sur le marché par la voie d’un appel public à l’épargne.
Un geste symbolique en cette période post-révolution qui permettra d’enrichir substantiellement la cote de Tunis de même que le ferait du reste une mise sur le marché d’entreprises publiques quand elles ont besoin d’argent. Aujourd’hui, dit-il, la Steg a besoin de plusieurs centaines de millions , il serait bon qu’elle fasse au moins l’objet d’un emprunt obligataire et au mieux et idéalement d’une introduction en Bourse.
De plus, puisque que tout le monde reconnaît que notre système de sécurité sociale est à bout de souffle, il faudrait, ajoute-il, songer à passer à un système par capitalisation, du moins à combiner répartition et capitalisation. De fait, la demande institutionnelle est un ingrédient incontournable pour le développement de tout marché financier et, estime le directeur général de Tunisie Valeurs, il faudrait la développer aussi bien à l’échelle nationale qu’internationale.
Trois actions mériteraient à cet effet d’être entreprises
1. Promouvoir au sein des entreprises des plans épargne retraite,
2. Imposer aux compagnies d’assurances et aux caisses de retraite un ratio réglementaire qui les contraint à allouer un pourcentage minimum de leurs provisions mathématiques dans des investissements en portefeuille
3. Lever les restrictions à l’investissement étranger dans le capital des sociétés cotées.
En plus de la faiblesse de la demande institutionnelle, M. Fadhel Abdelkéfi juge regrettable que des groupes privés tunisiens, et non des moindres, demeurent encore en dehors du marché financier tunisien alors que la plupart de leurs fondateurs sont confrontés à la problématique de la transmission. Sans doute, dit-il, ya-t-il lieu de redorer le blason de la Bourse de Tunis qui souffre d’un terrible déficit d’image. Une bourse qui a longtemps été perçue comme étant un temple de la spéculation et un microcosme de riches et d’initiés alors même qu’elle est censée être une source de financement privilégiée de l’entreprise et de l’économie tunisienne et l’exemple même de la transparence. Charge à nous tous , conclut-il, de réhabiliter la Bourse de Tunis et de restaurer la confiance.
Integra Partners en bref
Une seule équipe… plusieurs métiers de la finance «Une boutique de finances». C’est ainsi que M.Fadhel Abdelkéfi désigne Integra Partners, un groupe financier gérant plus de 1 milliard de dollars et présent aussi bien à Tunis, Alger et Casablanca qu’en Afrique subsaharienne. Le groupe est le fruit du rapprochement entre Tunisie Valeurs, société spécialisée dans l’intermédiation boursière, la gestion d’actifs et l’ingénierie financière, et Tuninvest Finance Group (TFG), spécialisée dans le capital investissement. Tunisie Valeurs compte aujourd’hui plus de 800 millions de dinars d’actifs gérés aussi bien sous forme de gestion collective (4 SICAV et 7 FCP) que de gestion individuelle.
S’agissant de Tuninvest Finance Group, la société gère en tout 11 fonds de Private Equity dont trois dédiés au Maghreb et trois autres à l’Afrique subsaharienne. En effet, et dès 2004, TFG est partie à la conquête du continent africain et connaît, depuis, un vif succès dans plusieurs pays, même les plus difficiles (Côte d’Ivoire, Nigeria, Ghana…). Le dernier-né des fonds de TFG est ‘Maghreb Private Equity Fund III’ pour lequel l’équipe a pu mobiliser, dans une conjoncture extrêmement difficile, un premier closing de 96 millions d’euros, portant ainsi ses actifs sous gestion à plus de 800 millions de dinars. Une prouesse en soi. «Ils ont un bon track record», explique non sans fierté Fadhel Abdelkefi. En clair, à chaque création d’un nouveau fonds par Tuninvest, qui est aujourd’hui à sa troisième génération de levée de fonds maghrébins, l’on retrouve toujours les mêmes investisseurs. Preuve que Tuninvest leur a assuré un bon retour sur investissement.
Il faut dire que les fonds dont les actionnaires sont des investisseurs institutionnels et des agences et institutions de développement international (SFI, BAD, AFD …) sont gérés par des locaux et avec une expertise locale. « Nous sommes actionnaires d’une cinquantaine d’entreprises africaines, principalement des PME, avec des équipes en Tunisie, au Maroc et en Algérie et cinq bureaux en Afrique. Plusieurs des entreprises où nous avons investi sont devenues des leaders dans des secteurs d’activité aussi multiples que variés : finance, agroalimentaire, pharmaceutique, télécom, IT, santé… », indique M. Abdelkefi.
Tunisie Valeurs a, pour sa part, tout naturellement subi au cours des neuf derniers mois ce que tous les intermédiaires en Bourse avaient subi : une baisse de l’indice boursier et une chute des volumes en Tunisie ou au Maroc où elle est, sur 16 intermédiaires en Bourse, le seul intermédiaire étranger avec une licence marocaine. «On a été doublement impacté négativement mais on résiste. La gestion d’actifs a même progressé et nous maintenons une part de marché supérieure à 20% en Tunisie. Nous comptons renforcer notre réseau et le porter à neuf agences avec l’ouverture de deux nouvelles agences à Monastir et à Kélibia, parallèlement à la rénovation de nos agences à Nabeul et à Sousse».
C’est donc dans la sérénité que le groupe Integra a vécu les derniers mois, avec surtout une confiance en l’avenir. « On considère que c’est une année difficile pour le pays, mais on garde le cap. On est très optimiste et prêt à consentir des sacrifices au regard de ce que nous avons aujourd’hui gagné de financièrement inestimable: un climat d’affaires profondément métamorphosé et des énergies qui vont, dans tous les domaines, se libérer et pouvoir s’épanouir ». Ce sont d’ailleurs ces énergies qui font le groupe Integra au quotidien et qui, à y regarder de plus près, sont à la base de ses performances dans une conjoncture pour le moins difficile. Un groupe de 180 personnes, dont 40 associés, moyenne d’âge la trentaine, diplômés, sans prétention aucune, de prestigieuses écoles et universités aussi bien tunisiennes qu’étrangères, leur principal atout est une formation aiguisée au contact de la sphère de l’entreprise et de la finance. Ici, le mot «partnership» prend tout son sens et la synergie bien réelle entre les différentes équipes d’Integra Partners. C’est peut-être aussi à cette culture que fait allusion M. Fadhel Abdelkéfi en parlant d’une boutique de finances.
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Espéront dans un avenir rapproché que la Tunisie (institutions bancaires) seront ouvert à la monaie international pour les transactions courantes et pour le tourisme.