Magistrats : Un profond malaise
Le corps de la magistrature est dans tous ses états. Alors que l’Association des Magistrats Tunisiens (AMT) tenait dimanche son conseil national aux fins d’élaborer une vision claire qui servira à définir l’action de l’instance provisoire appelée à remplacer le conseil supérieur de la magistrature, des incidents éclataient devant le tribunal de première instance de Jendouba. Qualifiés par le Syndicat des Magistrats Tunisiens « de tentative destinée à faire pression sur le pouvoir judiciaire pour entraver le processus de transition démocratique », ils accentuent le sentiment de malaise ressenti par les magistrats.
Ils ont enlevé de leur voiture le macaron de magistrat, jadis fièrement apposé sur le pare-brise, et ne déclinent pas facilement leur profession. Ils se sentent abandonnés de toutes parts, ils sont la cible parfaite de toutes les attaques et au centre d’enjeux politiciens. Ils refusent l’amalgame que certains s’efforcent d’ancrer entre une minorité de corrompus et une large majorité d’intègres et de compétents et cherchent à jouer pleinement leur rôle à l’avant-garde de cette révolution qu’ils avaient appelée de tous leurs voeux. Voyage au coeur d’une magistrature lourdement éprouvée
« C’est comme si vous ouvriez largement les bras pour accueillir chaleureusement celui que vous avez tant attendu, tant espéré et qu’au lieu de vous tomber dans les bras, il vous toise d’un regard méprisant et vous désigne à la vindicte publique !». C’est la triste image que choisit A., magistrat, pour exprimer le grand désenchantement de ses pairs au lendemain de la révolution. « Des années durant, confie-t-il amèrement, nous avons attendu cet affranchissement, tant nous subissions les pressions de toutes parts, aspirant à une réelle indépendance de la justice, à la fin de l’arbitraire à notre encontre et à l’amélioration de nos conditions de travail et de rémunération. Et voilà que nous sommes tous mis dans le même sac, traités de corrompus, désignés à la vindicte publique. Rien qu’à voir les tribunaux incendiés, les bureaux saccagés, les magistrats menacés, et l’ensemble du corps brocardé à longueur de média, vous pouvez réaliser la détresse qui est la nôtre ! »
Le circuit judiciaire sécurisé mis en place par Ben Ali
« La corruption, parlons-en, nous lance A. Vous croyez que Ben Ali avait besoin de centaines de magistrats pour exercer sa tyrannie. Il lui a suffi de mettre en place un circuit fermé bien sécurisé, avec un nombre réduit d’intervenants, par lequel transitaient les affaires concernées, dès l’ouverture de l’instruction, jusqu’à la cassation, s’il le faut. Et le tour était joué.
C’était ça la réalité de son système. Maintenant, outre ceux qui y étaient impliqués et dûment reconnus coupables, il n’est pas exclu que pour d’autres affaires, certains magistrats véreux soient démasqués. Qu’on en remette les preuves entre les mains de la justice pour qu’elle se prononce en toute sérénité, loin du vacarme de la surenchère et de la vengeance. Ceux qui seront reconnus coupables doivent assumer la responsabilité de leurs forfaits sans salir l’ensemble des magistrats. D’ailleurs, combien pourraient-ils représenter sur les 1.800 magistrats ? Au mieux, 5 à 10 % et non l’inverse ».
Notre source s’insurge avec une réelle indignation contre les fameuses listes colportées ici et là, parlant de 214 noms et plus, ou des déclarations fantaisistes portant à 80% le taux de magistrats corrompus. « C’est impensable et inacceptable. Je n’aime pas le mot « assainissement de la justice », qui renvoie aux égouts et suscite le dégoût. Parlons de réforme, demandons des comptes, mais ne jetons pas l’opprobre sur tous. L’immense majorité des magistrats est intègre. La preuve, c’est qu’ils placent au premier rang de leurs revendications, l’indépendance de la justice et l’immunisation des magistrats contre toute forme de pression et de subordination ».
Rendre pénale toute tentative de pression ou d’influence sur un magistrat
La présidente du Syndicat national de la magistrature, né après la révolution, Mme Raoudha Laabidi Zaafrane, le confirme. «C’est l’axe majeur du nouveau statut de la magistrature que nous finalisons ces jours-ci, déclare-t-elle à Leaders. Nous tenons à pénaliser toute tentative de pression et d’influence sur un magistrat, par quelque forme que ce soit et quiconque en est l’auteur, et la rendre passible d’une lourde peine de prison. Nous entendons mettre en place tous les leviers d’indépendance et soustraire le magistrat de toute velléité, qu’il s’agisse de sa promotion, de son affectation ou de sa rémunération. »
La question de la rémunération est d’ailleurs importante. « Sur la grille internationale des salaires servis aux magistrats, ajoute-t-elle, la Tunisie vient en avant-dernière position. Seul le Bangladesh est derrière elle. C’est vous dire l’ampleur de la situation ».
Mais, il y a aussi les questions des mutations et promotions, deux leviers jadis utilisés en représailles ou en récompense, à la mesure de la rébellion ou de l’allégeance. «Certains magistrats, précise Mme Laabidi Zaafrane, ont dû changer de ville chaque année, de quoi perturber leurs enfants dont la scolarité s’en ressent immanquablement et déstabiliser leurs familles.
Quant aux promotions, certains stagnent dans leur grade depuis 10 ou 15 ans. D’ailleurs, parfois, ils renoncent à adresser une demande, légitime, de promotion. Tout cela doit prendre fin. Dans le nouveau statut, nous demandons que toute mutation ne puisse être décidée qu’avec le consentement de l’intéressé et que la promotion soit automatique. Jusque-là, un magistrat ne pouvait opposer un recours contre une décision prononcée à son encontre qu’auprès de l’Administration, sans pouvoir exercer son droit devant le Tribunal administratif. C’est là aussi une aberration que nous n’acceptons pas et nous exigeons le droit de recours auprès du Tribunal administratif ».
Une galère au quotidien
Quand on écoute notre source A. raconter son vécu au quotidien de magistrat, on ne peut que tomber des nues quant aux conditions éprouvées. Les exemples sont multiples. D’abord, ceux du dénuement effarant de la justice. Obtenir un stylo, du papier et des fournitures de bureau de première nécessité relève du parcours du combattant. Les magistrats sont entassés à deux ou trois dans un minuscule bureau. Quand l’un d’eux doit procéder à une audition, souvent les autres sont obligés de laisser la place et aller déambuler dans la salle des pas perdus.
Un mandat d’amener dûment délivré peut rester longtemps sans réponse, d’autant plus que parfois le talon ne revient pas, ce qui gèle le dossier. Sans parler de l’état des lieux, de l’indisponibilité en nombre suffisant d’assistants judiciaires, de l’absence d’une ligne téléphonique directe à la disposition des juges d’instruction, contraints de passer par les standards souvent surencombrés, sans parler des autres difficultés endurées au quotidien, notamment la sécurité des tribunaux.
Pourtant, ils y croient. Accéder à la magistrature relève souvent de la réalisation d’un rêve nourri depuis l’enfance et l’accomplissement d’une ambition soigneusement cultivée. Le parcours académique est long puisqu’après les études de droit, il faut réussir le concours d’entrée à l’Institut supérieur de la magistrature et en obtenir le diplôme, ce qui n’est pas à la portée de tous, tant la sélection est rigoureuse. Mais, la détermination est forte : endosser la robe et la toque pour rendre justice n’est pas seulement une profession, mais une vocation et surtout une véritable mission aux nobles et hautes valeurs. C’est d’ailleurs sur cet attachement aux valeurs qu’insiste le plus l’immense majorité des magistrats.
Une première concession arrachée, la mobilisation paye
Il fallait assister à leur réunion, dimanche 18 décembre, en assemblée générale convoquée par leur syndicat pour en être édifié. Près de 350 magistrats venus de tous les parquets de Tunisie ont afflué tôt le matin à la Cité des Sciences pour y prendre part activement, poursuivant leurs débats jusqu’à la fin de l’après-midi bien que nombre d’entre eux aient dû reprendre la route pour de longues distances. Laissant de côté leurs opinions politiques, ils s’étaient concentrés sur deux points essentiels. D’abord, la nouvelle instance créée par le décret-loi relatif à l’organisation provisoire des pouvoirs publics, et devant remplacer l’ancien Conseil supérieur de la magistrature; ensuite, l’examen du projet du statut de la magistrature, soumis à tous les magistrats du pays, qu’ils soient membres du syndicat ou pas.
Tout au long des travaux de l’Assemblée nationale constituante, en commission, les magistrats avaient multiplié les démarches pour apporter des changements significatifs sur le projet initial. Leurs revendications portaient essentiellement sur la création directe par un article au sein même du décret-loi de cette instance, sans devoir passer par une loi spécifique, ce qui pourrait la retarder, la non-présidence de cette instance par le président de l’Assemblée, l’élection directe de ses membres et la dissolution du conseil supérieur du Tribunal administratif, présidé par le Premier ministre. S’ils n’ont pu obtenir gain de cause sur l’ensemble de leurs demandes, ils ont pu, grâce à la forte mobilisation, obtenir quelques changements, notamment pour ce qui est de la présidence de la nouvelle instance. Reste la question cruciale à propos de laquelle les magistrats ne sauraient transiger : le mode de choix des membres de cette instance, sur laquelle les Constituants ne se sont pas prononcés.
«Les élus de la Nations sont les mieux placés pour trancher nettement, déclare à Leaders un magistrat. Laisser les choses dans l’amalgame prête à équivoque. Mais, ce qui nous peine le plus, c’est l’argumentation développée par certains contre le principe de l’élection, faisant valoir des craintes quant à la sincérité de ces élections et leur risque d’influence. C’est comme si les élus n’avaient pas confiance dans les magistrats, leur maturité et leur sérénité, alors qu’ils ont quotidiennement sur les bras l’obligation de rendre justice en toute indépendance et équité ».
Néanmoins, la présidente du Syndicat national des magistrats garde espoir. «La large adhésion au syndicat, fort aujourd’hui de 1.300 membres, parmi les 1.800 magistrats que compte le pays, la concentration sur les revendications effectives, loin de toute politisation, la mobilisation et l’esprit constructif de tous constituent des atouts majeurs. Il est vrai qu’on aurait pu gagner du temps en créant directement cette nouvelle instance en la fondant sur des bases plus solides, mais nous comptons nous y attacher. Tout comme pour le nouveau statut qui sera bientôt finalisé et transmis au gouvernement.
Ce qui est certain, c’est que les magistrats sont aujourd’hui en première ligne pour défendre leur honneur et leur indépendance, pleinement investis dans le rôle qui est légitimement le leur, retrouvant leur place à l’avant-garde des forces de la transition démocratique et des institutions pérennes de la Tunisie nouvelle. Nous savons que rien n’est jamais acquis d’avance, mais nous nous y employerons de toutes nos énergies».
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Il faut dire que les jeunes qui ont mené cette révolution ont libéré aussi bien les juges que les journalistes et même les politique. Et les réclamations des révolutionnaires sont la liberté, la dignité, le travail et la justice sociale ainsi que la justice tout court. J'espère personnellement que les six cent juges qui restent rejoignent leur syndicat afin de garantir aux tunisiens une justice équitable.
les perturbateurs qui tentent de déstabiliser le corps de la magistratures, il faut faire une analyse approfondit et serner leur provenance et agire en conséquence, à savoir tous ceux qui sont mélés de prret ou de loin à cette pértrbation doivent mis au fraic quelque soit son rang, Il est trés propable que un petit noyau nostalgique de l'encien régime qui ont du mal à accepterla démocratie, veulent semer la zizanie et déstabiliser le corps de la magistrature qui sont dans leur trés grande majorité des professionels et plein de conscience.