Slim Ennaceur et ses 14 oriflammes de la liberté et de l'espoir
«C’est tout le patrimoine commun tunisien qui s’exprime dans ces drapeaux aux couleurs réelles de la Tunisie».
Comme une ode à la révolution, Slim Ennaceur, 47 ans, scénographe et designer, a hissé, en commémoration du premier anniversaire, quatorze oriflammes hautes de 5 mètres. Installées au carrefour de La Marsa, elles jaillissent, nous dit-il, du fond de la nuit de l’oppression comme les clameurs des manifestants qui ont bravé le mur de la peur pour réclamer la dignité. Quatorze, mais peut-être 28 ou 42 l’an prochain. Des oriflammes qui se multiplient au fil des ans, se démultiplient au gré des vents. Une scénographie en mouvement, une chorégraphie de voiles hissées en drapeaux, hymne à la matière, gloire à la couleur.
« J’ai choisi de partager mon œuvre à travers une exposition de rue itinérante, explique Slim, qui partira pour un voyage à travers tout le territoire tunisien, du Sud au Nord, du désert à la plaine de Mejerda, des hauteurs de l’ouest au littoral. Des voiles comme pour voyager au gré du vent et de l’inspiration. Calligraphie, soie, chapelé, coquilles, fil d’or, cuivre et vert soufflé… la matière s’impose par sa beauté et notre créativité nous donne notre raison d’exister. C’est tout le patrimoine commun tunisien qui s’exprime dans ces drapeaux aux couleurs réelles de la Tunisie. Loin de toute fixation nostalgique, ce patrimoine recomposé assume sa modernité en offrant au spectateur des images qui abolissent les frontières du cadrage ».
Carthaginois de naissance, plongeant ses gènes au tréfonds des civilisations, Slim Ennaceur éprouve dès son jeune âge un réel engouement pour la conception d’espaces et le design. C’est ce qui le pousse à suivre des cours d’architecture d’intérieur et d’histoire de l’art à l’Institut technique d’art, d’architecture et d’urbanisme de Tunis. Un stage de décoration sur le film de Roman Polansky «Pirates» lui permet d’être en contact direct avec des créateurs de décors et des chefs d’ateliers italiens. Découvrant le métier de scénographe, il s’inscrit à Rome à « l’Institut d’Etat Roberto Rossellini».
Diplômé en scénographie en 1989, il travaille en Italie chez un architecte.De retour en Tunisie, il crée des décors dans le désert tunisien pour la R.A.I, Canal 5 et Antenne II. En 1991, on lui confie la scénographie dans l’amphithéâtre romain d’El Jem, la ville natale de son père, Si Mohamed Ennaceur, pour le concert de Barbara Hendricks. Il ouvre la même année son premier bureau d’études, regroupe plusieurs professionnels de l’architecture, de la décoration et du design et réalise des projets d’intérieur (villas de maître et hôtels de luxe).
En 1996, il monte «Ateliers de Décoration» qui lui permet d’inclure dans son équipe plusieurs artisans : peintres, forgerons, menuisiers et sculpteurs. Slim dessine et fait réaliser des luminaires, des objets de décoration et des meubles pour ses propres projets et suit en parallèle la direction technique et artistique d’un atelier de marbre où il crée ses premiers revêtements à l’ancienne. Passionné par le travail du marbre et de la pierre.
A la recherche des réminiscences
Son itinéraire professionnel et culturel devait incontestablement devenir une source d’inspiration à travers laquelle il affirme un style personnel où se conjuguent l’antique et le contemporain.
Avec Les Ateliers du Sud, Slim réalise, pour la décoration de l’hôtel Thalassa, des tapis de sol et des fresques murales en mosaïque; il concrétise finalement son objectif et trouve le fil conducteur de son parcours à travers les plus importantes villes romaines de la Méditerranée, Rome, Carthage, El Jem... La matérialisation d’un savoir-faire local, la maîtrise des techniques anciennes, l’usage de la pierre et du marbre ainsi que d’autres matériaux de récupération orientent ses créations vers un travail de reconversion et de réutilisation.
Aujourd’hui, Slim regroupe plusieurs techniciens pour réaliser ses projets : artisans-mosaïstes, sculpteurs, céramistes, architectes et décorateurs appartenant à des horizons divers. Travaillant avec le «passé» chargé de références multiples et le «présent» aux exigences en pleine mutation, Slim puise son inspiration dans le pays même, son histoire, ses modèles et son imaginaire. Sa démarche en tant que créateur est une recherche de toute réminiscence des traces du passé.
Luminaires, plateaux de table en marqueterie de marbre ou en céramiques anciennes, fresques et frises en mosaïque, objets divers en pierre ou en fer forgé sont des créations basées sur un savoir-faire et des matériaux locaux. Les matériaux anciens prennent place dans un quotidien contemporain pour mieux répondre aux exigences du consommateur d’espace et de design : certains morceaux oubliés de l’histoire peuvent ainsi continuer à vivre avec nous et retrouver un usage.
Ses oriflammes, Slim en fait un signal pour « relever les défis et mettre de la couleur dans la matière grise » Pour lu i, «le Printemps tunisien est de retour, toujours en avance, chargé de revendications, mais néanmoins conscient de ses atouts, il saura ainsi refleurir à chaque saison, l’art et la création seront de nouveau l’expression du nouveau Printemps arabe ». Un brin philosophe, mais toujours amoureux du patrimoine, il aime à dire : «Notre terre, source de richesses souvent négligées, sera de nouveau notre source d’inspiration, pourquoi réinventer ce qui n’existe pas ? Attelons-nous à actualiser nos richesses, soyons conscients de ce qui est à notre portée et préservons-le pour mieux le transmettre à nos générations futures. Ne gardons du passé que ce qui est présent car le Présent c’est déjà l’Avenir».
Ce qui est merveilleux avec Slim Ennaceur, c’est que son discours ne se limite pas aux mots: il s’exprime avec des formes, des signes et des ambiances qu’il sait créer. La pensée trouve alors son esthète.
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Que Dieu le prenne dans sa grande miséricorde...