Wafa Makhlouf Sayadi Pourra-t-elle relancer le CJD?
Les Jeunes dirigeants (UTICA) sauront-ils s’imposer en acteurs significatifs, utiles et écoutés dans ce processus de relance économique et de transition démocratique ?
C’est le grand défi que se donne la nouvelle équipe du CJD, élue le 12 novembre dernier, portant à sa présidence une battante, Wafa Makhlouf Sayadi. Etabli depuis 14 ans, en structure interne émanant de la centrale patronale, ce « mouvement » qui revendique jusqu’à 500 adhérents et 13 représentations régionales (sur 24 gouvernorats) se retrouve à la croisée des chemins.
Pour avoir banni toute langue de bois et osé aborder des sujets alors jugés tabous tels que la corruption, le commerce parallèle ou la passation des marchés publics, il a gardé, après la révolution, la cohérence de ses rangs et la confiance de ses membres. Mais, la demande de mutation profonde se fait ressentir de plus en plus. « Ne serait-ce que pour rompre à jamais avec cette image de fils et filles à papa que certains médias veulent nous coller à la peau », souligne avec humour l’un des dirigeants, avant d’ajouter plus sérieusement : « mais, nous avons beaucoup à faire ! »
Wafa Makhlouf Sayadi le sait parfaitement, pour avoir accompli elle-même le parcours du combattant. Titulaire d’une maîtrise en Finance, mère de deux enfants, alors en bas âge, elle se décide à créer sa propre entreprise. Sans trop chercher, son choix se portera sur le même créneau que celui occupé par son père, Si Naceur, militant destourien de Monastir, converti, depuis la rupture avec « le changement », dans le balayage des rues, nettoiement, maintenance des espaces verts, enlèvement des ordures et, pour faire moderne, les services écologiques et de développement durable.
Résidente à Hammam Ech-Chott, au Sud de la Capitale, Wafa essayera de faire ses premiers pas dans cette localité, en s’intégrant dans un programme financé par le fonds d’emploi des jeunes, le 2121. Contre vents et marées, elle parvient en 2003 à constituer son dossier, monter le projet sous la dénomination de Proclean, et postuler pour un contrat avec la municipalité. A la tête d’une petite équipe, elle s’attaque à l’exécution du contrat, découvrant non sans stupéfaction les méandres de l’administration, ses procédures et ses «coutumes».
Rien ne vaut le pair
Pour bien s’intégrer dans le paysage local, elle rejoindra la section de la Jeune chambre économique, l’un des rares espaces les moins pollués par l’ex-RCD. Depuis sa prime jeunesse, Wafa était en fait très active au sein de la Jeunesse Scolaire et le mouvement associatif, participant à diverses manifestations. Elle espérait donc s’accomplir dans l’action citoyenne au sein de la JCE et nouer des relations avec d’autres jeunes comme elle. Contrainte d’aller défendre ses dossiers auprès du gouvernorat de Ben Arous, elle a eu l’agréable surprise de tomber sur un jeune nouveau secrétaire général, qui lui réserva un accueil attentif et lui proposa d’emblée de rejoindre le CJD où elle pourra bénéficier d’un meilleur accompagnement pour le développement de son entreprise. Et c’est ainsi qu’elle y adhérera en 2005, avant d’en devenir la trésorière, au vu de ses compétences en finance.
« En fait, nous dit Wafa, le jeune promoteur d’entreprise est sollicité de partout, avec tant de structures et de mécanismes mis en place. Centres d’appui et d’encadrement, Business Centers, pépinières d’entreprises, incubateurs, BTS, BFPME, technopoles et autres : la liste est longue, l’efficience reste parfois à démontrer. Au moment crucial, il se trouve souvent seul, avec uniquement beaucoup de promesses ».
Un autre aspect est important, ajoute-telle : dans ces structures, ses interlocuteurs sont pour la plupart des fonctionnaires qui n’ont jamais entrepris eux-mêmes la réalisation d’un projet, ni pris de risque et connu cette rage aux tripes qui est notre lot quotidien. D’où l’importance de se retrouver avec des pairs qui ont affronté tant de problèmes et fini par trouver les bonnes solutions pour les vaincre. Ce relationnel peer-to-peer est l’essence même du CJD ».
Rester ou quitter : l’essentiel est de se faire écouter
Alors comment aller de l’avant ? Pour Wafa Makhlouf Sayadi, les choix sont clairs. « D’abord, précise-t-elle, maintenir l’indépendance politique au sein du CJD et se consacrer uniquement à la création et au développement de l’entreprise. Les voies d’action sont multiples, mais les priorités seront un travail approfondi sur l’intelligence économique, l’environnement des affaires, la culture d’entrepreneuriat avec cette notion fondamentale de gouvernance et le dispositif d’appui et d’incitation à renforcer sans cesse. Chacun de ces thèmes est, en fait, un véritable pilier autour duquel s’articulent programmes et projets ».
Mais, il y a aussi le rapport à l’UTICA. Rester au sein de la centrale ou la quitter? Les deux tendances reviennent en ce moment sur le tapis, même si de nombreuses voix s’élèvent pour recommander le maintien de ce lien ombilical. Le CJD s’est toujours gardé d’interférer dans les tiraillements internes qui avaient secoué la direction de l’UTICA, au lendemain de la révolution. Certes, certains de ses dirigeants avaient participé aux événements survenus, mais précise Wafa, ils l’avaient fait à titre personnel et guère au nom du CJD.
La question aujourd’hui pour le CJD, s’il confirme son intégration au sein de l’UTICA, c’est d’en fixer les contours. Plus explicitement, et à la veille du XIXème congrès prévu ce printemps, il s’agit de convenir d’un statut approprié dans les différentes structures et instances. A la faveur de la refonte des textes de la centrale patronale, le CJD doit pouvoir y inscrire la place qui lui reviendra dans les unions régionales, le conseil national et le bureau exécutif. Les jeunes loups arrivent, diront certains, mais en fait, le CJD n’est-il pas aussi la pépinière des futurs dirigeants patronaux.
A 20 heures, Wafa est encore au siège du CJD et il lui faudra au moins une demi-heure pour arriver chez elle à Hammam Ech-Chott, retrouver son mari, enseignant universitaire, et ses deux enfants, Sélim (15 ans) et Elyès (10 ans). Mais, ce n’est pas tout. Elle doit aussi s’occuper de son entreprise, appeler ses principaux collaborateurs pour s’assurer de la bonne exécution du travail et de l’avancement de la prospection de nouveaux marchés. Ce soir-là, elle est contente : Proclean vient de remporter un nouveau contrat. Hamdoullah. Mais, il va falloir assurer, au travail, au CJD et auprès de sa petite famille. Wafa est une vraie battante !
- Ecrire un commentaire
- Commenter