Les secrets d'une civilisation
La mythologie grecque nous est parvenue grâce à un ensemble considérable de textes, dont les plus anciens sont ceux des épopées d'Homère, l’Iliade et l’Odyssée, ainsi que ceux des poèmes d'Hésiode. Il ne s’agit pas là de textes sacrés mais plutôt d’œuvres littéraires proposant, une vision parmi d'autres sur la création du monde et sur les généalogies divines. Les legs comprennent aussi des légendes, qui sont vues comme des véhicules de valeurs mais aussi comme des métaphores, qui offrent une symbolique profonde, permettant de mieux comprendre les forces occultes qui régissent notre monde.
Les contes et récits des titans tels que Prométhée, Épiméthée et Atlas, Les sagas des divinités tels que Zeus le souverain des dieux de l’Olympe, d’Hélios le dieu du soleil, d’Apollo le dieu de la musique ainsi que les légendes comme celles du Minotaure, la créature mi-homme mi taureau, enfermée dans le terrible labyrinthe, d’Héraclès avec sa force surnaturelle et de la splendide et captivante Hélène qui a provoqué la guerre entre Sparte et Troie avec ses héros Achille et Hector, n’ont rien à envier aux histoires fantastiques des temps modernes comme celles d’Harry Potter, du seigneur des anneaux, d’Avatar ou même du Père Noël, qui font briller de nos jours les yeux des petits et des moins petits.
Il est indéniable que la mythologie grecque était un facteur déterminant pour ne pas dire le fondement spirituel et intellectuel, qui a façonné la pensée européenne et par conséquent la civilisation occidentale à travers les âges. La Grèce antique est considérée comme le berceau de l’Europe moderne, où se sont développés des concepts qui nous paraissent aujourd’hui encore, d’une pertinence et d’une actualité frappantes. Je citerai à titre d’exemple la démocratie et les jeux olympiques.
L’idée du vol de l’être humain a vu son apparition dans la mythologie grecque, avec la légende de Daedalus et de son fils Icarus, quelques 750 ans AJC. Cette idée n’a pas cessé d’être entretenue depuis, jusqu’aboutir au XXème siècle à l’avènement et au développement fulgurant de l’aérospatial, qui est certainement l’un des prodiges de l’industrie et de la technologie des temps modernes.
Le récit de la légende de Daedalus et d’Icarus est une symbiose étrange entre l’histoire et le Mythe. Daedalus était un sculpteur, architecte et inventeur hors pairs. Fait prisonnier par le Roi Minos, il a dû lui concevoir son palais de Knossos ainsi que le labyrinthe mythique du grand Minotaure. Pour les enfants du Roi Minos, il a également fabriqué des poupées mécanisées en bois pour leur servir de jouets. Même des manuscrits égyptiens mentionnent une personne, qui lui est semblable et qui serait impliquée dans quelques conceptions de l’Egypte ancienne. Son mérite le plus impressionnant reste cependant, d’avoir réussi le premier vol avec la seule force humaine. En effet et pour fuir la subjugation de Minos, Daedalus avait construit une paire d'ailes pour s'échapper avec son fils Icarus, de Crète à destination d’Athènes. Malheureusement il a dû finir le voyage tout seul car son fils, jeune, curieux, insouciant et nonchalant qu’il était, s’était trop rapproché du soleil, qui a fini par bruler ses ailes et faire fondre la cire qui collait les plumes, provoquant sa chute fatale.
Plus de vingt-sept siècle plus tard c'est-à-dire le 23 Avril 1988, mais toujours et encore sur les traces de la légende de Daedalus et d’Icarus, une équipe d'étudiants du prestigieux Massachusetts Institute of Technology - M.I.T., qui a conçu un aéroplane ultra léger à pédales, pesant 32 Kilogrammes et baptisé ‘Daedalus 88’, a réussi à établir un nouveau record mondial de vol à puissance motrice humaine. Le cycliste professionnel grec Kanellos Kanellopoulos, est parvenu en 3 heures et 54 minutes, aux commandes de ce fleuron de la technologie aérospatiale, à traverser la mer Egée et couvrir la distance de 118 Km séparant la Crète de l’île Santorini à bord de cette machine volante, actionnée avec la seule force musculaire de ses jambes. En arrivant sur la plage de l’île, un tourbillon d’air a fini par mettre à mal l’aile de l’avion, qui n’a pas tardé à s’écraser, nous rappelant le sort qui était réservé à Icarus !
La capacité de la civilisation occidentale de façonner à partir de mythes, de fables, de superstitions et de croyances païennes, un esprit capable de développer, 27 siècles après la légende du vol de Daedalus et d’Icarus, l’industrie de l’aérospatial qui, rien qu’en Europe génère un chiffre d’affaires annuel d’environ 130 Milliards d’Euro et fait travailler directement quelques 500 000 salariés, est toute à fait remarquable et peut être considérée comme l’un des secrets de cette civilisation, qui a prévalu pendant si longtemps. Cette industrie de haute technologie et à la pointe de la connaissance humaine est justement la consécration de l’ancien rêve de l’Homme, de défier les airs et les cieux, qu’il s’est transmis de génération en génération, à travers les âges, jusqu’arriver à le réaliser. A l’instar des organismes biologiques qui ont survécu les grandes extinctions des espèces, la civilisation occidentale doit sa longévité en particulier à sa capacité de défier le temps en se développant par le biais de mutations spirituelles et intellectuelles, qui lui permettent de devenir plus forte et mieux adaptée dans la continuité historique et sans fractures identitaires. Les occidentaux ont réussi toujours, en dépit d’une histoire tumultueuse et de déboires récurrents, à concilier l’ancien avec le nouveau, le superstitieux avec le rationnel et le spirituel avec le temporel.
Il existe une pléiade d’exemples qui entérinent cette thèse, relative à la continuité intellectuelle et culturelle dans la civilisation occidentale. Au Moyen-âge, nombre de cathédrales gothiques, érigées par les fameux bâtisseurs de cathédrales, souvent apparentés aux Francs-Maçons, comportent sur le sol ou sur les murs, des labyrinthes inspirés du labyrinthe de Crète. Lorsque les Américains au début des années soixante du siècle dernier, voulaient conquérir la Lune, ils ont choisi de baptiser leur programme spatial au nom du dieu grec Apollo. Les Hackers, à la fin du XXéme siècle qui cherchaient un nom pour une nouvelle classe de virus informatiques, capables de s’infiltrer malicieusement dans les ordinateurs à l’insu de l’utilisateur, n’ont pas hésité à l’appeler ‘cheval de Troie’ en allégorie au cheval en bois rempli de soldats, que les spartiates, incapables de franchir par la force, les remparts de Troie et de vaincre ses archers légendaires, ont réussi à l’introduire par la ruse dans la cité pour porter de la sorte un coup fatidique aux Troyens et de seller ainsi le sort du royaume de Priam.
En examinant objectivement et sans parti pris, les préceptes et les valeurs de notre patrimoine culturel arabo-musulman, on pourra facilement constater qu’ils sont de loin plus conciliables avec le rationnel et la logique humaine, que ne le sont les légendes de la mythologie grecque. En dépit de cette constatation factuelle, nos érudits, nos penseurs, nos politiciens et nos intellectuels sont malheureusement encore dans l’incapacité de trouver le fil conducteur qui nous permet de concilier nos constantes identitaires avec l’esprit qui nous permet de progresser. Ils n’arrivent toujours pas à trouver la formule magique qui nous permet de conserver nos racines identitaires, profondément ancrées dans l’histoire et d’en puiser la force spirituelle nécessaire pour pouvoir bâtir notre avenir mais sans pour autant rester piégés dans le passé. D’un côté les ultraconservateurs nous inculquent, moyennant des exégèses des textes sacrés, qui le moins qu’on puisse dire, restent discutables voir contestables, que tout ce qui nous parvient de l’occident est immonde et qu’il faut le combattre pour nous assurer de notre pureté spirituelle et du salut de nos âmes. Ils ne manquent pas cependant, à l’annonce de chaque percée scientifique venue de l’occident, d’insister que cette vérité scientifique a bel et bien été mentionnée dans les versets de notre noble Coran, laissant bien évidement la question ouverte, sur la cause de notre incapacité de faire nous-mêmes cette découverte et de laisser ainsi les honneurs pour les occidentaux ! Les modernistes et autres, d’obédiences idéologiques apparentées, croient de l’autre côté que pour être sur la voie de la modernité et pour pouvoir nous développer, on n’a d’autres choix que de recourir à l’aliénation culturelle pure et dure, de reprendre aveuglement et pêle-mêle tout ce qui nous parvient de l’occident et surtout de commencer par nous libérer du carcan de notre identité, considérée comme éculée, rétrograde et réactionnaire pour pouvoir emprunter le chemin du progrès.
Ce marasme nihiliste, provoqué par certains de nos intellectuels, qui sont passé maîtres dans l’art de créer des nouveaux problèmes fantoches mais qui échouent lamentablement lorsqu’il s’agit de solutionner les problèmes existants et réels, condamnent nos esprits à errer dans des les méandres des labyrinthes (du Minotaure) et de gérer en permanence des futilités anodines, des conflits stériles et des paradoxes insipides, en nous faisant croire que la composante identitaire est incompatible avec le progrès et la modernité et que le respect du sacré est en opposition avec la liberté d’expression et de la créativité. Pourtant il n’en est rien dans la civilisation occidentale à laquelle on voudrait bien adosser notre pensée moderniste et progressiste.
Fort de constater que l’idéologie peut même à la limite être reléguée à une position secondaire et ce qui importe le plus, c’est ce que l’esprit est capable d’en faire pour servir l’Homme, je cite le poème d’Emma Lazarus, dont un extrait est gravé sur une plaque en bronze, placée sur le socle de la Statue de la liberté, qui accueillait les immigrés européens, considérés comme les ratés de leurs sociétés et qui illustre d’une façon extraordinaire l’esprit qui était à la base de la superpuissance des Etats Unis, qui a repris du vieux continent, le flambeau de la civilisation occidentale et a fait de ces pauvres parias, les maitres du monde:
Donnez-moi vos pauvres, vos exténués
Qui en rangs serrés aspirent à vivre libres,
Le rebut de tes rivages surpeuplés,
Envoyez-les moi, les déshérités, que la tempête m'apporte
De ma lumière, j'éclaire la porte d'or !
En conclusion je dirai, qu’une révolution a lieu lorsque à un moment crucial de l’Histoire, les esprits des individus et pour des raisons pas toujours intelligibles, laissant la porte grande ouverte pour des interprétations d’ordre métaphysique, se mettent en phase pour suivre le rythme de la conscience collective de tout un peuple, jusqu’à l’accomplissement d’un objectif grandiose, telle la libération de la tyrannie. Une civilisation est bâtie lorsque le battement rythmé de cette conscience collective perdure dans le temps et à travers les âges pour orchestrer l’effort soutenu et continu de construction, de toute une nation. On pourra donc assimiler le développement d’une civilisation à une révolution incessante qui a lieu surtout dans les esprits. Le peuple tunisien a bel et bien accompli une révolution qui a inspiré tant d’autres nations et bouleversé la donne politique à l’échelle mondiale, allons-nous en rester là ou aurait-on la patience et l’esprit nécessaires pour mettre le fondement d’une civilisation qui marquera peut-être le cours de l’Histoire ?
Chokri Aslouje
Ingénieur
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Article pédant. Bravo pour votre maitrise de la mythologie. Mais aucun message pragmatique, vous vous faites plaisir en tant que pédant et leaders vous publie honte à eux sachant que vous ne proposez rien à notre Tunisie sinon vos élucubrations philosophiques, nous avons besoins d'autre chose. emplois réponse aux besoins primaires de nourriture, éducation, eau, électricité... bla
Merci pour ce remarquable article. Il est important de metre en perspectives dynamiques les modèles politiques, les spiritualités et les modernités dans le monde, pour observer les tentatives et les réussites partielles des sociétés au fil du temps. En sachant ques les sociétés sont mortelles, comme les individus, même si elles prennent plus de temps pour s'effondrer. Tout approche réductrice ne peut être viable durablement. Edouard STACKE