Success Story - 20.03.2012

Radwan Masmoudi : De Washington, promouvoir un Islam moderne et modéré

Mais que veut au juste Radwan Masmoudi, le plus Américain des islamistes tunisiens? Vivant depuis 30 ans aux Etats-Unis, titulaire d’un Ph.D. du prestigieux Massachusetts Institute of Technology (in Mechanical Engineering) et fondateur dès 1999 à Washington D.C. du Centre d’Etudes Islam & Démocratie (CSID) auquel il se consacre à plein temps depuis 12 ans, sa raison d’être dans la vie prend une forme d’engagement : contribuer à l’instauration de la démocratie dans le monde arabe, à commencer par la Tunisie. Une conviction profonde et une mission inlassable qui l’avaient incité à quitter une position élevée et bien rémunérée de chercheur-ingénieur dans une grande compagnie américaine pour se dédier à cette cause qu’il estime vitale. Sa double proximité des Etats-Unis et d’Ennahdha, l’implantation en juin dernier d’une antenne de son centre à Tunis et la présentation d’une liste indépendante (avec Mourou, Jourchi, etc.) aux élections de la Constituante, n’ont pas manqué de susciter nombre de questions à son sujet. Pour qui roule-t-il au fait? Pourquoi n’a-t-il pris aucune fonction après la victoire des islamistes ? Quels sont ses projets ?

Son parcours du combattant, il l’a commencé dès sa prime jeunesse au Lycée technique de l’Ariana, avec une arrestation lors des manifestations lycéennes, des brimades, 10 ans d’exil en continu, avant de longues autres années d’étroite surveillance et, finalement, un redéploiement en Tunisie, dès le lendemain de la révolution.

Radwan débarque en Tunisie et y battra campagne dans diverses circonscriptions (un budget de moins de 21 000 D) sans pouvoir cependant remporter le moindre siège, mais « l’expérience a été très enrichissante », dira-t-il. Une semaine seulement après le 23 octobre, et alors que ses « amis » d’Ennahdha, grands vainqueurs des urnes, se préparaient à se hisser au pouvoir, il reprendra le chemin de Washington, sans prêter la moindre attention aux rumeurs insistantes sur un éventuel poste ministériel qui lui serait confié, voire plus. Comment poursuit-il aujourd’hui sa mission ? Mais, revenons d’abord, ne serait-ce que brièvement, sur son parcours, bien instructif.

Depuis son enfance, Radwan, comme ses deux autres frères, a hérité de son père, officier de l’Armée, la rigueur, le compter-sur-soi et les nobles valeurs. Jeune scout, adhérant à l’organisation des Colonies et Vacances, puis à la Jeunesse Scolaire, il y fera son premier apprentissage de la vie. Mais, c’est au lycée que, jeune pratiquant et assoiffé de culture et de savoir, il se forgera ses premières convictions islamiques. Avec d’autres camarades de la Jeunesse Scolaire, partageant les mêmes idées, il formera le premier noyau d’élèves islamiques et participera ainsi aux manifestations, en 1981, l’année de son Bac. Arrêté et conduit aux caves du ministère de l’Intérieur, il aura la chance de ne s’en sortir qu’avec une série de coups, sans sauvage torture. Mais, enfermé dans les sinistres geôles, il n’entendait que cris et souffrances, imaginant ainsi les supplices infligés aux autres militants, ce qui le torturait psychologiquement de manière bien forte. Cet acharnement qui bafoue toute dignité humaine, dénie toute liberté d’expression et n’exprime que dictature et oppression le marquera à jamais. Et c’est ce qui le déterminera à s’engager dans la lutte pour la liberté et la démocratie.

Bac en poche, il décroche une bourse pour les Etats-Unis, ce qui réconforte son père. Au moins là-bas, se dit-il, il échappera à la police. Le choc de la civilisation nord-américaine ne fera que renforcer Radwan dans l’approfondissement de son identité arabo-musulmane. En contact avec d’autres étudiants venus de divers pays arabes, il essayera d’engager une réflexion et de partager des idées. Le cercle s’élargit, mais le premier besoin était de commencer par regrouper les étudiants tunisiens éparpillés dans cet immense pays. C’est ainsi qu’il oeuvrera pour la création d’une association d’étudiants, la Tunisian Scientifc Society (TSS), en 1985 (l’Atuge naîtra en France en 1991), tout en s’engageant dans la section nord-américaine du Mouvement de la tendance islamique (Ennahdha). Dès 1987, il deviendra membre du bureau politique, aux côtés d’Aref Maalej, Romdhane Mehrezi et d’autres. Les échos de la torture et de l’injustice qui lui parviennent de Tunis ne font qu’exacerber son indignation. Plus particulièrement, la mort sous la torture de l’un de ses meilleurs amis, Abderraouf Laribi, père de 4 enfants (en 1987), puis l’arrestation et la condamnation de son propre frère Kamel, à cinq ans de prison, sans le moindre justificatif (en 1995), comme les arrestations massives et les lourdes condamnations iniques dès 1991, l’avaient résolu à radicaliser son combat. Sa relation organique directe avec le MTI s’arrêtera en 1993, puisque le mouvement n’existait plus aux Etats-Unis depuis cette date, dit-il, mais il continuera à militer au sein de la société civile aux Etats-Unis.

Dix ans durant, fuyant l’arbitraire, se sachant sous la menace d’une arrestation, il s’abstiendra de rentrer au pays. Ne pouvant pas renoncer à ses idéaux et se taire face aux injustices et à l’oppression, Radwan décidera de fonder un Centre d’Etudes Islam & Démocratie (CSID), en vue de mieux faire connaître l’Islam auprès des Américains, de promouvoir le dialogue entre les religions et de développer une interprétation moderne et démocratique de l’Islam au XXIème siècle. Financé grâce à des dons, le Centre vivra toujours sur un budget serré et une gestion transparente qu’impose la réglementation américaine. Se consacrant le jour à son travail de chercheur-ingénieur, il dédie sa soirée et ses week-ends au CSID. Les évènements de septembre 2001 viendront secouer les Etats-Unis et souligner l’importance de mieux connaître et comprendre l’Islam, mais aussi de soutenir l’émergence d’un Islam modéré et démocratique. Très sollicité de partout, Radwan se décidera à sacrifier son travail pour diriger à plein temps le Centre, quitte à réduire ses revenus de moitié. Quand on connaît les Etats-Unis, on réalise l’importance de ce genre de centre qui, en think tank, nourrissent la réflexion des politiciens et influent sur leurs décisions. C’est là que Radwan s’estime le plus utile.

Profitant d’une petite éclaircie, il reviendra à Tunis, début des années 2000, essaye de monter avec le Forum Al Jahedh, fondé par Jourchi et l’Institut arabe des droits de l’Homme, des sessions de formation et des séminaires. La plus grande manifestation, dans ce cadre, fut un colloque organisé en 2004, à l’hôtel Africa, sous une forte surveillance de la police politique. Radwan était heureux d’y rencontrer Zied Daoulatli et Ali Larayedh, à peine sortis de longues années de prison. Il les incitera à rencontrer des diplomates américains et organisera d’ailleurs cette rencontre chez lui. Soucieux d’établir le contact entre l’administration américaine et les dirigeants d’Ennahdha, mouvement perçu à Washington comme le plus modéré dans les pays arabes, Radwan s’emploiera à multiplier les réunions directes, à chacune de ses visites en Tunisie. C’est ainsi qu’il incitera les diplomates de l’ambassade américaine à rendre visite en août 2006 à Hamadi Jebali, sorti de prison et assigné à résidence surveillée chez lui à Sousse, donnant ainsi un message clair au régime déchu et ouvrant un dialogue mutuellement utile. Ces efforts ne cesseront pas. Radwan a été très actif dans la préparation de la visite effectuée à Washington en mai dernier par Hamadi Jebali, pour rencontrer des officiels et donner une conférence à la tribune du CSID.

A présent, il agit sur deux fronts. Le premier est de déployer largement les activités de son centre dans les différents pays arabes, en multipliant les séminaires de formation et les rencontres. Quant au second, il consiste à promouvoir la nouvelle expérience tunisienne aux Etats-Unis. Connaissant parfaitement les arcanes du pouvoir à Washington ainsi que les principaux décisionnaires, tant dans l’administration que parmi les élus, il sait faire passer les messages. Ce qui le réconforte le plus, c’est que, jour après jour, les idéaux qui l’animent trouvent un début de réalisation. Pour lui, Islam et démocratie ne doivent pas être incompatibles et un Islam moderne et modéré, respectueux des libertés, peut contribuer au développement du monde arabe.

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4 Commentaires
Les Commentaires
Assayeda - 30-03-2012 14:56

Son problème est similaire à celui des diplômés des écoles de techniciens ou d’ingénieurs, le manque ou l’absence des sciences humaines (humanities) dans leur formation. Ils n’ont pas étudié la philosophie, l’histoire des idées (politiques) la sociologie, l’anthropologie politique, l’histoire comparée des religions, etc… alors ils n’ont pas acquis les outils intellectuels pour analyser et comprendre les phénomènes sociaux et sont ainsi fragile et facile à se faire embobiner par les charlatans religieux. Il est connu que le taux des recrus par ennahdha dans les écoles d’ingénieurs est de loin très supérieurs à celui des universités des sciences humaines (ou de lettres). Voyez comment le salafiste Ben Salem s’attaque à l’université des arts, et des sciences humaines de Mannouba, mais pas à une école d’ingénieurs. Voyez également l’université de lettres de Sousse ou les salafistes ne peuvent pas mettre les pieds (en tant que force). Donc Mr. Masmoudi, comme d’autres ingénieurs, est victime de son ignorance de ce qui est en dehors du champ religieux, il s’est mis en quelque sorte des visières pour restreindre les champs de sa vision, ce qui a fait que les champs du possible lui échappent. Il est libre de croire ce qu’il veut mais qu’il ne vienne pas emmerder les autres avec ses idées religieuses. Car la religion c’est quelque chose d’intime, de spirituel que l’on garde entre soi-même et son créateur…on en fait pas une vantardise, car on cesse d’être authentique dès le moment où l’on s’en vante publiquement; là on en fait un spectacle (de soi) et une marchandise, pour laquelle on commence à chercher des récompenses dans l’ici-bas - pour ses convictions religieuses- au lieu d’attendre la récompense dans l’eau delà, comme les faux religieux essayent faussement de le faire croire. Ghannouchi veut le pouvoir ici-bas, et pas une récompense auprès d’Allah ou il faut attendre Yawm Al Kiama (il est impatient d’attendre al Jannah). Alors Masmoudi cherche un poste de ministre, de gouverneur ou de something ?

Assayeda - 31-03-2012 07:19

Son problème est similaire à celui des diplômés des écoles de techniciens ou d’ingénieurs, le manque ou l’absence des sciences humaines (humanities) dans leur formation. Ils n’ont pas étudié la philosophie, l’histoire des idées (politiques) la sociologie, l’anthropologie politique, l’histoire comparée des religions, etc… alors ils n’ont pas acquis les outils intellectuels pour analyser et comprendre les phénomènes sociaux et sont ainsi fragile et facile à se faire embobiner par les charlatans religieux. Il est connu que le taux des recrus par ennahdha dans les écoles d’ingénieurs est de loin très supérieurs à celui des universités des sciences humaines (ou de lettres). Voyez comment le salafiste Ben Salem s’attaque à l’université des arts, et des sciences humaines de Mannouba, mais pas à une école d’ingénieurs. Voyez également l’université de lettres de Sousse ou les salafistes ne peuvent pas mettre les pieds (en tant que force). Donc Mr. Masmoudi, comme d’autres ingénieurs, est victime de son ignorance de ce qui est en dehors du champ religieux, il s’est mis en quelque sorte des visières pour restreindre les champs de sa vision, ce qui a fait que les champs du possible lui échappent. Il est libre de croire ce qu’il veut mais qu’il ne vienne pas emmerder les autres avec ses idées religieuses. Car la religion c’est quelque chose d’intime, de spirituel que l’on garde entre soi-même et son créateur…on en fait pas une vantardise, car on cesse d’être authentique dès le moment où l’on s’en vante publiquement; là on en fait un spectacle (de soi) et une marchandise, pour laquelle on commence à chercher des récompenses dans l’ici-bas - pour ses convictions religieuses- au lieu d’attendre la récompense dans l’eau delà, comme les faux religieux essayent faussement de le faire croire. Ghannouchi veut le pouvoir ici-bas, et pas une récompense auprès d’Allah ou il faut attendre Yawm Al Kiama (il est impatient d’attendre al Jannah). Alors Masmoudi cherche un poste de ministre, de gouverneur ou de something ?

SDIRIM - 03-06-2013 14:25

@Assayeda Je pense que vous attaquez les ingénieurs par jalousie :) ces derniers qui sont les meilleurs des meilleurs dans les lycées secondaires (dans les sciences humaines et langues comme dans les sciences fondamentales), ont montré depuis toujours qu'ils sont les plus compétents et les plus capables à diriger des institutions d'études stratégiques comme celle de M. Masmoudi.. Les ingénieurs Tunisiens, depuis l'époque de Si Mokhtar Laatiri étudient les arts (théâtre en l’occurrence), les techniques de comm, les langues et l'histoire, en plus de leurs modules d spécialités.. Je vous invite à aller voir les écoles d'ingé ou les ingénieurs dans leurs milieux pro, vous trouverez qu'ils lisent mille fois plus que leurs homologues littéraires et surtout qu'ils justifient d'une culture, intelligence et présence d'esprit exceptionnelles, toujours en leur comparant à d'autres professionnels.. Si vous regardez les gouvernements Tunisiens depuis Bourguiba, les vraies compétences (technocrates) sont des ingénieurs, le goc a toujours été composé en moitié d'ingénieurs, l'un quart de médecins et le reste d'autres background.. La récente tendance de compléter la formation d'ing par des masters pro, des MBA,..en finance, management, administration etc.. ne fut que renforcer la supériorité intellectuelle des ingénieurs ;)

Elmouhandes - 21-06-2014 22:26

@Assayeda je pense que vous ignorez l'essentiel : Radwan Masmoudi a un PhD du MIT (Massachusetts Institute of Technology) qui est la première université au monde qui a produit, en 150 ans d'existence, plus de 70 lauréats du prix Nobel, dont huit sont encore membres de son corps professoral actuel.

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