En réponse à Radhi Meddeb(1) : pourquoi discréditer une finance qui suscite un intérêt mondial incontestable?
La déclaration récente de Monsieur Ridha Meddeb à la TAP concernant la finance islamique, publiée par « Leaders du 12/03/2012 », ne peut que susciter une réaction immédiate face à la discréditation d’une finance qui, non seulement suscite un intérêt mondial incontestable et attire l’attention jour après jour des grands économistes et experts financiers à l’échelle internationale, mais également une finance qui peut contribuer sans aucune équivoque à alléger les déficits financiers de notre économie en cette période de panne économique et financière mondiale sans précédent.
Lorsqu’un économiste comme M. Meddeb, déclare que ''La finance islamique n'est qu'une modalité de financement'' et invite à ne pas croire qu'elle représente la solution ou la panacée, en s’appuyant sur des données fatalistes comme «les montants que la finance islamique mobilise à travers le monde, sont, infiniment, faibles, comparés aux montants de la finance traditionnelle(2)"; c’est, autrement dit, le volume modeste de cette finance islamique par rapport à la finance conventionnelle mondiale. D’autre part, « la Banque Islamique de Développement, est un acteur actif, mais il est très loin derrière des acteurs traditionnels comme la Banque Mondiale, la Banque Africaine de Développement et l'Union Européenne » ce qui est évident, mais il est bon de savoir que les notations de toutes ces banques sont totalement incomparables. Enfin, en concluant que "ce ne sont pas les promoteurs des pays du Golfe qui investissent dans la spéculation, qui vont apporter des solutions aux problèmes de la Tunisie dont les échanges commerciaux, le tourisme… sont liés à 80% à l'Europe(3) » , M. Meddeb oublie sans doute que c’est cette même Europe que l’on voit incessamment plonger dans la crise au point que certains de ses membres en déclarent la faillite l’un après l’autre.
Le fait que M. Meddeb présente de tels arguments, une analyse économique dénouée de toute objectivité, pour dénigrer une finance qui incarne des principes émanant de la culture et de l’identité tunisienne, et fortement sollicitée en cette période de crise, tout lecteur averti ne peut que se questionner sur les raisons de cette déclaration en ces moments de turbulences et de spéculations politiques.
Quoi qu’il en soit, ces arguments ne peuvent contredire une vérité que la plupart des grands économistes de la planète ont reconnue, exprimant ainsi une conviction aux antipodes de celle de M. Meddeb.
La finance islamique est certes une petite niche dans le système mondial puisqu’elle constitue un phénomène récent (seulement une quarantaine d’années) par rapport à une finance conventionnelle qui a plus de quatre siècles déjà. Cependant, cela n’empêche que cette finance islamique porte des espoirs considérables pour l’humanité afin d’assainir justement cette finance mondiale qui plonge dans la crise, tout en incarnant des éléments de réponse non négligeables.
Elle se distingue catégoriquement de la finance conventionnelle étant donné qu’elle repose sur des principes simples et de bon sens que tout esprit sain peut accepter. En effet, les caractéristiques essentielles de cette finance islamique se fondent sur :
- une logique de partenariat face à la logique de crédit
- une logique de partage du risque face à celle du transfert de risque
- Le mécanisme du taux de profit face à celui du taux de l’intérêt
- La connexion à l’économie réelle face à la prépondérance de l’économie virtuelle
- L’intermédiation bancaire dans l’investissement face à l’intermédiation dans le financement
- Une économie éthique et socialement responsable face à une économie immorale et purement financière.
- Une économie productive face à une économie de plus en plus spéculative
Ainsi, le modèle financier islamique se base sur les cinq principes fondamentaux suivants :
- L’interdiction de l’intérêt « Riba »
- L’interdiction du Gharar (spéculation) et du Maysir (incertitude)
- L’exigence d’investissement dans les secteurs licites, autrement dit éthiques et socialement responsables
- L’obligation de partage des profits et des pertes (3P)
- L’adossement des investissements à des actifs tangibles de l’économie réelle
A cette occasion, voici quelques déclarations de personnalités émérites dans la sphère de l’économie et de la finance reflétant l’intérêt que la finance islamique peut porter pour l’humanité et l’économie mondiale:
1. Joseph Stieglitz(4) : prix Nobel d’économie et président de la commission d’experts de l’ONU sur la réforme du système monétaire et financier international et haut responsable de l’ONU, qui invite le monde à se tourner vers la finance islamique. Comme il l’indique dans un communiqué de presse de l’ONU, « Il semblerait que la finance islamique ait gardé à l’esprit que pour qu’un système financier puisse fonctionner, il lui faut, à sa base, des liquidités réelles ».
2. Vincent Beaufils : rédacteur en chef de Challenges, titrait son édito : “Le pape ou le Coran : Crise financière et récession : “C’est plutôt le Coran qu’il faut relire” congédiant le pape et les textes pontificaux, qu’il considérait out, il invitait ses lecteurs à lire le Coran. Et d’ajouter : « Car si nos banquiers, avides de rentabilité sur fonds propres, avaient respecté un tant soit peu la charia, nous n’en serions pas là. » (5)
3. Roland Laskine : rédacteur en chef du JDF (Journal de Finance) dans son fameux éditorial assez provoquant : « Wall Street est-il mûr pour adopter les principes de la charia (6)? », trouve dans la finance islamique des principes simples et de bon sens que tous les détenteurs d'actions ou de contrats d'assurance-vie indexés sur la Bourse auraient voulu voir appliqués plutôt. Le problème est que ces principes de gestion ne correspondent ni à la tradition occidentale, ni à nos convictions religieuses. Pour que le système fonctionne il faut surtout que tout le monde s'y conforme en même temps. Car dans un monde où la spéculation est reine, aucun titre - fut-il trié sur le volet - n'est à l'abri d'un mauvais coup. »
4. François Ewald : économiste français et professeur au CNAM, déclarait dans La Tribune du 10/08/2009 : Qui ne s'est pas encore converti à la finance islamique ? Cette merveilleuse alchimie qui réconcilie finance et religion. La seconde moitié du XXe siècle a été celle de la décolonisation et du "développement", manière pour les anciens colonisateurs de se poser comme modèles pour les anciens colonisés. Le XXIe siècle pourrait bien être celui de leur revanche. La question est alors de savoir dans quelle mesure cette crise va encourager cette tendance lourde où, pour parler comme Hegel, les "maîtres" d'hier risquent de devenir les "esclaves" de demain. Cela concerne tout particulièrement les Européens, dont ce devrait être le grand sujet...
5. Maurice Allais : grand économiste français et prix Nobel d’économie (1988) avançait des propositions qui confirment la thèse de l’économie islamique à propos de l’intérêt et de l’impôt (voir son ouvrage : les conditions monétaires de l’économie du marché)(7).
6. François- Guéranger : économiste français professeur à Paris-Dauphine et inspecteur à la Banque de France, déclare dans son excellent ouvrage : « la Finance islamique : Une illustration de la finance éthique (8)» que la finance islamique est un système, élaboré à partir de principes religieux et moraux universels, qui connaît un grand essor en Asie et, désormais, en Occident. Elle est une composante de la finance éthique : une finance qui n'obéit pas à la seule loi du profit mais qui répond à des critères tels que le développement durable, l'environnement et la gouvernance.
Tout ceci converge vers une seule et unique réalité, celle que la Finance Islamique est devenue une donne internationale de grande ampleur. Les témoignages de part et d’autres des grands économistes, experts financiers et responsables politiques, se multiplient. Les écrits, les recherches et les unités universitaires et d’enseignement de cette branche se propagent dans les fiefs même du capitalisme mondial. Les grandes banques et institutions financières internationales se plongent dans une concurrence farouche en vue de s’accaparer des sources de cette finance islamique.
Un groupe d’experts de renommée internationale en matière d’économie et de finance islamique, ont eu l’initiative sous l’égide du Conseil Général des Banques islamiques (Le CIBAFI)(9) situé à Bahreïn, de rédiger un document qui a été consacré à présenter les principes de base de la finance islamique et leur apport à la solution de cette crise financière mondiale. Ce document intitulé « Les principes de juste milieu au secours de la finance mondiale » s’inscrit dans le cadre d’une proposition qui a été présentée aux réunions du G20 comme étant une contribution islamique aux problèmes de la crise. Il recommande 10 propositions principales toutes fondées sur les principes de la Finance Islamique pour rétablir l’équilibre, instaurer la confiance et assainir le marché.
Pourquoi donc priver une économie comme la nôtre de cette opportunité incontournable à laquelle tous les autres ne cessent de s’accrocher ?
(1) Déclaration à la TAP (leaders du 12 /03/2012)
(2) Même source
(3) Idem
(4) Communiqué de presse de l’ONU du 29/03/2009 (AG/10815)
(5) Editorial de « challengers » du 29 septembre 2008.
(6) Editorial du JDF du 25 septembre 2008
(7) Les conditions monétaires d'une économie de marché, éd. Montchrestien 1989 :
(8) Editions Dunaud 2009
(9) Document en arabe non publié.
Mohamed NOURI
Economiste et Président du COFFIS (Conseil Français de la Finance Islamique) à Paris.
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La " finance islamique " coûte plus cher que la finance classique. Elle n'a pas été touchée par la crise financière uniquement parce qu'elle ne spécule pas sur les marchés boursiers, les marchés d'options.....
Travaillant chez un éditeur de logiciel pour la finance dans le département crédit, je peux vous assurer Mr, que pour les banques de détails, lorsqu'on a commence a vendre pour des banques islamique nos logiciels on été juste paramétrés et interfacés. Pire encore a marges egale les banques traditionnelles sont moin chere...
il n'y aura que les mabouls ou les désespérés qui vont recourir au financement islamiques. il est pire que "erriba" dénoncé par le Coran. le banquier a toutes les garanties : propriété de l'objet de l'opération au lieu des garanties conventionnelles, argent du débiteur et une marge bénéficiaire exorbitante sans aucune possibilité de recours. c'est la jungle et l'enrichissement indu de banquiers richards sur le dos des petits investisseurs.
'La finance islamique n'est qu'une modalité de financement[...][et il ne faut pas croire que]elle représente la solution ou la panacée' Cette phrase est juste et justifié. Il ne s'agit de discréditer rien du tout, mais de regarder ce nouvel objet financier comme ce qu'il est. Il ne faut pas vous en offusquer
Monsieur Nouri, Désolé mais vous êtes dans la divaguation et la pensée "magique" du religieux qui confinent à la pure idéologisation d'un certain islam. M. Meddeb a parfaitement raison de situer cette finance islamique dans la banalité des autres options des méthodes et produits financiers. Ce que vous vous gardez de mettre en relief, c'est la dépendance entière des économies "islamiques" des zones Euro et Dollar. Le monde islamique ne dispose d'aucune monnaie emergeant de sa propre capacité à produire. Quoi que vous disiez, ce monde "islamique" est totalement dépendant des valeurs fluctuantes du dollar et de l'euro. Le jour où avec le Coran vous arriverez à créer une monnaie-référente que les autres économies mondiales suivront comme "valeur islamique" réelle, refuge, exemple...Là on pourra sérieusement discuter. Mais à voir les fortuens collosales des Saoudiens, Qataris, Koweitiens et bien-sûr Algériens, Lybiens...et toutes ces économies où le gaz-pétrole est ume malédiction pour leur peuples, c'est l'investissement dans les "teabonds" ou l'Euro. Arrêtons avec la démagogie et la pseudo-valeur islamique. Tout ce que les Siglietz ou autre économiste affirment sur la finance "islamique", ce sont des constats sur l'aspect éthique de certaines règles que cette finance islamique entend respecter mais qui ne lui sont absolument pas "intrinsèques". De nombreux systèmes embryonnaires d'une économie alternative ou classique respectant des principes éthiques respectent les mêmes règles sans avoir aucun rapport avec la bondieuserie. La banque Raffeissen en Suisse en est un exemple éloquent dans un pays où les système bancaire regorge de dizaines de milliards de Saoudiens et autres arabes fortunés dont les pépites seront, je l'espère, bientôt mises à la lumière par l'inévitable secousse qu'auront ces pays du Golfe inféodés notamment aux USA et à la Grande-Bretagne et qui nous annonent l'Islam et l'éthique....
La finance islamique a bcp de défis à relever,mais avec un potentiel de 5 Mille Milliars de dollards elle se présente comme un créneau porteur.Il faut peut être attendre son expansion sous d'autres cieux pour qu'elle suscite notre intérêt!
Waw! Quel article! Il porte non seulement discrédit à la finance islamique mais aussi au COFFIS!! Aucune argumentation! Ridha Meddeb dit que la finance islamique n'est pas la solution par rapport au besoin de développement de la Tunisie et Mohamed Nouri lui répond non c'est faux, voilà des témoignages que la finance islamique est bien! Je conseille à Mohamed Nouri de bien lire le sujet auquel il répond et s'il a des arguments autre que "la finance islamique est bien" car on le sait tous qu'elle est bien dans l'absolue et bien sur si Mohamed Nouri a la compétence de vraiment argumenter, de le faire! Bref, j'ai lu un article vide!
Ces pseud-économistes d'une autre époque sont toujours habités par une vue simpliste de tout ce qui ne vient pas de l'Ouest. Abreuvés d'une culture "occidentalisée jusqu'a la moelle" et plus royalistes que les rois, ils continuent à décrier tout ce qui a trait à l'Islam. Ce Monsieur Meddeb ne sait pas que ces maitres, récalcitrants au depart et imbus de leur laicisme béat, ont reconnu en 2009 l'importance de la Finance Islamique et veulent rattrapper la City, qui est devenue un des Hub de la Finance Islamique (c'est Christine Lagarde, actuel Directeur du FMI, qui avait reconnu l'importance de la Finance Islamqique alors qu'elle était encore Ministre des Finances). Quant à Monsieur Meddeb, qu'il continue à radoter ses théories caduques. Peut-etre, il se réveillera un jour quant il se débarrassera de ses lunettes daltoniennes!
Monsieur Nouri a bien fait de démolir les arguments fallacieux avancés par ce Monsieur Meddeb (les comentateurs qui sont venus à la defense de Monsieur Meddeb sont tous des banquiers ou de courtiers qui profitent du systeme fiancier conventionnel). Ce que semblent oublier ou plutot cacher ces défenseurs de la finance spéculatrice, c'est que le monde entier court à sa perte à cause du gigantisme de cette finance et de sa domination crapuleuse. Les grands financiers sont des vampires qui sucent le sang des pauvres clients. Ce qui leur manque justement, c'est l'éthique. Or c'est la ou la finance islamique est salutaire: elle ne permet pas à l'argent de profiter de l'argent. Dans la finance islamique: l'argent est le fruit de l'effort, du travail en somme! Le systeme banquier islamique est participatif. Il s'associe dans le gain comme dans la perte. "This is common sense!" Certainement, beaucoup des instruments de la finance islamique sont à améliorer; vu que c'est une approche tres jeune. Mais le monde adoptera tôt ou tard la finance islamqiue! Encore une fois, merci Monsieur Nouri ...
Radhi Meddeb, n'est peut être pas objectif comme vous l'afirmer sans argumenter, mais pouvez vous l'être vous même alors que vous êtes président du COFFIS et que vous préchez pour votre produit. Car au delà des idéologies, la finance islamique n'apparait au final que comme un argument marketing, et le produit est souvent loin d'être attractif pour le consommateur qui souvent se fait avoir en payant au prix très fort des intérêts déguisés sous pretexte de "halal".