Comment faire de la Tunisie une « Corée du Sud africaine » à l'horizon 2030 ?
L’analyse des différentes crises économiques contemporaines depuis la première guerre du Golfe en passant par le 11 Septembre, la deuxième Guerre du Golfe, le Crash de 2008 et enfin la crise financière de 2010-2011, nous révèle un constat indiscutable : les économies basées sur les nouvelles technologies de l’information, l’armement, l’agroalimentaire, la médicine, la biotechnologie et la pharmacie ont la capacité de se redresser rapidement. Par opposition, les économies basées sur le tourisme de masse, les ressources naturelles, les industries à faibles valeurs ajoutées et l’agriculture traditionnelle ont du mal à rattraper le retard causé par ces crises aggravant du coup leur déficit budgétaire et leur taux de chômage.
Où place t-on-la Tunisie?
Malgré les efforts des soixante dernières années et la formation des centaines de milliers de cadres, ingénieurs, médecins, experts de hauts niveaux… l’économie de la Tunisie est restée très fragile avec une faiblesse prononcée de capacité d’ajustement face aux multiples vagues de crises économiques.
A cause d’une politique de formation non adaptée aux tendances et besoins nationaux et internationaux, des programmes de développement encourageant une économie axée sur l’emploi de masse (tourisme, textile, agriculture traditionnelle), sur l’industrie à faible valeur ajoutée et faible taux d’intégration (câblage automobiles, call centres, etc. ) et un manque total de visibilité et de capacité d’anticipation des changements de l’économie mondiale, la Tunisie a raté des décennies pour s’aligner aux normes internationales modernes de l’économie du 21ème siècle.
Il est inadmissible pour un pays, dont des milliers de cadres et hauts fonctionnaires jouent des rôles de premier ordre dans des multinationales et organismes internationaux, de ne pas pouvoir ériger une économie nationale moderne basée axée sur les services et les industries à haute valeur ajoutée. Sur la base de ce constat, nous pouvons conclure que le problème n’est pas seulement lié à une politique de formation. Il est plutôt du à la planification macro économique, tâche principale d’un Etat moderne et objectif primordial d’une population avide de connaissance.
Pour choquer, prenons un cas extrême d’un pays qui a le même parcours que la Tunisie : la Corée du Sud. Ce pays qui fait actuellement partie des quatre dragons économiques d’Asie a obtenu son indépendance en 1948, soit huit ans avant la Tunisie. Dépourvu, comme c’est le cas de la Tunisie, de ressources naturelles, son PIB pour la période 1962-2010 a progressé de 25 967% par opposition à celui de la Tunisie qui n’a enregistré que 5 013% d’augmentation pour la même période (source :http://perspective.usherbrooke.ca). Certains me diront que la Tunisie n’est ni la Corée du Sud, ni le Luxembourg,... Personnellement je considère cet argument comme celui d’un démissionnaire cherchant à trouver des alibis à son retard et manquant de vision stratégique. J’estime que la Tunisie, avec un taux de croissance oscillant entre 8 et 10%, aurait pu devenir au moins une petite Corée avec un PIB qui aurait passé de 0,9 Milliards de dollars en 1961 à 100 Milliards de dollars, soit 11100 % de progression en 2010. Cela au cas où nos « stratèges » auraient raisonné et planifié avec plus de courage, de réalisme et d’ambition.
Comment faire malgré tout de la Tunisie une « Corée du Sud Africaine » ?
Tout n’est pas perdu. Au contraire, surtout en ce moment. La Tunisie post révolution doit obligatoirement changer de stratégie macro économique pour faire bouger les choses et atteindre des paliers supérieurs sur la scène économique internationale. Nous avons ce qu’il faut pour prétendre à un tel statut. Il est inadmissible à ce que la Tunisie de 2012 tende la main à quiconque pour sortir de la crise alors qu’elle aurait dû être celle qui offre de l’aide à d’autres pays pauvres. Ce que nous vivons actuellement est une belle leçon pour nous tous ainsi que pour nos enfants: il n’ya pas de pays amis mais plutôt des intérêts et seulement des intérêts. Le principe du « give and take » ou « donnant, donnant » est le principe qui gouverne les relations entre les pays et les individus. Les pays « frères et amis » ne se bousculent pas à nos portes parce que nous n’avons pas grand-chose à leur offrir : ni de ressources naturelles, ni des services intellectuels (maîtrise technologique, know how). C’est justement cette dure conclusion du terrain qui doit nous inciter à revoir nos plans de développement économiques futurs.
Concrètement, l’actuel ainsi que le futur gouvernement ont l’obligation de se projeter dans le futur et imaginer le statut de la Tunisie de l’année 2030 afin d’élaborer, aujourd’hui même, des programmes de formations et d’incitations aux investissements permettant d’atteindre ces objectifs et ce en prenant en considération les profils dominants des Tunisiens pouvant à l’avenir jouer des rôles importants. A titre d’illustration, nous pouvons procéder par :
• Elaborer un code d’investissements spécifique avec des avantages et incitations financiers exclusivement réservés aux domaines d’intérêt, ci-dessous repris, pour encourager les multinationales et les Start-up tunisiennes et étrangères à monter des projets avec des valeurs ajoutées très élevées. Le code d’investissements actuel met sur un même pied d’égalité tous les secteurs sans distinction aucune, alors qu’il fallait identifier des domaines stratégiques bénéficiant d’avantages spécifiques.
• Encourager les compétences tunisiennes, déjà actives sur la scène nationale et internationale dans les domaines ci-dessous mentionnés, à participer à l’élaboration de la stratégie future de notre pays et à créer des entreprises et des alliances stratégiques ouvrant la voie à d’autres entreprises spécialisées répondant à notre vision stratégique. Cette approche permettra à une nouvelle classe d’hommes et de femmes d’affaires tunisiens de prendre le relais aux hommes d’affaires qui ont eu le mérite de développer les secteurs du tourisme, du textile et des petites industries.
• Mettre à niveau notre système académique ainsi que celui de la formation professionnelle pour répondre aux normes internationales requises dans les domaines sous indiqués. Il est inutile d’insister sur l’importance de la langue anglaise dans cette mise à niveau.
Quant aux domaines stratégiques qui pourront faire de la Tunisie une puissance économique régionale à l’horizon de l’année 2030 offrant à l’export les produits et services à haute valeur ajoutée, j’insiste sur l’économie basée sur le savoir ou le know how dont:
1) Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication- NTIC : Ceux parmi nous connaissant la ville de Bangalore en Inde des années 80 dont l’économie était essentiellement basée sur les PME, l’agriculture et l’industrie de la soie, ne la reconnaitront plus en 2012 avec ses 100 000 ingénieurs et des exports excédant les 12 Milliards de dollars provenant principalement des produits et services dérivés des NTIC. A titre d’information, dans ce même domaine, l’Inde recèle 870 centres de recherche et développement et a exporté l’équivalent de 70 Milliards de dollars en 2011 (source : www.businessweek.com et www.itsmyascent.com/). Avec une stratégie à long terme, une formation universitaire ciblée et surtout un code d’investissements spécifique à ces métiers technologiques encourageant les alliances stratégiques des compétences tunisiennes, la Tunisie pourra être la Silicon Valley de l’Afrique.
2) Services en Engineering et Consulting : Plusieurs bureaux d’études et d’engineering tunisiens sont en train de gagner den notoriété sur la scène internationale, surtout en Afrique. Ils sont des spécialistes en télécommunication, en pont et chaussée, en assainissement, en informatique, en énergie, etc... La Tunisie offre des compétences dotées des mêmes qualifications techniques que celles des pays occidentaux. Développer davantage cette niche à l’export avec un soutien de l’Etat, matérialisé par des incitations fiscales, des subventions et l’encouragement des alliances stratégiques, peut contribuer à une nette amélioration de notre balance commerciale.
3) Energies Renouvelables : L’approche dominant notre stratégie économique passée est la même qui gouverne actuellement nos besoins en énergie. Malgré les multiples constats alarmants depuis la crise énergétique de 1973 révélant une dépendance critique de notre économie des humeurs des pays producteurs ainsi que de l’épuisement des sources d’origine fossiles à l’horizon de l’année 2030, nos « stratèges » tardent toujours à élaborer un code d’investissements spécifique dans le domaine de la production des énergies renouvelables. Il est urgent de développer un partenariat Privé-Etat pour ce type d’énergie dont les ressources sont inépuisables et qui sera certainement notre seule source nationale et un important produit à l’export à l’horizon de l’année 2030. Un partenariat STEG-Privés couvrant exclusivement ce type d’énergie est indispensable. Une attitude gagnant-gagnant doit prévaloir dans les débats autour de ce thème vital pour notre pays. Des milliers de postes d’emploi seront crées, une indépendance énergétique stratégique sera confirmée et un gain inestimable en monnaies étrangères sera réalisé. Regardons de prés les pays qui ont eu une vision futuriste tels que l’Allemagne et faisons de même. Dans un proche avenir, notre pays pourra avoir le statut de pays exportateur d’énergie renouvelable si on commence dés aujourd’hui à élaborer d’une manière pragmatique un code d’investissements spécifique de façon à encourager les investissements dans les méga projets producteurs d’énergies renouvelables surtout du type solaire.
4) Formation Universitaire Internationale ou Tourisme du Savoir: Imaginons un Méga Technopôle universitaire ayant un statut « Off Shore » regroupant des filiales des universités internationales dispensant une formation technologique de haut niveau et des méga centre de recherches et de développement installés sur l’Ile de Djerba et pouvant accueillir 30 000 étudiants internationaux! Si chaque étudiant dépensait un total de 20000 dollars par an (frais de scolarité inclus), la recette en devise serait de l’ordre de 600 Millions de dollars. Alors qu’actuellement, nous avons besoin d’attirer 2,5 Millions de touristes ordinaires pour réaliser la même recette. C’est l’exemple type pour illustrer le principe de haute valeur ajoutée. Le tourisme du savoir, drainant des recettes en devise de l’ordre de 10 à 20 milliards de dollars par an et par pays, est un secteur clé que les grandes puissances monopolisent depuis des décennies. (Source : stat.unesco.org; nafsa.org; dest.gov.au; hesa.ac.uk). Depuis le début de ce siècle, d’autres pays, tels que la Turquie, l’Argentine, l’Egypte et les Emirats sont entrés dans le cercle des pays exportateurs de ces services très lucratifs. La Tunisie a certainement les capacités et l’infrastructure pour adopter une politique d’incitation à l’investissement national et international dans ce secteur. En association avec des universités de renommée internationale dans divers domaines techniques et avec un code d’investissements spécifique à cette activité, la nouvelle génération d’hommes d’affaire tunisiens pourrait certainement réaliser des exploits. Encore une fois, il suffit d’y croire, planifier et exécuter dans la continuité pour atteindre les objectifs fixés.
5) Tourisme médical : Ce type de tourisme existe déjà en Tunisie principalement en provenance de la Libye, de l’Algérie et de quelques pays d’Afrique. Ce domaine serait un secteur porteur pour notre économie si l’Etat intervenait pour encourager l’installation d’hôpitaux internationaux ultra modernes off shore érigés à proximité des zones touristiques actuelles, optimisant ainsi l’exploitation de nos ressources médicales et hôtelières. Par cette démarche couplée par des accords avec les caisses de couvertures sociales européennes, les patients européens feront confiance à nos spécialistes. Ce type de tourisme médical de qualité draine des millions de patients dans plusieurs pays dont la Pologne, la Jordanie, l’Afrique du Sud, l’Inde et la Thaïlande. Ces deux derniers pays ont préféré se spécialiser dans la cardiologie et les chirurgies à cœur ouvert. Les pathologies lourdes comme l’orthopédie ou la cancérologie tendent à se généraliser. Enfin, il est à noter que la langue parlée dans le pays de destination contribue aux choix final du client. (Source : www.afriqueexpansion.com).
6) Industrie agroalimentaire : Avec l’énergie et l’eau, la sécurité alimentaire est synonyme de sécurité nationale. Un peuple ne sera pas indépendant et en sécurité s’il importe ses besoins en aliments. Dieu merci qu’en Tunisie ce secteur a joué pleinement son rôle durant des décennies. Par contre, il présente toujours des défaillances structurelles et organisationnelles laissant l’agriculteur submergé par les dettes et l’industriel limité dans ses capacités de transformation et d’export. Si on regardait de prés nos frontières au sud et à l’ouest, nous constatons que nous avons besoin d’une stratégie future pour mettre en place un réseau intégré dans l’agroalimentaire pouvant subvenir aux besoins de 60 millions d’habitants et même plus!
Ce qui m’intrigue, est le fait que personne ne pourra dire que les domaines ci-dessus mentionnés ne sont pas à la portée des Tunisiens de l’année 2012 alors que dire des Tunisiens de l’année 2030 ? Pourquoi avons-nous pris ce retard ? Pourquoi avons-nous douté des capacités de nos compétences?
Si on définissait le « Quotient Intellectuel d’un Pays - QIP » comme étant le niveau technologique de son économie après plusieurs décennies de labeur et d’investissement, celui de la Tunisie n’est certainement pas au niveau des sacrifices et du potentiel intellectuels de son peuple. Il s’agit donc de rapprocher le « QIP de la Tunisie » du « QI moyen » de sa population en adoptant une politique économique basée sur la connaissance technologique favorisant les produits et services innovateurs et employant des compétences hautement qualifiées.
Dr Nacef BELKHIRIA
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Très bonne approche macroéconomique, comme toujours NACEF ça me surprends pas de vous, mais j'ai pas vu le volet industrie des médicaments.
Des idées intéressantes et pragmatiques. Ça demande beaucoup d'investissement et donc de financement. Il faut hiérarchiser les idées en fonction de leurs urgences, court, moyen et long terme et puis ça nécessite un effort collectif et un rassemblement nationale de tous les forces politiques et civiles autour de ces projets, car c'est une stratégie de long terme qu'il faut mener, et l'accord préalable de ces forces citoyenne est un gage de réussite. La création d’une commission indépendante de planification stratégique qui travaillera avec toutes les forces nationales quelque soit leur couleurs ou leurs appartenances à mon avis, permettra de planifier et de suivre ce grand chantier indépendamment de la vie politique.