Croissance de 4.8% : Où réside la manipulation ?
Les responsables gouvernementaux ont affiché avec fierté les résultats relatifs à la croissance réalisée pendant le premier trimestre 2012. Avec une augmentation de 1.2% par rapport au dernier trimestre 2011, ils annoncent un taux de croissance en « Glissement annuel » de 4.8%. Ces résultats ont été utilisés pour atténuer l’impact médiatique de la dégradation de la note souveraine du pays par l’agence S&P, et même remettre en cause la valeur et l’objectivité de cette notation.
Dans le camp opposé, beaucoup ont tenté de semer le doute sur ce taux de croissance allant jusqu’à remettre en cause la véracité des informations et la crédibilité de l’Institut National de la Statistique, non sans faire le lien avec l’incompréhensible limogeage, il ya quelques semaines, du Directeur général de cette institution. La cacophonie régnant au sein du gouvernement lui-même ne faisant qu’amplifier ce sentiment.
Ceux qui, comme moi, connaissent l’INS, savent qu’il s’agit-là d’une véritable Institution dont on peut certes discuter certains choix au niveau méthodologique, mais ne jamais remettre en cause la compétence et l’intégrité de l’institution elle-même et de ses cardes, même sous les périodes les plus sombres de notre histoire.
Ce que je peux dire d’emblée est que les chiffres présentés par l’INS sont réels et incontestables. Mais alors, où réside la manipulation, si jamais il y en a.
Comprenons d’abord, ce que veut dire « Une évolution en glissement annuel ».
Une évolution en glissement compare la valeur d'une grandeur à deux dates, séparées en général d'un an ou d'un trimestre.
Par exemple, le glissement annuel d'une variable à un trimestre T donné correspond au taux d'évolution (en %) obtenu en rapportant le niveau de la variable en T à son niveau au même trimestre de l'année précédente (T-4). Le glissement trimestriel est obtenu en rapportant le niveau de la variable en T à son niveau au trimestre précédent (T-1). En revanche, une évolution en moyenne annuelle compare la moyenne d'une année à la moyenne de l'année précédente. Ainsi une phrase telle que « En 2010, l'emploi salarié a augmenté de... »peut avoir deux significations : selon que l'on se réfère à la moyenne de l'emploi salarié au cours de l'année 2010 par rapport à la moyenne de 2009, ou bien qu'on compare, en glissement, la situation au 31 décembre 2010 par rapport au 31 décembre 2009.
Ces deux évolutions peuvent être très différentes. Par exemple, si l'année N-1 est fortement croissante et l'année N faiblement décroissante, alors l'évolution en moyenne annuelle peut être positive alors que l'évolution en glissement est négative, et inversement.
Le tableau et le graphique ci-dessous disent tout.
PIB trimestriel (Prix constant 2005) | |||
Trimestre | PIB | Taux de croissance trimestriel | Glissement annuel |
T1-2010 | 13056.7 | 1.2% | 4.6 |
T2-2010 | 13148.3 | 0.7% | 3.6 |
T3-2010 | 13206.2 | 0.4% | 2.8 |
T4-2010 | 13182.8 | -0.2% | 1.4 |
T1-2011 | 12645.4 | -4.1% | -3.7 |
T2-2011 | 12932.7 | 2.3% | -2.1 |
T3-2011 | 13119.5 | 1.4% | -1.5 |
T4-2011 | 13119.5 | 0.0% | -1.4 |
T1-2012 | 13276.9 | 1.2% | 4.8 |
Source: INS |
D’abord, le taux de 1.2% de croissance trimestrielle n’est pas un taux exceptionnel. Je vais vous choquer, en disant, comme on peut le constater sur le tableau, que le gouvernement de Caïd Essebsi a fait mieux pendant les deuxième et troisième trimestres 2011, avec respectivement 2.3% et 1.4%. Mais quid alors de ce 4.8% en glissement annuel ? Le 4.8% est la variation en comparaison avec le premier trimestre 2011. Ce trimestre « béni » est… le pire trimestre de toute l’histoire de la Tunisie contemporaine en termes de croissance du PIB, avec -4.1% par rapport au quatrième trimestre de 2010 et -3.7% en glissement annuel, c'est-à-dire par rapport au premier trimestre de 2010 C’est normal, le pays était pratiquement paralysé. Il est normal qu’en comparaison, le premier trimestre de 2012 fasse œuvre de champion ! Par ailleurs, ce glissement annuel n’a aussi rien d’exceptionnel. La dernière décennie par exemple a connu souvent (voir 2006 et 2007, par exemple) des taux beaucoup plus élevés. Voilà !
Cette histoire me rappelle un adage devenu populaire que j’ai parfois répété à mes étudiants dont certains sont devenus de hauts cadres de l’INS : « Les statistiques pour l’homme politique, c’est comme le réverbère pour l’ivrogne, c’est fait pour se tenir et pas pour s’éclairer ! ».
Mohamed Hedi Zaïem
Professeur à l’Ecole Supérieure de la Statistique et d’Analyse de l’Information de Tunis
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merci beaucoup pour ces éclaircissementsd qui viennent é point...maintenant que l'INS est présidé par un DG nommé par la Nahdha, l'indépendance de ette institutuin n'est plus garanti...le peuple compte bcp sur des personnes dl'inétérieur de cette institution pour se tenire au courant de tout manipulation..disons le tout court: c'est de la plus haute importance !!!
c'est exactement ce que je viens de publier sur mon mur oui en effet il y a une fausse comparaison. je crois avoir mentionné par un calcul expéditif qu 'on a perdu 1 point de croissance par rapport au rythme attendu si le gouvernement BCE avait été maintenu
Il manque de préciser que la Tunisie a comme meme réussie de réaliser un gilissement biannuel par rapport à 2010 > 0 car le PIB en T1-2010:13056.7 < PIB en T1-2012: 13276.9 Ces plus clair en consultant la courbe d'évolution et en comparent les niveaux en 2010 et 2012
j'ai une remarque Mr Z3ayem les données sont aux prix N-1 et non pas 2005 merci
Bonjour Si Hédi, toujours perspicace. Cependant, pourquoi le titre évoque la "manipulation"?, de quel genre: Statistique? à moins que l'INS ait publié de fausses statistiques. Politique?: ne fait pas l'objet de l'article, sauf quand vous évoquez le limogeage du Directeur qui vous était seulement " incompréhensible". Par ailleurs, l'analyse de conjoncture (destinée à la population) se limite au cours terme. Moi, je dirais que les 4.8% et le 1.2% ne sont que des pentes qui ne pourraient pas être statistiquement interprétée plus qu'elles ne le supportent. Elles indiquent respectivement une comparaison par rapport à la même période de l'année écoulée et une reprise de l'activité quand elle est positive. De là à la comparer à des dates lointaines 2010, 2009..relative à ‘’ toute l’histoire contemporaine’’, je crois que ce ne serait pas très utile. NB : Le taux de croissance annuel (en glissement annuel) serait une moyenne pondérée des quatre taux de croissance en glissement trimestriel. On trouverait la même chose vers la fin de l’année.
Excellent et très instructif ..
Il me semble qu'il y ait une croissance de 1% par rapport à T1-2010 (Glissement bi-annuel). T1 2010 était-il "le pire trimestre de toute l’histoire de la Tunisie"?
Ou alors " les statistiques c'est comme la minijupe, elle montre tout mais cache l'essentiel"
Quand on parle de la situation catastrophique du pays le gouvernement oppose l'argument qu'il n'e'st là que depuis 5mois,et quand on parle de chiffres on présente le taux de croissance du premier trimestre !!!
Benjamin Disraéli(1804-1881)ancien premier ministre britannique mentionnait trois types de mensonge"les gros mensonges,les petits mensonges et les statisti- ques",voici une citation universelle qui mérite d'être réitérée,sachant que"la statistique travaille sur des erreurs sans être elle-même une erreur."Colin Clark et François Perroux,deux éminents économistes du XXè Siècle demeurent deux références incontournables dans le domaine de "la croissance",sans oublier Arthur Lewis et Theodore W Schultz,deux lauréats du Prix Nobel,en Economie,en 1979,alors que leurs théories étaient opposées l'une à l'autre,de l'avis des experts
Avec des si et de la mauvaise foi on peut dire ce qu'on veut. Moi je retiens ceci: 1. historiquement le 2eme et 3eme quarts sont toujours le smeilleurs quarts en terme de croissance ce qui est normal car le ssecteurs productifs (agriculture, tourisme, industrie) sont a leur max au printemps et en ete avec les recoltes et le retours des expatries et la venu de 5 millions de touristes.. donc dire que Sebbsi aurait fait mieux pour moi est dire ce qu'on espere pas ce que les donnees impliquent! car si on afait un 1.2% dans un hivers desastreux.. j'imagine que ca serait un record de croissance au 2eme quart et surtout au 3eme! 2. Mais ou est la situation catastrophique ? malgre tout le sabotage fait par l'UGTT watadiste, et les RCDistes du nord ouest qui n'arretent pas d efaire la greve.. on est en courbe ascendante!! regardez le graphe bon sense! Maintenant je comprend pourquoi l'opposition s'affole pour faire chuter le gouvernement immediatement!
le gouvernementou du moins une partie de ce gouvernemet qui ne represente pas tous les tunisiens se trompent et essaie de tromper les autres en placant des pions aux postes principaux c est ma meme que ben ali cad la dictature continue et vive la revolution avortee et confisquee
Bravo Mr Zaiem l'adage que vous avez cité est plus significatif que tout autre calcul. Il est bien adequat à la situation économique de la Tunisie.
ce qu'on a appris en statistiques, c'est de ne jamais se réferrer à une année exceptionnelle, l'année 2011 en est une. l'année 2010 doit être la référence pour toute reprise. si par exemple notre pib du 1er trimestre 2010 était de 10.000, celui de 2011 de 9500 et celui de 2012 est de 10.100, alors que durant le 1er trimestre de 2011 notre taux de croissance était négatif de -5% comparé à celui de 2010, celui de 2012 a enregistré un taux positif de 6.3% par rapport à la même période de 2011, mais puisque l'année 2011 est exceptionelle le taux de croissance du 1er trimestre 2012 comparé à celui de 2010, n'a enregistré en réalité qu'un taux positif de 1%, alors attendons les chiffres du second trimestre et surtout du 3ème trimestre pour voir plus clair, si vraiment il y a reprise ou non, bien que la vrais reprise doit durer dans le temps, car elle peut être le résultat d'un facteur conjoncturel et fausse donc le résultat. mais avant tout, laissons ce gouvernement travailler.
Selon Pythagore"les chiffres gouvernent le monde."Donc faut-il veiller aux caractéristiques de ces chiffres, voire,l'objectivité,la fiabilité,la vérifiabilité,la précision,entre autres.On ne peut pas nier la divergence constatée selon les sources d'information, y compris les organismes internationaux(BIRD,BAD,IMF). On ne peut s'étonner des divergences,voire les paradoxes inévitables en matière économique,sans ou-blier les diverses définitions des concepts fondamen-taux dont "la croissance."A ce propos,on ne peut pas ne pas se référer aux auteurs chevronnés,voire Colin Clark,Theodore Schultz,Arthur Lewis,Gunnar Myrdal,ww Rostow,entre autres.Henri Theil disait"les modèles sont à utiliser et non croire."
"Pour comprendre le futur,il faut étudier le passé," selon Emile Durkheim,éminent sociologue français.Comme les Ecoles de Pensée Economique ont fourni leur propre définition du terme"croissance"(Growth),on ne peut pas ne prendre en considération leurs diverses interpréta-tions et modèles.On ne peut pas donc généraliser au vu des paradoxes incontournables.On peut avoir accès à la même base de données et aboutir à des conclusions divergents,eu égard à la définition ou concept adopté. Hollis Chenery and Monteke Ahluwalia,de la Banque Mon- diale ont mis en exergue les deux concepts"Growth"et "Equity."Les interprétations n'ont cessé d'évoluer depuis lors.Jacques Ellul,dans son ouvrage"La Technique,ou Enjeu du Siècle"paru en 1954,disait"Le Plan n'est pas la solution,mais l'instrument indsipen-sable de toutes les solutions."Ainsi,doit-on concevoir la'croissance"comme "nécessaire"sans pour autant être suffisante.Selon les"Physiocrates",l'agriculture est le"moteur de la croissance",alors que pour l'Universi-té de chicago,Ecole de Pensée Economique des années 1960s,"l'Education est le moteur de croissance"selon Théodore W Schultz et Gary Becker,tous deux lauréats du Prix Nobel en Economie.
Merci à notre professeur Zaim pour sa clareté. Je rajoute que l'un des points significatifs dans une comparaison intertemporelle est de constater les évolutions en termes de trend. Ceci nous permet entre autre de nous éclairer sur les évolutions futures. En lisant le graphique, on voit clairement: - en T2 et T3 2011 un redressement sans flaichissement: effet préparation des élections. - Entre T3 et T4: stagnation qui pourraît être interprété par un effet d'attente de l'issus de la course aux élections. - La reprise devient certaine à partir de T3 qui serait du à de meilleures visions sur l'avenir de l'activité, où en T1 2012 le PIB dépasse la meilleure performance trimestrielle de 2010 (T3-2010). Espérons que cette tendance se poursuive. En tout cas, la véracité de ces constatations sera confirmée ou non dans les prochains mois. Restons optimistes.
Le recours à un glissement biannuel (T/T-8), ce qui est judicieux pour éviter de comparer 2012 à 2011 qui est une année exceptionnellement basse, en particulier son premier trimestre. Utilisant les chiffres figurant dans le tableau de l’article du Professeur Zaiem (qui sont disponibles sur le site INS) on constate qu’en glissement biannuel (T1-2012/T1-2010) on aurait +1.7% ce qui est positif, mais n’a rien à voir avec le + 4.8%. Il est à noter que le PIB en prix de l’année N-1, qui est conseillé pour corriger de la variation de la structure des prix, n’a pas de sens pour une analyse temporelle. (Voir par exemple : http://www.insee.fr/fr/ppp/sommaire/imet108c.pdf). D’où le recours du Pr Zaiem au PIB à prix constant. Que donne le taux de +1.2% observé entre T1-2012 et T4-2011 en termes de croissance annuelle fin 2012 ? En supposant que ce taux se maintiendra durant les trois derniers trimestres de 2012, le calcul montre qu’on aurait un taux de croissance annuel moyen en 2012 de 1.4% comparée à 2010, car la comparaison avec 2011 est biaisée. Un taux positif mais reste relativement très modeste. Une remarque finale importante est à faire : l’INS utilise paradoxalement le taux de croissance en glissement, au lieu du taux de croissance en moyenne. Ce choix méthodologique, non seulement n’est pas innocent car il gonfle considérablement le taux quand la période de référence est basse, comme le dit le Pr Zaiem, mais il est aussi erroné. Les statisticiens savent que la croissance en glissement n’est réellement appropriée que pour les variables en stock (comme le niveau général des prix par exemple) mais pas les variables en flux (comme le PIB) ! A bon entendeur salut.