Prévisible, la démission de Mohamed Abbou a surpris par son timing. Au moment-même où la Troïka cherchait à affirmer sa solidité, surtout après les frasques provoquées par l’extradition de Mahmoudi et la non-promulgation de deux lois adoptées par la Constituante, voilà que le secrétaire général du CPR décide de quitter le navire gouvernemental. Six mois jour pour jour après avoir pris ses fonctions en qualité de ministre chargé de la Réforme administrative, Mohamed Abbou a renoncé à un maroquin qui ne l’avait jamais convaincu, tant le périmètre de ses attributions lui a paru, dès le premier jour, bien limité.
Au lendemain des élections, Abbou se voyait destiné au sein de la Troïka, à de grandes charges, certainement à la tête d’un ministère de souveraineté, la Justice ou l’Intérieur. Mais, au fil des négociations et des arbitrages, il avait vu ses chances s’amoindrir pour se voir proposer la Réforme Administrative qu’il finira par accepter.
Quelques jours plus tard, il va bouder sa charge et quitter son bureau à la Kasbah pour n’y revenir qu’avec la ferme promesse de disposer de plus larges attributions. Pour lui, ses fonctions ne seront concrètes que s’il assure la tutelle des services du Contrôle Général l’Administration publique et ne mette en place une véritable autorité d’inspection générale, de contrôle et d’audit, s’étendant à l’ensemble des ministères, organismes, institutions et entreprises qui en relèvent. L’objectif est de mener enquêtes approfondies à la chasse de la corruption et des malversations, dans l’indépendance la plus totale et au dessus de toute autre autorité gouvernementale ou administrative.
Le chef du gouvernement Hamadi Jebali essayera de tempérer ses ardeurs en lui expliquant le fonctionnement du système administratif tunisien, avec notamment des structures appropriées dans chaque ministère et des procédures idoines. Mais, cela ne pouvait convaincre Abbou.
Un autre élément bien important interviendra, fin avril, début mai dernier. La dissidence de Raouf Ayadi fera éclater le CPR qui essayera de se recomposer en faisant monter une nouvelle direction. Un conseil national tenu le 12 mai à Tataouine devait porter, sans difficulté prévisible. Imad Daïmi, également directeur du Cabinet présidentiel, secrétaire général du CPR. Mais, Mohamed Abbou s’est présenté de son côté et chacun des deux candidats a obtenu le même nombre de voix (34), ce qui a posé problème. Habile, Salim Ben Hmidane, également ministre des Domaines de l’Etat, proposera de faire jouer le droit d’ainesse, ce qui était favorable à Abbou. Acceptée par tous, la solution proposée ne laissait pas moins sur le dos d’Abbou la lourde tâche d’assurer une véritable direction opérationnelle du CPR.
La scission avait en effet fragilisé le parti de Marzouki qui s’est rendu à l’évidence de devoir reconstruire le CPR, étendre son implantation partout dans le pays, recruter des militants actifs et compétents et rallier le plus grand nombre possible d’adhérents. Les vrais enjeux sont là. Pour pouvoir compter lors des prochaines échéances électorales, il va falloir se préparer dès maintenant et disposer d’un véritable parti populaire.
Mohamed Abbou l’a bien compris. Peu satisfait de ses fonctions au sein du gouvernement, conscient des enjeux électoraux, il a dû faire le choix du repli stratégique pour se consacrer au CPR afin de constituer ainsi un véritable poids électoral et, partant, des forces qui comptent. Les propos qu’il a tenus lors de sa conférence de presse, samedi, montrent sa prudence : aucune attaque frontale du gouvernement, aucune remise en question de la Troïka, aucune mise en avant personnelle, réitérant sa fidélité à Marzouki « le candidat du CPR » en faveur duquel il appelle à voter. Bref, il se met sur orbite.