Les secteurs agricole et agroalimentaire: importance socioéconomique et impact environnemental
L’importance du secteur agricole se manifeste au niveau des exportations, de l’emploi, du revenu des citoyens du Produit intérieur brut (PIB) et de la stabilité des prix des produits agroalimentaires. Durant les cinq dernières années, la contribution de l’agriculture au PIB n’a guère dépassé les 13% ; toutefois, sa contribution à l’emploi de la population active reste importante et se situe autour de 18%. Par contre, ce secteur participe à hauteur de 13% des exportations totales du pays. L’agriculture joue un rôle de filet de sécurité sociale dans certaines régions du pays.
L’autosuffisance alimentaire s’est nettement améliorée depuis 1980. La valeur des exportations alimentaires qui représentait 79% des importations alimentaires entre 1984 et 1990 a atteint une moyenne de 85% les années 1990, et depuis 2000 le taux de couverture moyen dépasse 87%, alors que le taux de couverture moyen pour l’ensemble de l’économie tunisienne pour la même période (2000-2008) n’est que de l’ordre de 76%.
La Tunisie jouit de l’autosuffisance en matière de lait et de fruits et légumes, alors que les produits importés du secteur agricole sont essentiellement le blé tendre, le maïs, l’huile de soja, le sucre raffiné, et le tourteau de soja.
L’objectif de croissance globale du 11e Plan suppose une augmentation de la valeur ajoutée du secteur agricole de 3.5% par an en prix constants de 1990 contre 2.6% enregistré lors du 10e Plan. Ce chiffre doit être révisé à la baisse compte tenu des circonstances de démarrage du 11ème Plan caractérisé par une crise financière mondiale qui s’est traduite par des prix élevés des denrées alimentaires de base, des intrants agricoles et du carburant. A cela s’ajoutent des conditions climatiques difficiles qui ont caractérisé le démarrage du 11e Plan.
Ces chiffres reflètent l’importance de la contribution du secteur agricole dans l’économie nationale. Toutefois, certaines politiques agricoles doivent être revues dans l’objectif de la préservation de nos ressources naturelles, d’une part, et d’améliorer le taux de couverture de la balance alimentaire par la transformation des produits alimentaires générateurs d’importantes valeurs ajoutées, d’autre part.
Les productions de céréales et d’olives en Tunisie sont essentiellement des cultures en sec. Ces activités sont fortement dépendantes des précipitations. Malgré leurs évolutions à tendance croissante liées à l’irrigation de complément pratiquée dans certaines zones de production de céréales et à l’introduction de variétés d’olives qui sont partiellement irriguées, leurs valeurs de production restent liées aux conditions climatiques et se comportent sensiblement de la même manière (figures 1a et 1b).
Toutefois, on constate des fluctuations plus importantes par rapport à la courbe de tendance à partir de 1990 qui peuvent être attribuées aux alternances des conditions pluviométriques devenant de plus en plus prononcées suite au changement climatique.
Par ailleurs, on constate que la production agricole est croissante pour la plupart des produits (figures 2, 3, 4, 5, 6) à l’exception de la production des raisins caractérisée par une chute importante entre 1960 et 1980 qui peut être liée à une décision politique.
Plusieurs secteurs de production agricole sont dépendants des conditions climatiques qui peuvent se traduire par des périodes de production insuffisante. Pour pallier les périodes creuses de production, il y a lieu de transformer, entreposer, et/ou conditionner les excédents de la production agricole, ce qui permet de garantir à l’agriculteur l’écoulement de son produit, et de lui assurer la pérennité de son activité. A cela s’ajoute un changement du mode de vie des ménages qui est devenu presque exclusivement dépendant des produits transformés tels que les pâtes, les conserves, etc. et où la notion d’«eloula» n’est plus à l’ordre du jour. Ces facteurs socioéconomiques et culturels ont incité l’émergence du secteur de l’agroalimentaire. Ce secteur joue de plus en plus son rôle naturel de locomotive de l’agriculture tunisienne en assurant la transformation, le conditionnement et/ou l’entreposage des excédents. Il permet de réduire les effets des périodes creuses de production et de la surproduction en jouant le rôle de régulateur des prix des produits de consommation.
Le secteur agroalimentaire joue un rôle important au sein du tissu industriel tunisien, il est le deuxième secteur industriel sur les plans de la production et de la valeur ajoutée. Ce secteur a connu un accroissement de production de plus de 40 % depuis 2004. Alors que le taux d’accroissement de la valeur ajoutée est resté presque inchangé pour les cinq dernières années correspondant à une production de 27% , malgré une tendance croissante (figures 7 et 8).
Le secteur des industries alimentaires est la deuxième activité en termes de contribution à la valeur ajoutée des industries manufacturières. Depuis 1994, cette activité contribue à hauteur de 17.5% en moyenne dans la part des valeurs ajoutées, se plaçant ainsi après les industries du textile et du cuir. Alors que l’accroissement du secteur agricole entre 1991 et 1998 était de l’ordre de 1%, celle de l’agroalimentaire se situait autour de 3.5%.
L’agroalimentaire en Tunisie est composé essentiellement de huit activités principales, l’abattage des animaux qui représente environ 23%, l’activité industrielle de transformation des grains (18%), les huileries et corps gras (15%), la fabrication des boissons (9%), les activités liées aux industries du tabac, des conserves, des industries laitières, et du sucre et qui sont de l’ordre de 7% chacune. Bien que ce secteur emploie environ 73 000 personnes et représente 10% des biens exportés, cette activité souffre de certaines difficultés liées à l’irrégularité de l’approvisionnement des produits agricoles, à la vétusté des équipements, à l’insuffisance des normes d’hygiène, à la prédominance des petites sociétés familiales aux faibles moyens techniques et financiers caractérisées par un taux faible d’encadrement.
Un cadre juridique approprié a joué un rôle déterminant dans l’installation des sociétés étrangères où plus de 100 entreprises sont montées en financement mixte dont 26 entreprises sont totalement des sociétés étrangères. Ce montage d’entreprises agroalimentaires permet un transfert de technologie aux partenaires tunisiens et garantit l’accès de nos produits aux marchés européens. Ces entreprises ont des activités liées aux secteurs du lait, des biscuits, de l’huile et la matière grasse, et des emballages alimentaires.
Le marché européen constitue le lieu approprié d’écoulement des produits agricoles tunisiens transformés où l’Italie est le premier pays importateur des produits tunisiens, suivie successivement des marchés espagnol et français. Durant les quatre dernières années, ce secteur a connu un développement qui avoisine 705 millions d’euros en 2009.
La Tunisie a été classée meilleure économie en termes de compétitivité de la rive sud de la Méditerranée (Global Competitiveness Report 2008-2009). Le pays dispose de ressources humaines comparables, en termes de qualité et de performance, à celles de la rive nord de la Méditerranée. En effet, en Tunisie on compte plus de 450 ingénieurs spécialistes et 770 techniciens supérieurs qualifiés. L’emplacement géographique de la Tunisie, par rapport à l’Europe, au Moyen-Orient et à l’Afrique, facilite les échanges commerciaux. En effet, la Tunisie n’est qu’a 140 km de la Sicile, ce facteur de proximité est décisif en agro-industrie où le temps de transport est un facteur déterminant.
Le pays dispose de sept aéroports internationaux desservis par plus de 100 compagnies étrangères et assurant plus de 1 300 vols par semaine. Il dispose également de sept ports maritimes qui peuvent assurer la qualité du transport des produits alimentaires. L’orientation stratégique tunisienne de l’agro-industrie est d’atteindre les qualités requises des normes internationales en introduisant de nouvelles gammes à haute valeur ajoutée telles que les produits nutritionnels et fonctionnels, la mise à niveau des circuits de distribution, la collecte et le transport, et la certification du plus grand nombre possible d’entreprises agroalimentaires.
Sur le plan juridique, le but est d’atteindre les normes et la réglementation européenne. Quant à l’objectif quantitatif, la cible est d’atteindre une enveloppe d’exportation de 1 889 millions d’euros en 2016 contre 1 168 millions d’euros en 2011 (figure 7).
Toutefois, ces entreprises agroalimentaires génèrent des quantités importantes de déchets solides, liquides ou gazeux qui constituent, dans certains cas, des nuisances aux populations riveraines.
Certains déchets liquides provenant d’unités de conserves de tomates et de thon et des unités de transformation des olives notamment peuvent contaminer les nappes phréatiques dans les cas de mauvais traitement. Cela peut compromettre nos réserves hydriques qui sont déjà limitées. Pour minimiser les effets de contamination, la Tunisie a créé un fonds de dépollution (FODEP) pour aider les entreprises à traiter leurs effluents contaminés avant rejet dans les milieux récepteurs naturels.
Certaines entreprises n’ont pas encore totalement adhéré à ce programme mais la conscience acquise des citoyens et de la société civile, après la révolution, les inciterait à se conformer aux normes et à bénéficier des avantages du respect de l’environnement imposé par la réglementation européenne.
Des pratiques d’irrigation de certaines spéculations agricoles dans des zones arides et semi- arides naturellement inappropriées à ces pratiques méritent d’être repensées. A ce titre, les tomates contiennent une quantité importante d’eau (environ 97%) et nécessitent en conséquence des quantités d’eau d’irrigation en rapport de l’ordre de 780 à 800 mm par hectare dans les régions de faibles précipitations et où ces fruits sont destinés a la transformation.
Lors de la transformation en double concentré de tomate, une quantité importante d’eau est évaporée par un chauffage puisant également sur les réserves énergétiques tunisiennes déjà limitées.
Les unités de transformation de tomate rejettent une quantité d’eau usée d’environ 1m3/tonne de tomate traitée. Cette quantité s’ajoute à celle employée dans l’irrigation pour un rendement moyen de 46 tonnes à l’hectare. Malgré l’assistance financière du FODEP, une grande partie des unités de transformation de tomate ne possèdent pas de stations de traitement des eaux usées et/ou ne font pas fonctionner leurs stations si bien qu’une quantité importante de cette eau se trouve déversée dans la nature, créant une contamination environnementale.
Ces spéculations agricoles qui puisent dans nos ressources naturelles (eau, sol, énergie…) doivent être révisées dans l’optique d’un usage rationnel de ces ressources, un usage qui peut préserver tout au moins partiellement nos ressources pour les générations futures. En effet, l’irrigation en Tunisie consomme actuellement plus de 83% des volumes distribués à tous les secteurs. Cette part devrait baisser au cours des années à venir compte tenu de plusieurs facteurs (économie d’eau, choix des cultures, etc.).
L’agriculture tunisienne emploie des engrais chimiques, des pesticides, des herbicides et des insecticides qui sont totalement ou partiellement solubles dans l’eau. Les eaux d’irrigation et/ou pluviales chargées s’accumulent au niveau de la nappe phréatique qui peut, dans certains cas, être contaminée et impropre à l’utilisation. Des études de 2011 ont montré que l’utilisation du sol en pratiques agricoles lui fait perdre 2% en moyenne annuellement de sa fertilité.
La perte de fertilité des sols, l’épuisement de nos ressources hydriques et énergétiques doivent être pris en considération dans les politiques agricoles futures pour assurer un minimum de préservation des ressources naturelles tunisiennes aux générations futures.
L’utilisation des eaux usées en agriculture pourrait constituer une alternative relativement importante en admettant que certains problèmes inhérents à l’utilisation de cette eau soient réglés dans l’avenir tels que le traitement tertiaire qui permettra ainsi l’extension de la gamme des cultures plus rémunératrices irriguées par cette eau. A l’horizon 2013, l’exploitation agricole tunisienne sera d’environ 6 ha, alors qu’elle était de 16ha en 1960. Cette réduction de taille des exploitations agricoles se traduira par un accroissement du coût de production. Il est donc nécessaire d’orienter le mode de production agricole tunisien vers des secteurs économiquement porteurs. D’autre part, les agriculteurs tunisiens ne disposent pas de moyens financiers leur permettant d’acquérir les produits chimiques nécessaires à la production devenus de plus en plus chers.
Pour sauvegarder cette noble profession d’agriculteur, assurer le maintien en activité d’une tranche importante de la population active (18%), et préserver nos ressources naturelles, beaucoup de réformes sont possibles (politique de financement de proximité, solutions aux dettes des agriculteurs, regroupement d’agriculteurs en sociétés de services, apurement foncier, etc.), sans oublier d’encourager l’agriculture biologique dont le marché est en extension rapide, et ce, malgré les difficultés que rencontre ce type d’agriculture dont notamment l’organisation de la commercialisation et d’œuvrer à l’élaboration de labels aux produits phares tunisiens.
S.H.
(*)Ph.D Engineering USA
Ancien assistant a l’Université d’Etat du Kansas (USA)
Ancien Directeur général de l’Ecole Supérieure des Industries Alimentaires de Tunis (ESIAT)
Ancien Secrétaire d’Etat auprès du Ministre de l’Agriculture et del’Environnement
Charge de l’Environnement (2011), Professeur à l’ESIAT
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