Les transferts en football : Une kermesse opaque
Lorsque l’équipe de Tunisie a obtenu sa victoire, le 2 juin1978 à Rosario, aux dépens du Mexique (3-1), elle ne comptait dans ses rangs que deux professionnels, l’un titulaire, Temime Lahzami (Ittihad Jeddah), et l’autre remplaçant, Mokhtar Hasni (La Louvière – Belgique). Notre football était donc compétitif à l’échelle mondiale d’autant que dans la foulée, la Tunisie domine sans marquer face à la Pologne (0-1)puis accroche les Allemands, champions du monde en titre (0-0). C’est même cette Coupe du monde qui commercialisera nos internationaux, partis pour la plupart en Arabie Saoudite, provoquant ainsi un grand engouement pour le football avec les prolongements qu’on connaît. D’ailleurs c’est ce même Temime qui a créé l’événement en 1970 en passant, à 21 ans, du CSHL à l’Espérance.
Mais il a fallu attendre seize ans pour assister à l’instauration du non-amateurisme en Tunisie. Me Raouf Najar, président de la FTF depuis avril 1994, était parvenu à la conclusion que la situation hypocrite d’une compétition gangrénée par l’argent avec le statut amateur ne pouvait plus durer et ne servait les intérêts de personne, étude à l’appui. En réalité, il n’a fait que synchroniser les textes avec la pratique. Ainsi était partie la course aux talents avec comme caractéristique la prédominance des clubs nantis. Les prémices étaient perceptibles avant la proclamation, l’été 1996, du non- amateurisme – concept aligné sur la terminologie FIFA–, puisque déjà quelques transferts avaient fait sensation: Farouk Trabelsi et Imed Ben Younès du SRS enrôlés par l’Etoile pour 150 et 200 mille dinars et Khaled Badra, arraché à la JSK par l’Espérance de Chiboub pour 100 mille dinars
Après 1996, le marché des transferts s’est donc carrément ouvert avec des méthodes qui n’obéissent à aucune charte, la loi du plus fort, ou plutôt du plus offrant, prévalant à tous les coups. Ce sont naturellement les divisionnaires qui sont les plus sollicités en raison de la valeur technique de leurs talents, la précocité en prime. Mais les rivalités entre les quatre clubs les plus argentés grâce à leur ancrage économique (EST, ESS, CA, CSS) finissent par doper le marché des transferts : ainsi le Marsois Emir Mkademi est recruté, en 2001, par l’Etoile Sportive du Sahel pour trois cent cinquante mille dinars. Malheureusement le retour sur investissement n’a pas eu lieu pour des raisons d’intégration tant sportive que sociale.
La galère qui a suivi a promené le joueur à travers plusieurs clubs sans qu’il parvienne ni à s’imposer ni à se sédentariser. En somme, un grand gâchis car le talent du joueur s’est évaporé. Le nomadisme des joueurs sera au demeurant la principale caractéristique de ce professionnalisme devenu moribond et qui a surpris son propre artisan, lequel avait quitté le navire aussitôt le projet adopté. C’est qu’il croyait que ses successeurs étaient capables d’accompagner la formule par des mesures graduelles pour la rendre viable, maîtrisée et protectrice des clubs démunis. Illusion ! L’inconstance des bureaux fédéraux et des présidents - onze en quinze ans - a exclu le terme réforme du lexique footballistique.
Ainsi, c’est la mobilité des joueurs qui a gangréné la quasi-totalité des équipes professionnelles avec parfois un taux de renouvellement de l’effectif d’une saison à l’autre frôlant les 90%. Là aussi ce sont l’inconstance des bureaux directeurs des clubs ainsi que le renchérissement des ressources financières qui expliquent cette défiance des joueurs qui ont trouvé la parade : des contrats court terme - allant jusqu’à six mois grâce au mercato d’hiver - ce qui leur permet de négocier en position de force et, partant, de mieux soutirer des primes et des salaires.
Dans les bilans des clubs, le poste «primes et salaires» occupe, et de loin, la première place des charges. Cela affecte lourdement la gestion des clubs et compromet les relations qui les unissent avec leurs créanciers, le nombre de saisies sur les comptes de certains clubs ainsi que les procès intentés.
L’avènement des joueurs étrangers
En réalité, le football tunisien a connu un foisonnement de joueurs étrangers avant l’indépendance. C’étaient essentiellement des Français dont certains nés en Tunisie et qui ont fait les beaux jours des clubs et de la sélection. Mais en matière de recrutement de non-Tunisiens, c’est le CSHL de Slaheddine Bey qui s’est permis de faire appel à des Libyens (Zgouzi, Abdelhafidh et Abdesslem) ou des Algériens ( Hammoudi, Aissa, Chabri, Abdelkader). Ce qui lui a permis de dominer de 1950 à 1956 la compétition dans des conditions marquées par le fait du prince. Ce n’est qu’en 1969 que la mode refit surface avec l’arrivée du Congolais Matsima à l’Espérance ( cédé en 1972 au CSHL) , puis de son compatriote Daniel au Stade Tunisien, le club le plus proche de l’Institut des Sports où il a poursuivi ses études. Depuis, calme plat jusqu’à l’arrivée du Zambien Kenneth Malitoli à l’EST et aux principaux transferts réalisés en Tunisie à l’époque de l’amateurisme. Les plus réussis ont été ceux de :
• Mohamed Khan (CAB),
• Fodhil Magharia (CA),
• Cheikh Seck (EST),
• Malik Zorgane (USMo),
• José Clayton (ESS).
Dès l’instauration du professionnalisme, le marché des transferts a permis aux clubs de bénéficier d’une soupape pour combler les besoins partiels. Rapidement, le phénomène prendra de l’ampleur. Malheureusement, beaucoup de recrutements n’ont pas répondu aux attentes. Les plus célèbres sont ceux de Tchala (CA), les plus réussis sont ceux de Hadda ( Camacho) au CA, de Santos à l’ESS, de Eneramo à l’EST, etc., comme l’illustre la naturalisation de Clayton et de Santos. Trois clubs ont même bénéficié de grands dividendes des transferts de joueurs vers des clubs étrangers : ESS, CSS et EST. Au moins cela pouvait servir à rééquilibrer le mouvement des devises.
Querelles sportives
Certains transferts ont connu des rebondissements spectaculaires où l’éthique était le dernier souci des protagonistes. C’est le cas de Hassen Gabsi et du Marocain Mohamed Badraoui, convoités par l’Etoile et enrôlés par l’Espérance,
C’est également le cas de l’Algérien Djabou, sollicité simultanément par l’Espérance et le Club Africain et atterrissant chez ce dernier à un prix jamais consenti : 1,8 million d’euros, soit 3,6 millions de dinars. Une opération qui rappelle le transfert refusé par Riva(Cagliari) à la Juventus en 1970 pour un milliard de lire: «Je suis incapable d’endosser la responsabilité sportive d’une telle transaction financière». Djabou peut-il répondre à l’obligation de résultat découlant de l’effort financier du CA? Ce sera là l’une des curiosités de la prochaine saison.
L’événement
Youssef Msakni est un joueur formé au Stade Tunisien. Il lui a suffi de briller aux championnats du monde des -17 ans pour être convoité par d’autres clubs ; c’est l’Espérance qui parvient à l’enrôler avec le concours discret de son père Mondher Msakni, ancien Cotiste et qui a terminé sa carrière au Parc B,. Le joueur montre d’emblée un talent immense mais doit s’accommoder de la présence à ses côtés d’un patron : Oussama Darragi. C’est après le départ de ce dernier en Suisse que Msakni s’est éclaté pour s’imposer comme le meneur de jeu et le buteur de son équipe. C’est donc très naturellement qu’il a été convoité par plusieurs équipes européennes. Mais c’est le club Lakhouya du Qatar qui obtient l’accord de l’Espérance : contre onze millions d’euros, le joueur portera les couleurs du club dès le 1er janvier 2013. C’est le plus gros transfert jamais réalisé par un club tunisien. Si le joueur confirme son ascension, ce qui est dans l’ordre des choses, il y a fort à parier que les nouveaux repères financiers suivront.
Avant lui, beaucoup de Tunisiens se sont engagés dans des aventures professionnelles avec plus ou moins de bonheur. C’est Hatem Trabelsi qui a eu l’honneur d’évoluer au sein de l’un des grands d’Europe, Ajax Amesterdam. Par contre, le transfert de Jamel Limam, l’un des joueurs les plus doués de sa génération, en 1988 au Standard de Liège, s’est soldé par un énorme gâchis alors que son potentiel le prédestinait à un parcours exceptionnel. Le plus malchanceux est Yacine Chikhaoui qui a connu en Suisse toutes les infortunes (blessures récurrentes, hostilité sociale). Et c’est Aymen Abdennour qui parvient à s’imposer à Toulouse au point de devenir intransférable ( il est sollicité à 13 millions d’euros).
Ainsi donc le football tunisien continue à s’exporter malgré toutes les insuffisances constatées et les disparités entre les clubs et les régions.
M.K.
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