Une mosaïque incomplète
Le paysage politique tunisien est en recomposition constante, depuis les élections d’octobre dernier. De défections en ralliements, de scissions en regroupements, les partis se défont et se refont et les lignes de fracture sont de plus en plus marquées. Le paysage semble petit à petit s’éclaircir pour organiser le camp démocratique en trois forces principales, de la gauche populaire aux libéraux destouriens, en passant par les centristes socio-démocrates organisés autour de Nidaa et d’El Joumhouri et El Massar.
Avec Ennahdha à l’extrême droite de la carte, le paysage politique tunisien serait complet et cohérent et chaque électeur devrait y trouver l’orientation politique qui le représente le mieux. Seulement, ce découpage n’est que socioéconomique et ne tranche pas la question du modèle de société, car entre le modèle wahhabite prôné par Ennahdha et ses partisans et le modèle moderniste porté par la frange progressiste, il manquera toujours la version d’une Tunisie, que je crois majoritaire, conservatrice et traditionaliste, mais néanmoins tolérante, ouverte et apaisée. Celle qui le 23 octobre a grandement contribué, par aveuglement, au succès d’Ennahdha, quand elle ne s’est pas portée sur le CPR et Ettakatol, qui ne sont plus aujourd’hui que l’ombre d’eux-mêmes, tant la proximité avec le diable les a tous deux consumés.
Ces deux partis avaient beaucoup à gagner en jouant collectif, face à leur faiseur de gloire, mais ils n’ont pas résisté au chant des sirènes, et dès le départ s’opposèrent l’un à l’autre. Manipulés par le jeu des nominations aux maigres postes qui leur furent accordés, de mauvaise grâce, par Ennahdha, en mal de maroquins pour satisfaire ses propres troupes.
Si le CPR n’est plus qu’une coquille vide, dont les convictions ne tarderont pas à se dissoudre dans les eaux d’ablutions de son seigneur et maître, Ettakatol, ou ce qu’il en reste, n’est plus, lui, qu’un appareil asservi aux ambitions d’un président autiste, qui se sera dépouillé de tous ses principes en chemin, et qui espère encore convaincre qu’il avait ses raisons, seul contre tous.
Ce qui manque donc à cette mosaïque, c’est un parti fier de nos origines, qui ne cherche pas à plaquer le curseur de nos traditions sur le passé des autres, confondant Histoire et histoires. Un parti qui accepte d’embrasser l’ensemble des influences qui ont construit la Tunisie par strates successives, aujourd’hui cimentées par le temps. Un parti tunisien avant tout, sans complexe vis-à-vis de quiconque, et sans velléités de transformer la société en ce qu’elle n’est pas.
Un parti qui représente une forme de conservatisme traditionaliste, ancré dans une vision khaldounienne, attachée à une forme d’orthodoxie maghrébine, arabe, mais viscéralement opposée à la vision orientaliste arabo-persane. Une vision qui met en avant la dichotomie arabe entre les origines villageoises (donc issues de la cité), majoritaires au Maghreb, et celle des nomades bédouins d’Arabie.
Cette dichotomie qui exalte dans nos origines arabes, l’ordre et la culture, issues de l’histoire de nos cités. Ces cités historiques, puniques et surtout romaines, qui ont introduit une organisation et des lois et donc une forme de tradition chez nos ancêtres, bien avant l’avènement de l’Islam.
L’une des dispositions principales issue de la romanisation de la Tunisie en fut l’urbanisation, qui avait déjà dessiné, peu ou prou, le découpage actuel du pays : un arrière-pays grenier et des villes littorales ouvertes sur le commerce et l’exportation. Cette répartition des rôles n’avait pas qu’une portée économique, elle s’appuyait aussi sur une différenciation sociologique des populations.
L’apport de l’urbanisation fut varié, tant la vie en communauté élargie suppose l’existence d’un pouvoir légitime, de règles de droit mais aussi de services publics communs. C’est sous Rome que l’on connaîtra l’organisation en «municipe», et que l’Africa deviendra l’une des régions les plus urbanisées de l’empire.
Le concept de citoyenneté sera mis en œuvre très tôt, avant d’être élargi à tous les citoyens libres de l’empire, en l’an…212. Une forme de dualité du pouvoir s’exerçait même, avec un préfet (ou proconsul), nommé par le sénat de Rome, et une armée placée sous le contrôle de l’empereur. Ce même schéma était reproduit à l’échelle locale.
Cette urbanisation, qui donna naissance à une organisation communautaire, n’est probablement pas étrangère à la résistance qu’opposera l’Ifriqiya au pouvoir arabe venu d’Egypte ou de Damas. Il faudra du temps et plusieurs générations pour islamiser son peuple millénaire, qui n’avait pas attendu les Arabes pour être un peuple civilisé.
Ce fut à l’Islam de s’adapter au mode de vie des populations, lorsqu’entré au Maghreb il se trouva face à une civilisation où le droit était dit par des tribunaux « du peuple », et où la femme avait déjà sa place.
Dans la Rome antique, faut-il le rappeler, la femme était un héritier à part entière, elle pouvait répudier son mari (la monogamie était la règle), témoigner devant un tribunal et — suprême reconnaissance — avait droit à l’éloge funèbre au même titre que l’homme. C’est dans ces principes historiques que notre nation est enracinée, les islamistes feraient mieux de ne pas l’oublier.
Plus tard, j’aime à penser que Bourguiba accordera un statut avancé à la femme tunisienne, plus par reconnaissance — de son rôle dans la société, et dans le combat contre la colonisation, convaincu de son rôle d’associé à part entière et non de complémentaire de l’homme. Il n’était pas envisageable que la petite-fille d’Alyssa soit au même rang que les bédouines de la péninsule, même si, dans cette région, une certaine minorité n’avait pas démérité après l’avènement de l’Islam, se mettant en avant par les sciences et la culture, y compris le « fiqh ».
Mais assez rapidement, les musulmans d’Orient vont enterrer les femmes. Ils ont pour cela triché et masqué la vérité, en occultant l’histoire des savantes de l’Islam, pour les jeter aux oubliettes, avant qu’elles ne soient recluses dans les harems, objet de plaisir et de frivolité. La civilisation musulmane, dès lors, ne survivra pas à la marginalisation de la femme. Aujourd’hui, elles ont quitté les harems pour être reléguées au fond des salles de prières.
Ce concept de la complémentarité sorti par Ennahdha, comme le lapin du chapeau, est crucial pour la suite du projet d’islamisation. En effet, la place de la femme dans la famille et la société est l’un des fondements de l’organisation sociale islamiste.
Et, si l’Islam valorise la femme à la moitié d’un homme (dans l’héritage, le témoignage ou encore la dette de sang), c’est justement parce qu’elle n’aurait pas la charge de la famille, ni la capacité d’assumer des responsabilités au-delà de celles du foyer.
Accepter ce concept ouvrirait inexorablement la voie à un ensemble d’autres idéaux islamistes, dont le premier serait l’exclusion de la femme du champ économique et du travail. Si la femme n’a pas la charge matérielle de la famille, alors son travail devient une frivolité, un luxe, tandis que celui de l’homme est une nécessité, un droit. D’autant que l’homme doit veiller à garder sa dignité, pour asseoir son autorité de chef de famille, et imposer à sa femme obéissance et satisfaction de ses désirs. Il faut reconnaître qu’écarter plus de la moitié des candidats au travail permettrait aux médiocres de retrouver quelques espoirs.
Ce concept met en avant le décalage profond entre le projet politique des islamistes et les idéaux de la révolution. Objectivement, la liberté et la dignité, dans l’égalité et le travail, sont totalement incompatibles avec une idéologie qui exclut de facto la moitié de la population. Mais là n’est pas le pire, car dans la vie politique il y a toutes sortes d’idéologies, et celle-ci en est une, qui peut être combattue.
Ce qui est surprenant et choquant, c’est l’indécence du comportement des gouvernants actuels à s’octroyer avantages et passe-droits, dans un contexte de crise postrévolutionnaire où les moyens sont limités et les attentes innombrables. Ils souffrent manifestement d’une forme politique du syndrome de Stockholm, où le prisonnier finit par s’identifier à son geôlier, dans son comportement, ses habitudes et ses valeurs.
A cette étape de la révolution, seuls les privilégiés du système ont changé, nous avions un gardien de prison au pouvoir, aujourd’hui ce sont des gardiens de musée. Une idéologie fascisante et des pratiques mafieuses, c’est cela dont il faudra se souvenir au moment de glisser le prochain bulletin dans l’urne, si l’occasion nous en est donnée. Oui ! Avant même de songer à gagner les prochaines élections, le camp démocratique devrait d’abord s’assurer de deux choses, la première: que ces élections auront bien lieu, et la seconde : qu’il a la capacité de limiter les tentatives de fraude massive qui ne manqueront pas (selon le syndrome de Stockholm, toujours).
W.B.A.
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J'ai commencé a lire et a m'interesser aux idees jusqu'a ce que j'ai lu cela: "le CPR et Ettakatol [...] tant la proximité avec le ***diable*** [...]" alors là j'ai realise que ce n'est qu'un autre nahdhaphobe qui joue sur la peur des gens et qui n'a rien de plus a m'ajouter, juste un autre extremiste qui qualifie de **diable** tous ceux qui diffèrent avec lui ideologiquement ou politiquement, donc pas tres different de ceux qui l'appellent **kaffir** ou **harkis** lui et tous les francophiles Tunisiens. Donc ... bon courage
S.V.P.. ; ayez pitié de nous Tunisiens, comme vous dites la majorité. Je n'ai pas lu votre article jusqu'au bout car on trouve la même chose. Rien de positif. Comme dans les années 60 on a su nous faire dégouter les coopératives de si Ben salah , on va ( on a commencé d'ailleurs en écoutant les Tunisiens que je côtoient) la politique. Il n’y a rien de nouveau dans votre article : C'est l'anti-Nahdaoui et l'anti-Islam aveugles, la destruction et même l’anéantissement des autres mouvements ou tentatives. Alors qu'on sait tous que tous est entrain de se reconstruire ou se construire sauf pour Ennahda (je ne sais pas comment elle mieux préparé que les autres. A-t-elle été avisée ? Par qui ou plutôt quelle puissance ? En fait ; les Tunisiens évoquent plusieurs que tous le monde maintenant connait). Je crois que finalement le gâteau qui a servi pendant 50 ans à enrichir une minorité de Tunisiens peut enrichir tous ces partis. Et ; en oukhaien, rassemblons nous dans une coalition nationale et gouvernons ce pays. Et pour cela ; la proposition de si Moalla est la mieux adaptée à la situation. Vous n'allez pas me dire que les partis ont des différences politiques. Sur quoi ? La Tunisie n'a pas assez de degrés de liberté pour décider dans le monde. Elle est petite et pauvre. Elle n'est riche que par son peuple. Si elle était bien dirigée jusque là ou même dans le futur ; elle serait avec les pays asiatiques émergents. L'islam c'est pour tout le monde ; il ne faut pas en abuser. Il faut qu'il reste comme référence comme il a toujours été d'ailleurs. C'est pour ça il faut que la politique soit dissociée de la religion, sans parler du mot qui fâche '' la laïcité''. Bidouni Takfir ; chacun vit sa vie et applique sa religion comme il l’entend. Il sera tout seul au tombeau pour répondre de ses actes envers son créateur. Il y a qu'en même un minimum pour tour tout le monde qu'il ne faut pas ignorer et respecter. Pas de provocations des sensibilités des uns et des autres. Il faut faire attention aux influences étrangères d'où qu'elles viennent sans oublier qu'on a besoin d'eux, à moins qu'on ne veuille plus mener la belle vie!! Ces influences existent bien d’ailleurs parmi les raisons de la destruction du bloc communiste était sa fermeture sur lui-même pensant ainsi éliminer toute influence étrangère. Mais on a vu le résultat. La vie est courte et chacun veut la mener comme il l’entend. C’est le force du libéralisme d’ailleurs. Pensez y messieurs et donnez nous ce qui nous avance.