Christiane Abbas Darbor
Trois Christiane Abbas Darbor Couerbe, au moins, méritent d’être connues. La journaliste militante pour l’indépendance des pays du Maghreb, la correspondante de presse à Tunis et l'épouse de Hassen Abbas, ambassadeur de Tunisie qui a dignement représenté notre pays à l’étranger. En nous quittant le 20 mai 2009, elle laisse un souvenir indélébile à tous ceux qui l'ont connue ou apprécié ses articles.
Pour mieux éclairer son parcours, les témoignages de l’USFP( gauche marocaine) et de MM. Hamed Zeghal (en sa qualité d’ancien directeur de l’Information) et Mustapha Masmoudi (ancien haut responsable puis Secrétaire d’Etat à l’Information) sont émouvants. Quant à Si Hassen Abbas qui s’apprête à franchir, ce 12 juin, sa 82ème année, il ne peut contenir sa peine de voir s’éteindre sa compagne de 50 ans. Leurs deux filles, Sophie et Selma, n’arrivent pas à en faire leur deuil.
L’épopée marocaine
Pour les plus jeunes d'entre nous, rappelle l’USFP dans l’hommage qu’il vient de lui rendre à partir de Casablanca, Christiane Darbor fut du temps du Protectorat français au Maroc l'un des éléments les plus actifs de ce groupe de Français dits "libéraux" signataires de la lettre des 75 dans laquelle ils soutenaient la cause des nationalistes marocains dans leurs revendications pour l'indépendance et la souveraineté du pays. L'un des signataires de ladite lettre des 75, Lemaigre-Dubreuil, a été assassiné sur l'instigation d'Action Française, groupe colonialiste qui militait pour le statu quo.
Après l'indépendance du Maroc, Christiane Darbor avait apporté son expérience et son talent à la rédaction de l'hebdomadaire Al-Istiqlal qui était l'organe (francophone) du Parti, et ce, au sein d'une équipe de rédaction qui comprenait Mehdi Ben Barka, M'Hammed Boucetta et Abderrahim Bouabid entre autres.
Le 22 octobre 1956, Christiane Darbor se trouvait dans l'avion qui transportait les leaders algériens (dont Ben Bella, Aït Ahmed, Khider et Boudiaf) de Casablanca à Tunis et qui avait été détourné sur Alger par les militaires français. Elle devait couvrir pour Al Istiqlal la visite du Roi Mohammed V à Tunis.
Ses compagnons d'infortune lors de ce détournement perpétré par l'Armée de l'Air française, se rappellent tous avec émotion la manière courageuse avec laquelle elle affronta, après l'atterrissage forcé de l'avion à Alger, les auteurs du rapt et les avanies que ceux-ci lui infligèrent avant de l'expulser manu militari d'Algérie.
Par la suite, Christiane s'était établie à Tunis en tant que correspondante de l'agence United Press puis du journal Le Monde. Elle épousa Hassan Abbas qui fut l'un des premiers directeurs de la radio tunisienne après l'indépendance de ce pays.
Lors du procès Ben Barka qui suivi l'assassinat de l'opposant marocain en 1965, elle n'avait pas hésité pas à faire le voyage à Paris pour venir témoigner et apporter son soutien et son réconfort à la famille de Ben Barka. Nul doute que beaucoup de personnes, d'abord au Maroc mais également en Algérie et en Tunisie garderont de Christiane Darbor le souvenir d'une grande journaliste qui se faisait une haute idée de son métier se faisant un point d'honneur de mettre sa plume au service des grandes causes et notamment celle de la liberté des pays de ce Maghreb auquel elle était très attachée. Les Maghrébins le lui rendaient bien, d'ailleurs, comme en témoignent les nombreux messages de condoléances de ses nombreux amis de Tunisie et du Maroc reçus par son époux et ses deux filles: Abderrahmane Youssoufi, l'ancien premier secrétaire de l'USFP, ainsi que Mohamed Dahbi, ancien compagnon de Ben Barka, du Maroc ont été parmi les premiers à s'associer à leur deuil.
Une vraie tunisienne, militante et une journaliste de talent
« Que puis-je dire en ce moment de tristesse? Confie M. Hamed Zeghal à Leaders, affligé par la nouvelle. C'est vrai qu'en raison des fonctions que j'avais assumées il y a de cela un demi-siècle, j'avais connu nombre de grands journalistes: envoyés spéciaux et correspondants permanents de presse. En ce moment, ma mémoire ne m'a livré que quelques noms: Tom Brady, les Mattews, Jean Daniel, et surtout Christiane Darbor.
Je crois que j'étais l'un des premiers Tunisiens que Christiane avait connus. Elle était venue m'annoncer qu'elle quittait le Maroc pour s'établir à Tunis. J'avais trouvé en elle une grande dame, volubile, mais courageuse, sincère et instructive, et en même temps une militante dévouée au service du droit des peuples maghrébins, tout en étant une journaliste de talent, active et objective.
Après avoir été chef du bureau de l'Agence Centrale de Presse (ACP), Christiane avait ouvert pour la première fois à Tunis le bureau de l'Agence United Press International (UPI). A l'époque, la matière ne manquait pas. Tunis était à la fois le siège du Gouvernement tunisien et le siège du Gouvernement Provisoire de la République Algérienne (GPRA).
La guerre d'Algérie battait son plein, et les incidents diplomatiques et militaires entre la Tunisie et la France se succédaient, de plus en plus graves et tragiques, tels le bombardement de Sakiet Sidi Youssef et la guerre de Bizerte. Christiane, par le canal de UPI, avait pleinement contribué à faire connaître les thèses tunisiennes et algériennes, et même à les faire prévaloir dans l'opinion internationale.
Christiane s'était mariée avec un ami, Hassen Abbas qui était chef de service au journal Assabah, puis à la Radio tunisienne. Je les ai rencontrés pour la dernière fois à Ottawa, où Hassen était nommé Chargé d'affaires de l Tunisie. Elle était alors mère de deux enfants, éloignée du tourbillon de l'Actualité.
«Les 3 Christiane»
Un autre témoignage éloquent, celui de M. Mustapha Masmoudi:« Je voudrais, tout d’abord, présenter par le biais de Leaders, l’expression de mes condoléances les plus attristées à son époux, mon frère, Hassen, à ses filles et à toute la famille de la presse tunisienne. J’ai connu les trois Christiane. En effet, j’ai suivi son parcours en tant que lecteur durant une longue période; D’abord Christiane Couerbe- nom de jeune fille- lorsqu’elle faisait ses premiers pas dans la presse marocaine. Ensuite, Christiane Darbor, comme correspondante à partir de Tunis du journal «Le Monde», puis « Le Figaro ». Enfin, j’ai travaillé avec elle dans une parfaite entente durant les années 86-87, lorsque j’ai dirigé le quotidien tunisien « L’Action ».
Je me souviens encore, comme jeune fonctionnaire du ministère de l’information de sa pertinente observation, lorsque j’accompagnais les correspondants de la presse étrangère à l’aéroport pour assister à l’arrivée ou au départ du chef de l’Etat tunisien ; tout le monde de la presse quittait le salon d’honneur sauf feu R. Matthews et Christiane Darbor; le premier prétextait qu’il était de sa responsabilité de couvrir le voyage jusqu’aux dernières limites de l’espace aérien tunisien, et Christiane précisait qu’elle préférait achever son article sur les lieux de l’évènement pour mieux couvrir l’ambiance, et lorsque je lui rappelais qu’elle n’était pas en train d’écrire, elle me disait que tout était en train de s’enregistrer dans sa tête et que cela sera couché sur le papier plus tard, sans problèmes.
Que Dieu ait son âme et qu’elle reste un modèle pour les jeunes chevaliers de la plume en Tunisie, au Maghreb, et en France.
Hassen Abbas, le journaliste, le diplomate, le compagnon fidèle
On ne peut pas évoquer Christiane sans parler, ne serait-ce que brièvement de son époux Hassen Abbas. Très jeune, engagé dans le mouvement national, il rallie, dès 1951, les premières équipes de militants férus de journalisme, qui intègrent le journal Assabah, porte-parole du Destour. Aux côtés des 3 Habib, Cheikhrouhou, Chatty et Boularès, et sous la houlette de Hédi Laabidi, il s’adonnera, 10 ans durant, pleinement à sa passion, vivant au cœur des évènements historiques.
Aux premières loges, il en était le témoin : le dernier quart d’heure pour l’Indépendance, la visite de Mendès France, le 1er juin 1955, le protocole du 20 mars 1956, le Congrès de Sfax en novembre 1955, moment inoubliable pour lui, la proclamation de la République, la Constitution de 1959, Bizerte… Ses reportages, interviews, enquêtes et commentaires ont écrit une partie de l’histoire de cette époque si riche, si mouvementée.
Un coup de foudre qui dura 50 ans
C’est à cette époque-là qu’il fera la connaissance d’une brillante consœur: Christiane Darbor Couerbet. C’était en 1958, elle arrivait du Maroc à Tunis pour couvrir une réunion maghrébine. Il succombera rapidement à son irrésistible charme. Et réciproquement, pour ne plus se quitter. Tous deux se trouvent pris dans ce grand tourbillon, partageant la même passion. Leur bonheur se poursuivra 50 ans durant.
Dès 1961, il est appelé à la Radio tunisienne, d’abord en tant que Conseiller puis en qualité de rédacteur-en-chef du journal parlé arabe. Quand on connaît l’actualité de ces premières années de l’indépendance, l’impact de la radio et l’exigence de Bourguiba, on mesure la lourde responsabilité qui lui tombait sur les épaules. Avec son sens de la mesure et sa sagesse, il s’en sortira à merveille ce qui lui vaut d’être nommé à la tête de la station en langue française de Radio-Tunis. Là aussi, il excellera. On lui doit notamment cette magnifique série « Connaissance de la Tunisie » enrichie par la musique tunisienne de Mannoubi Snoussi, les chroniques de Othman Kaak, bref, de vraies pépites.
Même en poste, rattrapés par l’actualité
Là aussi, le cycle de 10 ans, dans la carrière de Si Hassen Abbas, semble fonctionner. C’est ainsi qu’il rejoint dès 1970, le ministère des Affaires étrangères, pour une longue carrière diplomatique jusqu’à la retraite. Devenue épouse de diplomate, Christiane était contrainte d’abandonner le journalisme, troquant son nom de jeune fille, Darbor pour celui de Abbas. Au gré des affectations, elle suivra son mari et leurs deux filles, d’ambassade en ambassade. L’ardeur et le plaisir de travailler avec de grands ambassadeurs, notamment de la trempe de Taieb Slim, Mohamed Ben Fadhl, Néjib Bouziri et Taieb Sahbani, compensaient quelque part la mise en parenthèse du journalisme actif.
Ils croyaient atterrir dans des postes feutrés, les voilà rattrapés par l’actualité. A Genève, les agences de l’ONU sont en effervescence, au Caire, c’est la guerre du Ramadhan, à Madrid, c’est la mort de Franco et à Ottawa, la montée de Trudeau. Même les quelques coupures au Département à Tunis, où Si Hassen Abbes prend la direction Afrique Asie, s’avèrent mouvementées mais il gardera d’inoubliables souvenirs de ses missions, notamment au Japon et en Corée.
Savourant paisiblement sa retraite à Tunis, dans cette magnifique maison familiale construite par le père Cheikh Mohamed Abbès, à Montfleury, Hassen et Christiane dédient leur temps à la famille et aux amis. Jusqu’à ce 20 mai 2009, quand Christiane fut arrachée à l’affection de tous. Les siens sont certes inconsolables, mais son souvenir demeurera vivace.
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Touché par cette disparition d'une Grande Dame que la majorité des Tunisien(ne)s ne connaissaient pas faute d'information. Comme d'habitude, les jeunes ignorent ceux et celles qui travaillent pour faire briller l'image de la Tunisie, jusqu'à ce qu'ils disparaissent. Aucune mémoire n'est sauvée, hélas ! Bientôt plus d'histoire...
C'était une grande dame! Heureux de l'avoir connue.