Lu pour vous - 18.02.2013

Le Pouvoir du théâtre

Adel Habbassi/Gérad Astor por un printemps du théâtreTout a commencé en mai 2012 au cours d’une rencontre à Tunis entre Gérard Astoret Adel Habassi,les deux auteurs de Pour un printemps du théâtre : théâtre et culture en temps de révolutions, qui vient de paraître chez L’Harmattan. Gérard Astor,directeur du théâtre Jean-Vilar à Vitry-Sur-Seineséjournait alors en Tunisiepour préparer  le festival ‘Les Plateformes’ chez son ami tunisien Ezzeddine Gannoun, directeur du  théâtre El Hamra.  Quant à Adel Habassi, professeur de lettres françaises à la faculté des Lettres de La Manouba,il est un« grand amateur de théâtre ».Il avait notamment écrit sur Aimé Césaire et Mohammed Khaïr-Eddine.

De cette rencontre donc est né "Pour un printemps du théâtre : théâtre et culture en temps de révolutions". Comme son sous-titre, (Correspondance /entretien), l’indique, c’est une œuvre,en majeure partie épistolaire, où  tout naturellement, les courriels entre les deux hommes ont remplacé les lettres. En effet, Gérard Astor est un homme de théâtre mais aussi un  homme de lettres reconnu.Parmi ses oeuvres théâtrales citonsLeïla-Enki,  Aube ou encore Des Siècles A Grenade ou Le Retour D'utopie, parues chez L’Harmattan. Il connaît d’autre partle monde arabe parfaitement. Il avait travaillé en 2005avec la Direction des Théâtres de Syrie  pour la production, par le Théâtre Jean-Vilar, de l'œuvre de Ramzi Choukair, Al Zir Sâlem et le Prince Hamlet, œuvre portant sur le pouvoir. Précisons, en passant, que cette pièce a été traduite en français par notre ami, Francis Guinle, shakespearien et arabisant, ayant longtemps enseigné en Tunisie. Gérard Astor créa ensuite le Festival  Al Wassl Plateformes ARTS EN MÉDITERRANÉE  qui s’est tenu, pendant trois semaines dans son théâtre Jean-Vilar à Vitry-sur-Seine et qui a réuni une pléiade d’artistes et intellectuels venus de tout le pourtour méditerranéen, notamment de Syrie, de Tunisie, d’Égypte, de Libye, ou encore des Territoires palestiniens.

Quant à  Adel Habassi, il était engagé dans les préparatifs de deux colloques, l’un à Monastir à propos du goût et l’autre à Tunis,  intitulé Ponts et Passerelles. Les œuvres de Gérard Astor attirèrent son attention. Pourquoi ne pas les choisir comme thème de réflexion  pour ce colloque, voire pour sa thèse. ?Or à ce moment là, Adel  Habassi  se trouvait  « immergé…dans le combat culturel qui se menait dans  son pays » (p11), La Révolution du Jasmin  était alors en marche et la Tunisie en pleine effervescence.

 Tout naturellement les deux hommes y virent un matériau idéal pour le  théâtre.En effet, cet art n’a-t-il pas été, à Athènes, le premier forum de la démocratie ? L’objet de débat sur les questions politiques de l’époque ? Certes, lesdeux hommes ne se trouvent pas confrontés au même problème :comme l’explique Gérard Astor :
« Vous vivez  dans un pays qui a renversé, voici un an, un despote et son régime ; nous vivons en France, un rassemblement inédit qui essaie de se faufiler dans les méandres médiatiques pour sortir le pays de la mainmise d’une véritable caste multiforme au pouvoir. » (pp135-36)
Ils sont néanmoins conscients de cette caisse de résonance qu’est le théâtre, de son pouvoir  dans le combat politique,et des outils dont ils disposent :c’est-à-dire, ‘l’expérience et la culture populaires’, ‘les outils scientifiques d’analyse des sociétés’, et‘l’instrument politique que l’on peut résumer aux processus démocratiques.(p.136)

Point n’est question donc de s’enfermer dans sa tour d’ivoire, simple témoin non engagé, quand on veut garder le contact avec son temps, et surtout quand on veut innover, ‘ élucider ‘ et ‘porter’ un ‘mouvement révolutionnaire’. Gérard Astor qui a explicitement évoqué dans Leila-Enki le mur coupant la Palestine en deux, cite à cet égard Mahmoud Darwich qui disait :  « Le politique, dénué d’approche culturel ou d’imaginaire poétique, demeure de l’ordre du conjecturel. » (p.136)

Tant il est vrai que grâce à la valeur des mots, grâce à la manière de s’exprimer par métaphores et comparaisons pleines de sous-entendus, lorsqu’il s’agit du pouvoir politique, de sa signification, de ce qu’il représente dans le pays, l’art dramatique est susceptible de transformer son sens primitif, voire son essence.

Comme il l’explique longuement dans ses interventions aux ‘Rencontres de Vitry’,pour Adel Habassi, également, il n’y a pas de doute :l’engagement est de mise :
« OUI, c’est à nous aussi de montrer concrètement que les « labyrinthes » des mondes que nous mettons en scène  dans le théâtre du langage naissent sur les rivages des douleurs de cette vie et dans les sillons de ses bonheurs . » (p.55)

Ce  livre, richement documenté, reflète  donc la propension de ces deux auteurs  à tirer la morale des événements  marquants du ‘printemps arabe’ mais aussi leurs préoccupations tant intellectuelles que professionnelles. Une grande partie est dévolue à leurs entretiens, à leur participation au colloque ‘Ponts et passerelles’, aux ‘Rencontres de Vitry’ou encore aux commentaires et analyses portant sur cette riche source d’inspiration que sont les oeuvres de Gérard Astor.Et en filigrane, tout au long du livre, un sentiment de fraternité et d’altérité  impliquant  l’Autre, l’égal, qui partage  les mêmes valeurs et la même humanité.

Un ouvrage à lire et à méditer.

Rafik Darragi
http://www.rafikdarragi.com

Adel Habassi / Gérard Astor, Pour un printemps du théâtre : théâtre et culture en temps de révolutions (Correspondance/entretien), L’Harmattan, 172 pages.
 

Tags : r   tunis  
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