News - 31.05.2025

Bourguiba l’auditeur suprême de Abdelaziz Kacem (Cérès éditions): Un régal

Bourguiba l’auditeur suprême de Abdelaziz Kacem (Cérès éditions): Un régal

Par Mohamed Kilani - Il y a soixante-dix ans, Habib Bourguiba rentrait triomphalement en Tunisie dans la perspective d’une indépendance imminente convenue. Et chaque année, la date du 1er juin est vécue comme un symbole de la dignité nationale tant la ferveur suscitée par le retour au bercail de l’Enfant prodige était sous-jacente d’un sursaut national en vue de l’émancipation tant souhaitée.
A cette occasion, nous proposons ces notes de lecture de notre ami Mohamed Kilani, journaliste et écrivain, après avoir été cadre de banque. Il s’agit du livre de Abdelaziz Kacem, Bourguiba l’auditeur suprême. Un ouvrage qui mérite, lui aussi, d’être revisité pour la somme de péripéties, d’événements et d’analyses qu’il recèle.

La relation de Bourguiba avec la radio tunisienne est exceptionnelle à tous les égards. C’était« sa Radio », son objet, sa muse. Et qui mieux que Abdelaziz Kacem est en mesure de restituer le maximum de péripéties mettant aux prises le Combattant suprême, consacré Auditeur suprême dans l'ordre des choses, avec cet instrument de communication redoutable et redouté ainsi qu'avec ses serviteurs.

Bourguiba, l'auditeur suprême est un livre qui appartient a priori au genre de la petite histoire mais serti d'événements historiques dont les Tunisiens en avaient retenu quelques bribes laissant à l'auteur le soin de relater des faits vécus de près ou à mi-distance sans omettre de soigner le récit par la véracité des faits et de se soucier de la rigueur qu'exige cet exercice combien périlleux.

Abdelaziz Kacem a lui-même une longue histoire avec la radio qui remonte à 1954. C'est une chance inouïe pour l'histoire du pays, et une aubaine pour les lecteurs qui peuvent plonger dans les arcanes du pouvoir à travers des événements solennels ou des faits insolites, voire des péripéties drôles ou même loufoques.

Ayant débuté il y a soixante-dix ans comme journaliste aux côtés de Mustapha Filali et Abdelaziz Laroui, Abdelaziz Kacem a eu donc un démarrage sur les chapeaux de roue pour s'abreuver des vertus de l'antenne à une époque où la radio n'était pas encore dans tous les foyers. Ayant progressivement obtenu une formation pointue, il a pu concilier entre l'enseignement et les responsabilités dans le domaine large de la culture, de l'information et de la communication. Le livre en a été le principal bénéficiaire tant les expériences vécues et la fréquence de ses rencontres avec Bourguiba lui ont laissé un gisement de souvenirs qu’il a su ordonner avec une précision hors du commun. C'est que le nonagénaire a tout retenu, et sa rigueur académique lui a servi de boussole pour conférer à l'ouvrage une crédibilité incontestable.

L’ouvrage a pour sous-titre « Entre l’oreille qui réprouve et celle qui approuve », ce qui indique qu’Abdelaziz Kacem a dû pratiquer Bourguiba sous plusieurs facettes : ou détendu ou acariâtre, voire coléreux. Il savait à l'avance qu'outre l'ivresse du pouvoir, Bourguiba pouvait faire prévaloir un argument des plus recevables, c'est que la vieillesse offre le droit au caprice.

L'Auditeur suprême est donc au cœur de l'ouvrage, mais quand l'auteur trouve une brèche pour faire un commentaire, une digression, une extrapolation, il n'en prive pas le lecteur. Directeur de la Radio, en 1981, deux fois directeur général de l'ERTT, en 1981-1983 puis en 1985-1986, il a été servi par la chance : le nombre d'événements ayant émaillé l'époque, et de rencontres avec Bourguiba peuvent dès lors inspirer un lot de récits, commentaires et d'analyses susceptibles d’édifier sur les ressources intellectuelles de l'auteur et sa maitrise de la chose politique.

À la limite du secret d'Etat, certains détails croustillants éclairent le lecteur sur les raisons de la descente aux enfers du pouvoir avec la sénilité du président qui a précipité son éviction, les trahisons au cœur du Palais, les manœuvres des deux femmes ayant influencé Bourguiba avec des fortunes contrastées, etc. On découvre aussi la malchance de Mohamed Mzali, victime d'une certaine fragilité politique, n'ayant aucune ceinture de sécurité dans une guerre sans merci pour la course à la succession, ce qui a conduit à son limogeage puis l'a contraint à l'évasion.

Kaddafi a eu également son lot de développements qui n'étonnent que ceux qui n'ont pas pris le pouls d'un homme singulier, au-dessus de toute catégorisation et pour qui la Tunisie est le prolongement de son pays au-delà de la géographie. D'où ses dépits, tantôt contenus tantôt meurtriers, et ses frustrations personnelles que l'auteur restitue dans son style, parfois chatouillé, souvent ironique, l'homme se prêtant à l'exercice.

Abdelaziz Kacem mérite le chapeau bas pour cette perle qui a le double mérite de raconter une Histoire vraie et de procurer un voyage à travers la psychologie humaine chez plusieurs strates et en différentes conjonctures.

Mohamed Kilani

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