Opinions - 25.02.2013

IDE 2012 : l'art de manipuler les chiffres

La FIPA vient de publier le bilan de l’année 2012 des Investissements Directs Etrangers en Tunisie  (IDE)
En première lecture, on pourrait croire à  une reprise globale des IDE comparés  à 2011 mais aussi par rapport à 2010, année de référence post-révolution. C’est d’ailleurs le discours officiel du gouvernement qui ne rate pas une occasion pour s’auto féliciter  de cette reprise sur les antennes et les médias du pays.

Les chiffres présentés montrent  une augmentation du montant brut des IDE de 27% par rapport à 2010  ce qui peut paraitre comme une excellente nouvelle en restant à ce niveau d’analyse

En examinant  de plus près, nous nous rendons compte facilement que cette embellie n’est que fictive et qu’elle cache en réalité  plusieurs vices et plusieurs aberrations. Pire, l’analyse montre que nous avons continué sur nos mêmes erreurs et que rien n’a changé pour attirer les bons  investissements et les orienter là où en on a besoin pour améliorer la situation de l’emploi et de l’économie tunisienne.

IDE 2012 : la réalité des Chiffres

Les chiffres 2012 sont dopés par les opérations de privatisation et de prises de portefeuille réalisées sur des sociétés tunisiennes existantes. En particulier la prise par le Crédit Mutuel de 13% de la Banque de Tunisie et le rachat par le Qatar de 15% de Tunisiana, la vente de l’hôtel Tabarka au Qatar et l’augmentation du capital de Ettijari bank totalisent à elles seules 950 MTND du montant global des IDE soit 31 % de la somme totale annoncée.

Corrigé de ces opérations, le montant net des IDE étrangers dit générateurs de croissance apparait en dessous du celui de 2010 de 12%.

IDE 2012 : En considérant les IDE Nets et en dehors de ceux dans le secteur de l’énergie, les IDE restent  toujours orientés sur des projets à faible valeur ajoutée

L’analyse de la répartition des IDE industriels par secteur d’activité montre qu’ils continuent à se concentrer sur des industries à faible valeur ajoutée et à faible intensité capitalistique.

Ce sont par conséquent des industries qui sont volatiles par définition, impossible à fixer sur le territoire sur le long terme et qui sont essentiellement  tributaires du coût de la main d’œuvre de faibles qualifications.

IDE 2012 : Une faible création d’emploi

Hors  secteur de l’énergie, l’analyse des  flux des IDE indique clairement qu’elles ne sont pas génératrices d’emplois.

Les projets  IDE entrés en activité en 2012 n’ont généré que 8 944 emplois soit un ratio de 16,8 emplois par 1 MDT investi. Ce ratio est même en dégradation par rapport à celui calculé pour les projets entrés en exploitation en 2011 et qui se situe  à 28,6 emplois par 1 MDT investi.

Si on rajoute, comme démontré dans le paragraphe précédent, que ces projets sont majoritairement de  faible valeur ajoutée (56% des projets), nous pouvons affirmer que les IDE 2012 génèrent très peu d’emplois et le peu qu’ils génèrent sont de faible qualification.

Il faut aussi noter que les opérations de portefeuille et d’acquisition entrainent  presque systématiquement des réductions d’emplois liées à la recherche de synergie que le nouveau actionnaire va exiger pour rentabiliser son investissement. Cette réduction non quantifiée viendrait dégrader d’avantage le bilan des IDE en la matière.

IDE 2012 : les régions sinistrées sont toujours ignorées

L’analyse de la répartition géographique des entreprises étrangères exportatrices pour les secteurs de l’industrie, les services, l’agriculture et le tourisme montre que la situation 2012 garde les mêmes déséquilibres régionaux entre les zones côtières nord et centre avec le reste des régions.

Les IDE 2012 n’ont pas contribué au développement des zones défavorisées et nous continuons  à investir là où on a investi auparavant et là où l’infrastructure est la mieux dotée.

C’est ainsi que nous constatons qu’en 2012 les gouvernorats du Nord Est et Centre Est comptabilisent  encore 87% des entreprises étrangères exportatrices et continuent d’accueillir les IDE à  hauteur de  66% du total.

En résumé, en matière d’IDE tout comme pour les autres domaines liés au développement, l’année 2012 ne marque aucun changement ni dans la vision, ni dans la stratégie ni dans la politique. Nous continuons sur la même lancée avec la compétence et la réussite en moins.

C’est avec un grand regret que nous pouvons affirmer encore une fois que la Tunisie ne dispose pas encore d’une réelle  stratégie pour attirer les IDE les plus profitables pour le pays.

Cette stratégie, devrait se baser sur trois composantes principales : attirer les sociétés qui peuvent jouer le rôle de  locomotives dans leur secteur, être sélectif sur les segments porteurs compte tenu de notre contexte et favoriser les sociétés capitalistiques à fortes valeurs ajoutées sur place.

La mise en place de cette stratégie nécessite d’être proactif et nécessite une réelle impulsion politique qui semble encore manquer au pays.


Hichem Jouaber

Lire l’article du même auteur publié dans Leaders au lien suivant : http://www.leaders.com.tn/article/quelle-strategie-gouvernementale-pour-developper-l-industrie-en-tunisie?id=4237


Ou visionner la vidéo de son intervention faite lors du dernier Tunisia Investment Forum au lien suivant : http://www.youtube.com/watch?v=8EAB-qy-aiw 

Tags : Tunisie  
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3 Commentaires
Les Commentaires
Med Dhia H - 25-02-2013 17:27

Bel article ... sauf que vous ne parlez pas de l'essentiel : le secteur de l'énergie qui représente à lui seul depuis les années 70, 45% de la valeur des IDE.De plus, il faut savoir que les IDE venant de tous les pays qui investissait en Tunisie on chuté depuis 2011, sauf trois pays : la Qatar (essentiellement dans le secteur des services), le Canada et ... l'Autriche (avec l'investissement de OMV dans le secteur pétrolier), tout deux dans le secteur de l'énergie. Cela veut dire, tout simplement, que la stratégie qui vise à encourager les IDE n'est qu'en train de brader nos ressources énergétiques (pétrole, gaz et prochainement énergie solaire)... et comme on le sait, le secteur de l'énergie est un secteur à très faible employabilité. Donc si on veut résoudre les problèmes socio-économiques de la Tunisie, il faut impérativement changer de stratégie !

Ilyes - 26-02-2013 09:19

Bonne analyse sauf que pour un article qui veut faire la lumière sur la réalité des choses, je crois qu'il était essentiel de citer les sources des chiffres pour que ce soit vérifiable. L'INS ne donne pas le détail des IDE malheureusement et l'historique des chiffres n'y sont pas également. Merci

Dr Amor Ben Dhia - 04-03-2013 10:29

Un tres bon article, chiffre et accessible aux non experts pour constater ce qui "coince" dans notre modele et la vision adoptee depuis fin 2011. Quand la Tunisie attire en moyenne un peu moins de 2 Milliards de $ americains d'investissements etrangers, malgre la crise, le petit Emirat de Dubai (2,000,000 d'habitants) a attire en 2012 autour de 10 Milliards... Ils sont 5 fois moins nombreux et attirent 5 fois plus... Oui, oui, Dubai n'est pas un modele parfait en tout... mais au lieu de regarder a cela, regardons ce qui NE marche pas chez nous: Infratstructure, Developpement inadequat en voulant arroser tout le territoire, Incompetence, Bureaucratie??? Le politque est important, mais sans une conception efficace d'un modele de croissance, aucun politique ne tiendra plus de 12 mois.

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