Harlem Shake, Bouquets de persil et dissidence
Pour beaucoup les révolutions arabes sont finies et l’utopie et l’espérance qu’elles ont suscitées ont été trahies dans le sang avec l’intensification des violences en Libye et en Syrie ou dans un long hiver islamiste comme c’est le cas en Tunisie et en Egypte. Ainsi, les roses des printemps arabes se sont rapidement fanées pour rentrer dans un froid glacial qui annonce la fin des rêves de liberté et de démocratie. Et, pour les néo-orientalistes de ces observateurs, cette fin n’est pas surprenante et les moments révolutionnaires après la chute des dictateurs n’étaient que de courts intermèdes avant que la violence et le despotisme oriental ne reprennent leurs droits naturels sous nos cieux ! Ainsi, la passion révolutionnaire née dans ces jours pluvieux de l’hiver 2011 et ses brins de soleil qui ont éclairé le ciel brumeux du monde arabe et ont annoncé la fin des dictateurs se seraient envolés comme un mirage insaisissable !
J’avais exprimé des doutes sur ces analyses ! Certes, les horizons des transitions en cours se sont beaucoup assombris depuis plusieurs mois. L’avènement de la violence, qui a atteint son apogée avec l’assassinat de Chokri Belaid, les blocages politiques et les retards accumulés par l’Assemblée nationale constituante dans l’élaboration de la Constitution et la promulgation des lois nécessaires à la transition politique ont renforcé les doutes et l’incertitude sur la transition.
Cependant, ces difficultés étaient prévisibles pour plusieurs raisons. D’abord, toutes les expériences de transition ont montré que ces dynamiques étaient complexes et difficiles et prenaient un temps relativement long. Par ailleurs, le paysage politique éclaté hérité des élections du 23 octobre 2011 contribuait à cette incertitude dans la mesure où il rendait les consensus politiques essentiels pour ses transitions difficiles à atteindre. Les expériences historiques et les réalités complexes et mouvantes nous préviennent tous les jours que ce processus sera long, sinueux et complexe.
Mais, en même temps, plusieurs évènements et manifestations nous rappellent que l’utopie et la ferveur révolutionnaires qui ont nourri les printemps arabes n’ont pas disparu. Au contraire, elles sont toujours présentes et aiment à se manifester régulièrement pour rappeler le rattachement à cet air de liberté et d’affranchissement des chaînes de l’autoritarisme et du conformisme social. Deux évènements sont venus nous rappeler ses derniers jours cette inscription dans l’air du large et de la liberté. Le premier est la vitesse par laquelle s’est propagée la danse du «Harlem shake» un peu partout en Tunisie. Parti du lycée Imam Moslem dans le quartier de Menzah 6, elle est devenue un cri de ralliement de toute la jeunesse tunisienne devant la tentation de rétablissement d’un ordre étranger aux valeurs de la Tunisie et qui trouve son inspiration dans un wahhabisme lointain et inquiétant.
Le choix par la jeunesse tunisienne d’exprimer cette dissidence et la charge subversive par la danse du «Harlem Shake» parmi toutes les autres modes de l’année en cours, y compris la fameuse danse du Gangnam style, n’est pas fortuit. Cette danse s’est développée après la publication de quelques vidéos sur la musique du DJ et producteur américain Trap music Bauer sur un air de Con lo terroristas, qui signifie «avec les terroristes». Cette danse commence par une personne masquée qui danse seule dans une foule et qui est suivi plus tard par le groupe où les personnes se sont déguisées de façon burlesque ou parfois dénudée et qui s’invitent à la danse de manière frénétique, en utilisant des objets détournés et parfois en mimant des rapports sexuels. Le tout est posé sur internet après pour que ces vidéos soient vues par le plus grand nombre.
En très peu de temps, les premières post sur internet remontent à février 2013, cette danse est devenue un phénomène global. Un succès qui trouve son explication dans un refus de la jeunesse globalisé de l’ordre établi. Ces révoltes contre l’austérité et le chômage se sont beaucoup inspiré des révoltes des printemps arabes et ses mouvements sont devenus une importante force de contestation de l’impact social des crises avec le chômage et la marginalisation. Le Harlem shake s’inscrit dans cette dynamique subversive ouverte par la jeunesse globale dont les danses burlesques rappellent l’absurdité d’un monde qui les met en marge et les incite au désenchantement. Des formes de révolte post-modernes qui par bien des aspects rappellent le surréalisme des années 1930 et qui alliaient ferveur révolutionnaire, création artistique et burlesque pour se moquer de l’absurdité de notre monde.
C’est cet appel à la révolte que la jeunesse tunisienne a décidé de rejoindre en faisant de la danse Harlem shake une sorte d'adhésion à la dissidence et au refus du nouveau conservatisme que l’on nous promet. Le buzz de la danse n’aurait pas probablement pas été aussi fort si le ministre de l’éducation n’avait pas indiqué son rejet de « comportements jugés immoraux » dans une déclaration à Radio mosaïque le 24 février 2013. Du coup, la jeunesse s’est emballée et le «Harlem shake» a envahi un grand nombre de lycées, le ministre lui-même ayant eu droit à une danse devant le siège de son ministère où plusieurs jeunes se sont rassemblés malgré la pluie pour se trémousser et braver son autorité. D’ailleurs, les mouvements salafistes ne se sont pas trompés de cible lorsqu’ils ont considéré que cette dissidence remettait en cause le projet autoritaire et conservateur qu’ils cherchaient à substituer à la tunisianité ouverte et se sont attaqués à plusieurs reprises à des tentatives d’organiser des Harlem shake.
Un autre évènement est assez significatif également de cette persistance de l’élan révolutionnaire et de l’utopie de la liberté concerne l’initiative de la journée nationale de la vente du persil organisé par la chaine Al Hiwar au bord de l’asphyxie financière. Cette idée a été lancée par le propriétaire de la chaîne, Tahar Belhassine, opposant à la dictature de Ben Ali de longue date, et qui le jour où il a annoncé la situation difficile de sa chaîne, comme un grand nombre de médias indépendants, s’est entendu dire sur les pages Facebook des jeunes proches des mouvements islamistes qui lui ont cruellement suggéré d’aller vendre du persil et de s’éloigner de la presse sur laquelle ils cherchaient à assurer leur mainmise. Et, c’est prenant ces appels au mot, que le propriétaire de la chaîne a décidé d’organiser une journée nationale pour la vente du persil au profit de sa chaîne. Et, le 28 février ce sont plusieurs dizaines de personnes qui se sont présentés devant les bureaux de la chaîne pour acheter de manière symbolique le persil et contribuer à la survie financière de la chaine.
La danse du Harlem shake et la vente de bouquets de persil pour défendre la liberté d’expression montrent bien que l’esprit de dissidence et l’utopie révolutionnaire sont encore vivants et constituent une importante garantie quant à l’avenir du processus de transition. Ils ont exprimé le rattachement de cette jeunesse aux vents de la liberté et son engagement à faire partie du temps du monde devant les tentations d’imposer un autre modèle de société inspiré d’un wahhabisme aussi lointain qu’étranger. Pourvu que cette dissidence trouve son expression politique et contribue de manière plus efficace dans le rééquilibrage du paysage politique afin d’accélérer la transition en cours vers un modèle démocratique et inscrit dans l’universel humain ! Cette traduction politique de la dissidence empêchera certainement les roses écloses avec la révolution de se faner et les aidera à fleurir et inonder de leurs senteurs notre monde !
Hakim Ben Hammouda
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Article intéressant. Mais - petite remarque - vous employez les mot "buzz". Le mot buzz" est incorrect. Je propose "cliquetis" Voici un article à titre d'essai pour le mot cliquetis, en rapport avec, évidemment le mot "cliquer". Cordialement, EC http://lecercle.lesechos.fr/economie-societe/societe/autres/221168649/clique-moi-ten-prie-ten-supplie-clique-moi