Opinions - 10.03.2013
Moncef Guen: nouveau gouvernement, quelques remarques
Que peut-on dire du nouveau gouvernement, présidé par M. Ali Larayedh ? D’aucuns ont dit qu’il s’agit d’une troïka bis, étant donné le grand nombre de ministres du gouvernement précédent, reconduits soit dans leurs postes soit dans d’autres postes. C’est faux. Depuis la constitution du gouvernement précédent en 2011, la Tunisie n’est pas gouverné par une troïka mais par un duo inégal: Ennahdha, parti à fondement religieux et Ettakattol, parti laïque, même socialiste. C’est un duo bis, dans lequel, le parti dominant, Ennahdha, conserve la majorité des portefeuilles et le parti partenaire, Ettakattol, qui lui arrache, de haute lutte, les concessions nécessaires à une gouvernance modérée sinon moderniste. Une des concessions importantes arrachées aura été la neutralité des ministères régaliens : intérieur, justice, défense et affaires étrangères, confiés à des personnalités jugées indépendantes des affiliations politiques. En toute franchise, le Congrès pour la République adopte en pratique dans la plupart des cas sérieux les positions d’Ennahdha.
La deuxième remarque que l’on pourrait faire est l’échec de ce duo à s’adjoindre d’autres partis politiques en vue de son élargissement, et ce, malgré des négociations marathon qui ont duré presque sept mois et des offres mirobolantes de portefeuilles ministériels de haut niveau. Ceci montre qu’après tout, les partis jugent la situation du pays tellement difficile qu’il vaut mieux ne pas se compromettre pour quelques mois dans une telle entreprise. On n’est pas tellement obnubilé par les attraits du pouvoir immédiat, au risque de se compromettre aux yeux de l’électorat vers la fin de 2013 ou le début de 2014. Les prochaines élections présidentielles et parlementaires seront pour de longues années. L’on s’est gardé d’insulter l’avenir à moyen terme.
La troisième remarque concerne la taille de ce nouveau gouvernement, moindre que celle du précédent mais toujours lourde pour un petit pays comme la Tunisie. On aurait pu former un gouvernement plus réduit mais plus musclé. Par exemple, le ministère des finances aurait pu englober celui des domaines de l’Etat, le ministère du tourisme, celui de la culture, le ministère de l’industrie celui du commerce, le ministère de l’éducation celui de l’enseignement supérieur et même celui de la jeunesse et des sports, le ministère des affaires sociales, celui de l’emploi et le ministère de l’agriculture celui de l’environnement. Ensuite, pourquoi continue-t-on à avoir un ministère de la femme puisqu’on n’a pas un ministère de l’homme du moment qu’on prétend que la femme est l’égale de l’homme ? Enfin, pourquoi un ministère des affaires religieuses quand il y a un Mufti de la République ? Un tel gouvernement plus ramassé aurait coûté moins cher (car à chaque ministre, il faudra une armée mexicaine de conseillers, avec tous leurs avantages matériels et qui vont s’interposer entre le ministre et ses structures administratives) et aurait facilité les prises de décisions rapides dont le manque a contribué beaucoup à l’échec du gouvernement précédent.
La quatrième remarque est relative à l’équipe économique. Il faut se féliciter d’avoir un ministère du développement et de la coopération internationale avec à sa tête un spécialiste du développement à compétence internationale. Avec les défis majeurs auxquels est confrontée l’économie nationale, les dégradations successives de la note du pays par les agences de notation, le climat peu favorable à l’investissement et à la croissance, l’inflation galopante, le désarroi des agents économiques qui doivent compter à la fois avec les risques sécuritaires et les risques professionnels, beaucoup d’efforts sont nécessaires pour remonter la pente. A mon avis, une des réformes les plus urgentes est la création d’une Direction générale des grands projets à la primature pour lui confier l’exécution rapide des grands projets publics qui conditionnent la reprise des investissements privés. Il ne faut pas se leurrer : ce n’est pas le nouveau code des investissements (qui n’a de sens que s’il s’accompagne d’une réforme de la fiscalité, surtout la fiscalité des sociétés) qui va relancer l’investissement privé. C’est le climat de confiance et le push de l’investissement public.
Mais ne préjugeons pas, jugeons ce nouveau gouvernement sur son programme et son action effective.
Dr Moncef Guen
Ancien Secrétaire Général du Conseil économique et social
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