Le mode de scrutin : un choix déterminant pour l'avenir du pays
Les bonnes constitutions font les régimes démocratiques, croit-on, sauf que certaines démocraties fonctionnent très bien sans constitution écrite et que la dictature a prospéré dans des pays disposant de constitutions «démocratiques». Ce qui fait la différence n’est point l’énoncé sur le papier de certains principes généraux comme la garantie des libertés, celle de la croyance notamment, ou la séparation des pouvoirs ; mais la soumission sincère des gouvernants à l’idée démocratique, l’extrême vigilance des citoyens et des contre-pouvoirs et l’adoption d’un mode de scrutin approprié. Une démocratie construite sur la seule base d’une constitution démocratique finit toujours par se corrompre à l’épreuve du pouvoir. C’est très exactement ce qui se passe en Tunisie.
Une majorité de citoyens n’hésitent plus à condamner ouvertement la transformation de notre démocratie naissante en une république moribonde. Elle est choquée de constater que ce sont les appareils des partis politiques qui imposent le choix du premier ministre et non l’autorité ou le rayonnement des candidats au poste. Elle est choquée de voir le premier ministre se soumettre aux diktats et intrigues des appareils. Elle est choquée de voir les ministres nommés non sur leur qualité personnelle et leur sens de l’Etat, mais sur la base des quotas, source d’inflation ministérielle et de carence. Elle est choquée de voir l’Etat se dégrader de jour en jour, les institutions, fussent-elles provisoires, détournées et perverties par le jeu politique, l’exécutif paralysé et déconsidéré. Elle est choquée de voir se multiplier les reniements, les revirements et les coalitions opportunistes, éphémères ou contre-nature. Elle est choquée de voir le débat politique tourner au pugilat verbal pour atteindre le sommet du ridicule et de l’absurde. Elle est choquée de voir le pouvoir impuissant face à l’aggravation de la situation sécuritaire, diplomatique et socioéconomique. Hélas, trois fois hélas, la majorité des Tunisiens ne fait pas encore le lien entre cette déconfiture et le mode de scrutin adopté.
Que l’on ne s’égare plus, les déboires de la coalition actuelle ne tiennent pas seulement aux hommes désignés pour gouverner ou à leur étiquette politique. Ils tiennent aussi au mode de scrutin choisi. La proportionnelle est par nature un mode qui incite à la multiplication du nombre de partis politiques et qui conduit à des coalitions construites sur des ambitions personnelles, dans les alcôves et non sur la place publique, ce qui est bien le cas en Tunisie. La proportionnelle est par définition un mode qui instaure l’instabilité, la carence du pouvoir et le marchandage, ce qui est encore une fois le cas en Tunisie. L’abaissement continu et inquiétant de l’Etat n’a donc pas pour seule cause les atermoiements de la phase transitoire, l’inexistence d’une constitution ou le manque de professionnalisme du personnel politique, mais le régime des partis tel qu’il est instauré de fait par la proportionnelle de liste.
Certains justifient le recours à la proportionnelle au nom de la pluralité, d’autres au nom du consensus qui doit prévaloir en phase de transition, d’autres encore au motif qu’il faut contrecarrer la mainmise d’un parti politique déterminé sur la représentation nationale. Ces motifs ainsi que d’autres non avoués sont fallacieux. La pluralité ne se mesure pas au nombre de partis politiques représentés dans un parlement mais au nombre d’écoles de pensée et de projets politiques présentés par les uns et les autres. Le grand nombre de partis politiques nuit, au contraire, à la clarté du débat politique et pousse les électeurs à s’abstenir ou à voter sur d’autres critères nuisibles à l’unité nationale comme on l’a constaté lors des élections du 23 Octobre 2011. Par ailleurs, un mode de scrutin ne doit pas être circonstanciel, choisi pour empêcher tel ou tel parti d’obtenir une majorité relative ou alors il faut en changer à chaque élection. A ceux qui prétendent, sans apporter de preuve, que le parti Ennahda aurait pu obtenir plus sièges à l’ANC si on avait recouru à un autre mode que la proportionnelle, on peut répondre que rien n’est moins sûr et qu’au contraire, le mode majoritaire uninominal à deux tours aurait pu mobiliser davantage d’électeurs en faveur des autres partis opposés à ce parti. Quant au « consensus », nous savons ce qu’il en est dans la pratique au sein de l’ANC et ailleurs.
Aucun mode de scrutin ne peut évidemment prendre en compte tous les avis ou satisfaire toutes les préoccupations, surtout si elles sont contradictoires et partisanes. Mais le choix de la proportionnelle de liste en Tunisie est tout sauf judicieux et responsable. Ce mode n’a pas permis et ne permettra jamais de dégager une majorité politique suffisamment cohérente et soudée pour diriger efficacement le pays, et ce pour une raison simple : la proportionnelle induit la division, la surenchère, l’instabilité, la déloyauté et favorise la démagogie, le populisme et l’irresponsabilité. Sur ce plan, la conduite de certains partis politiques tunisiens constitue une illustration et une preuve. Au surplus, dans une contrée où les hommes sont portés naturellement à la division et le nombrilisme, le bien commun aurait dû imposer de ne pas choisir un mode de scrutin qui encourage ce penchant. Dans un pays où des problèmes essentiels attendent d’être résolus depuis plus d’un quart de siècle, la lucidité aurait dû inciter à choisir un mode de scrutin qui permet à l’exécutif de s’appuyer sur une majorité large, stable et disciplinée.
Le mode majoritaire offre de meilleures garanties. Il offre d’abord l’avantage de la simplicité puisqu’il s’agit d’attribuer un siège (scrutin uninominal) ou plusieurs sièges (scrutin pluri nominal) à celui ou ceux qui ont obtenu le plus de voix. Il se distingue surtout par la proximité des élus par rapport à ceux qui les ont fait élire. Ainsi un député doit-il son élection tout autant au parti politique qui l’a désigné qu’aux électeurs qui ont voté pour lui. Le mode majoritaire à un tour est appliqué en Grande-Bretagne où la vie politique est dominée par un nombre limité de partis politiques. Mais il n’est pas transposable dans une situation marquée par la présence de plus de 140 partis. Si l’on vient à l’adopter, il aboutirait grosso modo à une situation guère différente de celle crée par la proportionnelle de liste.
Reste le scrutin majoritaire uninominal à deux tours. Celui-ci offre plusieurs avantages. Le premier est d’ancrer le fait majoritaire dans la vie publique puisque la réussite au premier tour est conditionnée par l’obtention d’une majorité absolue des voix au second tour. Le second avantage est d’inciter aux coalitions préélectorales et non post-électorales, une condition nécessaire à la transparence et à la solidité des coalitions. Le troisième est de créer les conditions requises au fonctionnement régulier du régime dont la stabilité. Le quatrième, et non des moindres, est de rendre la représentation politique moins dominée par les appareils des partis politiques et plus proche des citoyens et de leurs préoccupations.
Le débat sur le mode de scrutin va bientôt commencer à l’ANC et ailleurs. Il doit être l’occasion pour les Tunisiens de s’en saisir afin d’empêcher que le jeu des partis politiques ne prenne le dessus sur l’intérêt supérieur du pays. Dans l’état, seul un mode majoritaire uninominal à deux tours est à même de donner les moyens à l’exécutif pour travailler sérieusement sur les vrais problèmes du pays. Dans le cas contraire, peu importe la majorité qui sortira des prochaines élections, la Tunisie continuera à souffrir de l’instabilité et de la paralysie, qu’elle adopte un régime présidentiel ou un régime parlementaire.
Une constitution équilibrée et démocratique est une condition nécessaire à l’établissement d’un régime réellement démocratique, mais le mode de scrutin constitue le moyen d’assurer le bon fonctionnement de ce régime. Jusqu’ici, on s’est intéressé à la seule structure du logis, il s’agit maintenant de se pencher un peu plus sérieusement sur les conditions de l’agencement et de l’habitabilité de ce logis.
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Rien n’est annoncé sur le scrutin électoral car on semble vouloir se préparer à glisser au dernier moment celui qui pourra être le plus favorable. Qu’espérer de l’ANC élue pour rédiger une Constitution et qui a tout fait sauf la Constitution (et trop souvent mal). Il n’est ni partisan, ni mensonger de signifier qu’il est impérieux de prévoir un système électoral « juste » ou le plus neutre possible car on sait bien que le choix d’un mode de scrutin a une influence directe et importante sur le résultat des votes. Selon le mode de scrutin, on peut stopper ou amplifier les tendances de votes au point d’agir très fortement sur les résultats. Au point de dévier le sens des votes ! Mais justement, mon écrit est une alerte. Je m’en explique : rien ne prédestine l’élection législative à être un «copié collé» de l’élection Constituante. Rien n’est annoncé sur le nombre de Députés : pourquoi faudrait-il conserver 217 Députés comme pour la Constituante? Rien sur le nombre de circonscriptions. Pourquoi en faudrait-il 33 comme précédemment ? Les Gouvernorats sont-ils vraiment la territorialité de base pour être tenues comme des circonscriptions ? Les exemples d’autres pays, avec de telles structures administratives, montrent qu’on peut prendre d’autres options et qu’on peut osciller entre une seule circonscription (cas des Pays Bas et Israèl) et autant de circonscriptions que de députés (modèle USA et Royaume Uni). Ce dernier cas étant l’exemple que j’ai pris, car il est des plus dangereux. Incertitude N°1 : si le nombre de Députés se maintenait à 217 ou à moins, il existerait des circonscriptions avec moins de 5 députés. Or les simulations définissent que seules les circonscriptions plurinominales élisant un grand nombre de représentants, assorties à une forme de scrutin proportionnel, produisent des résultats respectant davantage l’objectif d’une représentation proportionnelle. Incertitude N°2 : Il est possible d’introduire des règles visant à favoriser les partis dominants pour assurer des majorités : la liste arrivée en tête : 50% + comme municipales. Incertitude N°3 : ne prendre en compte que les listes ayant un minimum de votes pour éviter les majorités introuvables… Toutes ces remarques pour insister sur l’importance du travail qui reste à faire. Mais mon intime conviction est que nous allons y échapper car « certains » vont essayer et probablement réussir à imposer un système électoral qui leur convient, celui qui a conduit aux résultats des dernières élections de 2011. On ne change pas un système qui a fait gagner !!
Très bonne analyse même s'il est extrêmement difficile de mettre une démocratie universelle en place. Ce texte semble résumé l'adage suivant " trop de démocratie tue la démocratie". Ce qui doit dominer toute démocratie c'est: Le respect de l'autre, de l'homme au sens large ( homme et femme); La tolérance; La solidarité et la Fraternité; Le respect de la charte sur les droits ( et devoirs) de l'HOMME et du Citoyen.
A la rédaction de Leaders, Merci de mettre le nom de l'auteur du bel article sur le mode de scrutin. Républicainement vôtre.
La France qui a instauré ce mode de scrutin pour palier au système anglais dont le "seul tour" de scrutin ne donnait qu'un majorité relative très peu représentative . Quant à penser que 140 partis empêchent quoi que ce soit ,je pense tout le contraire car cela signifie une certaine "fertilité politique" après 50 ans d'obscurité . Vous prétendez que la "proportionnelle apporte la division" ,j'appelle ça de la PLURALITÉ .Vous affublez la proportionnelle de tous les mots mais a TORT monsieur car vous trouvez peut être normal ( d'un point de vue purement démocratique)qu'en France le FN n'a que 2 sièges en faisant plus de 17% aux présidentielles a un mois d'intervalle? Le suffrage universel contrairement à ce que vous dites n'est pas la pour simplifiez ni réunir les conditions que vous avancez NON monsieur il est la pour UNE CHOSE être La VOX POPULI ,le reste n'est que de la cuisine et en d'autre et pour en finir ce modèle que le Général a mis en place touche a sa fin car ni finé il ne laisse place qu'à DEUX partis et voyez le résultat au vue du ...Taux d'abstention !
@Peuple je donne en partie raison à l'auteur "peuple" cat la proportionnelle n'est en rien un frein à la démocratie, bien au contraire elle permet d'être plus représentative de la diversité. il est vrai aussi que le système français, par réaction aux chambres dites "introuvables" avec des alliances flottantes, n'est pas logique quand le Front National n'a que 2 représentants. Soit le Parti est dangereux pour la Démocratie et on l'interdit. Soit il est légal et il devient légitime qu'il soit représenté à l'Assemblée. Mais j'ajoute que la proportionnelle intégrale pourrait créer des problèmes par manque d'une majorité stable. Mais alors? La France et bien d'autres pays utilisent donc un scrutin proportionnel mixte où les listes arrivées en tête ont un "bonus" qui leur permettent d'obtenir cette stabilité. C'est le cas des élections municipales et régionales. Donc le débat est simple à régler. Et j'aimerais ainsi mettre d'accord la tendance de l'auteur (au demeurant non identifié) et le commentateur. Par contre, mes félicitations existaient car il est (très) très rare de voir une personne affirmer que la Constitution même bonne n'est pas suffisante pour asseoir une démocratie car la loi électorale peut la dévier ou la subtiliser. A mon sens, le critère le plus influent, sera de décider entre un scrutin à 1 tour ou un scrutin à 2 tours. Je parle bien des élections législatives. Pourquoi accorder les Présidentielles à 2 tours et les législatives à 1 tour? Les effets des 2 tours? Du côté des partis ou des candidats éliminés du 2ème tour, on assiste généralement à des alliances, donc à des consignes de votes pour le 2ème tour. Sans compter que le panorama des résultats du 1er tour permet aux citoyens de choisir leur meilleur candidat et permet de motiver les abstentionnistes du 1er tour à aller voter. C’est là le principal atout d’une élection à 2 tours, voter en meilleure connaissance de la situation au 2ème tour et se responsabiliser. A bientôt pour voir ce que l'ANC va décider ou ...occulter!!!
L'essentiel est qu'il y ait un scrutin à 2 tours, pour avoir la tendance réelle du peuple et le projet de société dont il aspire avoir à l'avenir. Avec 2 tours, il n'est pas sûr que Ennahdha aurait obtenu ses 89 sièges le 23 Octobre 2011
Mes félicitations car il est (très) très rare de voir une personne affirmer que la Constitution même bonne n'est pas suffisante pour asseoir une démocratie car la loi électorale peut la dévier ou la subtiliser. C’est mon combat depuis plus d’un an ! J’essaie sans grand résultat d’alerter les Tunisiens par mes publications. Enfin je trouve une autre personne de votre expertise pour «porter à bout de bras» cette idée de l’importance de la loi électorale… Pourtant, je ne suis pas d’accord sur tout votre développement quant à la proportionnelle qui n'est en rien un frein à la démocratie. Bien au contraire elle permet d'être plus représentative de la diversité. Le système français, par réaction aux chambres dites "introuvables" avec des alliances flottantes, n'est pas logique avec son type de scrutin majoritaire, la preuve quand le Front National n'a que 2 représentants. Soit le Parti est dangereux pour la Démocratie et on l'interdit. Soit il est légal et il devient légitime qu'il soit représenté à l'Assemblée. Mais je comprends votre position la proportionnelle intégrale pourrait créer des problèmes par manque d'une majorité stable. Alors? La France et bien d'autres pays utilisent donc un scrutin proportionnel mixte où les listes arrivées en tête ont un "bonus" qui leur permet d'obtenir cette stabilité. C'est le cas des élections municipales et régionales. Primordial aussi, la loi électorale devrait proposer le scrutin à 2 tours pour les Législatives. C’est le changement qui me parait le plus impérieux. Au 1er tour, cela permet encore à chaque parti, à chaque liste de défendre ses couleurs au 1er sans compromettre le résultat final qui est au 2ème tour. Le 1er tour, cela permet aux électeurs de comprendre et voter en connaissance de cause pour les candidatures en présence, sans pression sur l’issue du vote. Ce sera d'autant plus utile que la Tunisie a montré sa (trop grande) diversité de listes et que la prochaine fois, malgré certaines alliances déjà établies (mais encore fragiles, donc pas définitives), on peut s'attendre encore à cette multiplicité de candidatures. Ensuite, avant le vote du 2ème tour, cela permet aux Partis, aux candidats une analyse du 1er tour et d'annoncer pour le 2ème tour de faire ou ne pas faire d'alliances, de donner ou ne pas donner de consigne de votes. Les votants du 1er tour pourront aussi analyser l'implication de leur vote au 2ème tour en toute connaissance. Enfin, les abstentionnistes pourraient se responsabiliser et décider d'aller voter au vu des enjeux montrés par le 1er tour... En tout état de cause, cela évite aussi ce qu'il s'est produit pour l'élection de l'ANC, c'est à dire que plus d'un million de votes n'aient pas été comptabilisés pour l'attribution de Députés. Au final, on dit souvent qu'au 1er tour, on fait connaître son opinion et au 2ème tour, on vote utile!
Si Habib, le mode de scrutin: C'EST VRAIMENT DÉTERMINANT POUR L'AVENIR DU PAYS: C'EST BIEN DIT ET BIEN EXPRIME. TOUTE FOIS, LE CHOIX DU RÉGIME POLITIQUE EST ESSENTIEL ET PLUS QUE VITAL POUR NOTRE DEUXIÈME RÉPUBLIQUE NAISSANTE: nous venons de vivre DEUX ANNÉES DE RÉGIME PARLEMENTAIRE SUICIDAIRE POUR NOTRE PAYS ??!! TROIS PRÉSIDENTS, AGISSANT D'UNE MANIÈRE " AUTONOME" LES UNS DES AUTRES FAISANT " FI" DES LOIS RÉGISSANT LES RESPONSABILITÉS ET LES RELATIONS ENTRE CES TROIS PÔLES, FAISANT VIVRE ET " SUBIR" AU PAYS LES PIRES " MASCARADES" DE TRAÎTRISE METTANT EN DANGER PERMANENT NOTRE PATRIE ????? ALLONS NOUS CONTINUER DANS CE CHOIX SUICIDAIRE ??!!!!!